D’où parlez-vous, Jean-Michel Aphatie ?
Cher
Jean-Michel Aphatie, sachez que je vous lis avec intérêt, appréciant du reste
vos interventions sur Canal et votre franc-parler. A propos des
élections municipales, vous avez donné votre interprétation personnelle,
jugeant que les considérations locales l’avaient emporté. Du coup, n’ayant pas
avoué que le peuple français avait désavoué Sarkozy, vous avez été jugé par
votre ennemi juré, Jean-François Kahn, auquel vous répliquez. De notre France lointaine, sachez que
nous ne sommes pas dupes et que nous nous amusons parfois de vos interventions. Non
sans quelques interrogations métaphysiques. Vos joutes médiatiques sont-elles
le signe d’une influence des ténors de la politique, Hollande et Copé et j’en
passe, ou bien l’inverse ? A force de priser la mise en scène et le théâtre,
vous avez incliné les politiques à se prêter à ce jeu qui, du reste, satisfait
l’audimat, cet ectoplasme éructé des « sondagiers » de la vie
superficielle et des phénomènes atmosphériques des humeurs politiques. En fin
de compte, sachez que je ne crois pas une seconde que vous soyez sarkozyste.
Vous êtes plutôt « disloqué », mais rien de grave docteur ; vous êtes
comme beaucoup, dans votre microcosme, partiellement coupé du sens des
évolutions subjectives et des ressentis populaires. C’est presque naturel. Mais
je ne vais pas vous mettre sur le divan pour autant.
Votre
interprétation du verdict des urnes participe selon moi d’une dénégation
(partielle) de réalité, avec un contresens évident. Bien évidemment, des configurations
singulières ont joué. La victoire de Luc Chatel à Chaumont ou celle d’Alain
Cazabonne à Talence. Mais, sur le fond, un message clair, la droite a été
désavouée. Les exemples que vous prenez pour expliquer l’effet local ne
tiennent pas la route. Vous n’avez pas la science des chiffres, Jean-Michel. A
Saint-Etienne, le candidat de la gauche, faisant 46 points contre 41 à la
droite et 12 au MoDem, l’aurait remporté au second tour si le MoDem s’était désisté,
compte tenu des reports de voix prévisibles. Reims, autre signe de votre calcul
approximatif. La droite divisée au premier tour certes, mais pourtant réunie au
second tour et, au final, 14 points à l’avantage de la candidate socialiste qui
l’aurait emporté sans cette querelle des droites. Et Strasbourg, certes, un
passif pour l’équipe sortante, mais pas de quoi expliquer les 17 points d’écart.
Vous ne voulez pas voir un désaveu politique. Qui, du reste, ne concerne pas
spécialement Sarkozy, mais constitue la sanction d’une politique de droite menée
depuis 2002, ce que vous semblez oublier, vous qui jaugez la vie politique à
l’aune des personnalités et des baronnies, vivant, à l’instar des artistes,
dans une autre histoire, dans un autre monde, celui des célébrités, élites,
gouvernants. Pourquoi faire l’autruche, pourquoi invoquer des exemples
desservant à ce point votre démonstration, non sans avoir été provoqué par le
facétieux Jean-François Kahn que je mets dans le même sac, bien que je lui
reconnaisse quelque légitimité de part son érudition historique et cette douce
folie héritée d’Erasme ? De nos jours, saint Augustin évoquerait plusieurs
cités, celle de Dieu et puis celles du monde, avec la cité des médias et
célébrités, la cité des artistes, la cité des gens, chacune dotée d’une
histoire propre.
M.
Aphatie, vous êtes dans la cité des médias, comme d’ailleurs ces politiciens de
droite qui ont fait preuve d’une dénégation de réalité et d’interprétation (la
gauche n’aurait sans doute pas fait mieux en pareille situation). Les uns
invoquant l’abstention, les autres les significations locales, les bons mots
des sondeurs et leurs directeurs délivrant les oracles. Il y a ceux qui votent
par confiance envers une équipe municipale, par conviction idéologique, par
habitude, et ceux qui sont hésitant et font basculer un scrutin. Ils sont les
baromètres de la vie politique, représentent entre 10 et 25 % des électeurs et ce
sont eux qui traduisent le sens des grandes tendances et en l’occurrence en
2008, la défiance des Français non pas vis-à-vis de Sarkozy, mais de la
politique de droite. Certes, Sarkozy a été ostentatoire dans son exposition
médiatique, mais ce n’est pas sur ce critère que l’UMP a reçu une cuisante
défaite. Mais sur du vécu, de la difficulté à exister, à vivre, à voir un
avenir, à joindre les deux bouts, à espérer, à prendre racine dans un mouvement
historique et capter une confiance dans des gouvernements successifs depuis
2002.
L’autre
soir sur Canal, Martine Aubry vous a rappelé quelques fondamentaux sur
la vie des gens, après que vous l’avez titillée sur la gestion du PS, sur qui
sera à la tête, Bertrand, Ségolène... comme si c’était une préoccupation
essentielle des Français. Vous avez été recadré par cette Lilloise au tempérament
froidement chaleureux. Décidément, je vous tiens pour sincère, mais je vous sens
comme l’instrument d’un processus qui vous dépasse. Une improbable ruse comme
dirait Hegel. Vous contournez le sens des élections. Tel un arbitre briefé par
quelque idée préconçue, vous dépossédez les Français du message, du produit
essentiel et alchimique de la démocratie, la représentation et son sens. Vous n’avez
pas vu quelques tacles populaires ni sifflés les hors-jeu de position de la
droite. Mais parfois, vous rectifiez le tir en ciblant les failles
politiciennes car vous n’êtes pas un si mauvais arbitre quand vous le voulez.
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