DAESH, une secte politico-religieuse médiévaliste militarisée
Début janvier 2016, Ali Saqr, un jeune homme âgé d'une vingtaine d'années abattait sa mère d'une balle dans la tête devant une centaine de personnes rassemblées sur une place de Raqqa, fief de Daesh en Syrie. Cette mère réfugiée à Tabaqa pour se soustraire aux bombardements de la coalition était revenue en ville implorer son fils de quitter à son tour la ville. Ali a estimé de son devoir d'en informer l'organisation État islamique qui a aussitôt arrêté la mère pour apostasie, un crime sanctionné par la mort. Cette femme est morte des mains mêmes de celui à qui elle avait donné le jour et devenu un dévot.
Daesh est un État totalitaire doublé d’une secte car il réunit des individus qui ont choisi de vivre un même projet social au sein d’une communauté d’appartenance placée sous la légitimation d’une entité déifiée ayant recours à la violence dirigée contre l’extérieur et l’intérieur. Daesh se considère comme une victime des États honnis membres de la coalition, violence qu’il reproduit au nom de répression dénoncé et le culte des armes y règne en bonne place.
L’État islamique fonctionne sur le principe : « obéissance / commandement & soumission / subordination » cher à J. Freund. Ce postulat à la rhétorique réduite à sa plus simple expression permet de justifier les méthodes mises en œuvre comme la : « notion de nécessité » (S. Tomkiewicz). La discipline « daeshienne » repose sur le totalitarisme, à savoir : idéologie que personne ne peut contredire sous peine de sanctions terribles - unicité de pensée excluant les différences et le pluralisme - contrôle permanent des individus (Friederich et Brzezinski).
L’EI bénéficie de tout un réseau constitué de nœuds de complicités ayant infiltré de très nombreux domaines de la société, certains quartiers semblent avoir bénéficié d’une indulgence coupable de la population et des autorités (Molenbeek). Le jihadisme exploite la tribalisation des bandes de quartiers dont certains de ces jeunes sont en marge du jeu social flirtant avec la délinquance et la marginalité. L’islam radical s’y présente en rédempteur capable d’offrir des projets associatifs : de socialisation, éducatif, humanitaire, d’amendement. Cela nous explique le passage de jeunes connaissant une conduite contraire à l’islam : sexualité, consommation d’alcool de drogue, désintérêt pour la religion, vie débridée, etc., pour un changement radical sur le mode expiatoire et sur fond d’angoisse. La religion est une : « chose éminemment sociale » (M. Maffesoli) et « une idéologie est d’autant plus attirante et séduisante qu’elle prétend répondre à toutes les questions » (E. Fromm). Mais n’oublions jamais que ces Muhajiroun (émigrés) apprentis jihadistes européens sont issus d’États laïcs modernes, si le prétexte religieux à rejoindre l’EI est avancé, leur délibération est surtout parsemé de préoccupations personnelles qui expliquent leur comportement à consommer des Hamburgers, à boire du Coca et à se procurer bien vite une « épouse »...
Daesh représente la négation de la pluralité religieuse et la disparition de tout esprit critique. Ali avait commencé par rejoindre l’Armée syrienne libre opposée au régime de Bachar el-Assad avant de rallier le Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaida et de dériver vers l’organisation État islamique. Les adulescents représentent une cible particulièrement attractive pour les « gourous » jihadistes, ils disposent de plus de temps libre que les pères de familles et il suffit de manipuler leurs aspirations latentes ou déclarées pour leur insuffler une grande utopie, celle qu’ils vont pouvoir changer le monde et découvrir un but à leur vie. La suite repose sur un comportement sectaire : modes de vie alternatifs, se mettre en retrait de la société occidentale, ne pas fréquenter les « mauvais » musulmans. La rencontre se crée sur le mode passionnel voire fusionnel, mais à sens unique, l’ordonnateur entend façonner la recrue, homme ou femme, à son bon vouloir jusqu’à l’estampiller de sa marque de fabrique, copyright EILL, et ainsi concourir à l’enrôlement mimétique d’autres individus immatures qui viendront renforcer l’action de propagande.
Daesh a toutes les spécificités d’une secte, le combattant est investi d’une mission divine, le combat est gémonique, la grille de lecture est orientée, le « clan » vit dans une enclave mentale et géographique. Les manières de se vêtir, de s’alimenter, de prier, de faire ses ablutions, etc., constituent une camisole psychologique et forment autant de barreaux qui entravent le libre arbitre et qui restent à l’œuvre en l’absence du guide spirituel, il s’agit d’une logique de rupture. L’adepte est poussé à des actes de résistance jugés anodins en respectant les diktats du groupe (port du voile, ségrégation sexuelle, etc.) et en repoussant le droit civil et droit pénal de l’État-nation, droits jugés inférieurs au droit coutumier prêché par l’obédience. Savoir dramatiser les petits problèmes du quotidien pour leur offrir une fausse solution peut vite devenir un atout. La désobéissance civique est le seuil d’entrée vers le Panthéon islamiste.
Al Quaïda, Al Nozra, etc., entendent bien conserver les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire entre leurs mains, point de départ à la constitution d’un État d’essence islamique autoproclamé. Un homme politique a parlé à leur encontre, d’« islamofascisme, » voulait-il faire le lien avec la trilogie : un reich (royaume) - ein volk (un peuple) - ein fuhrer (un guide) thèmes développés dans un Mein Kampf, ouvrage en cours de réédition bientôt disponible à la vente : « Je vous propose la lutte, le danger et la mort » toute une population génocidaire a suivi.
Le discours sectaire, dans la mesure où il se propose d’apporter des réponses à un désir collectif partagé, ouvre la voie à tous les excès, voire le recours à la sur-violence. Le succès repose ensuite sur l’écho médiatique qui titille : l’affectif, les confins oniriques, les espoirs, les frustrations et projections. La violence est légitimée si l’on veut revenir à la pureté originelle. L’utopie et la violence ne font jamais bon ménage : « il peut donner lieu à des actes épouvantables, à des tortures et à des tueries, paradoxalement au nom de l’espoir en une vie meilleure, plus sereine et plus harmonieuse » (J.Freund).
Conclusion première : plutôt que d’envisager la pérennité du phénomène sous une forme ou une autre, ne faudrait-il pas réfléchir comment en inverser la tendance, comment le contenir, le neutraliser et ensuite le détruire jusqu’au dernier, bref, conduire une lutte secticide (pardon pour la rime avec insecticide) exterminatrice. Terminer un combat lorsque le perdant lève le pouce revient à courir le risque de le voir revenir pour se venger. Un hadith prédirait que les armées de Rome installeront leur camp dans les environs de la ville de Dabiq et que la bataille finale se déroulera à Jérusalem. Al-Dajjal (l’imposteur) surgit du Khorasan (région à l’est de l’Iran) écrasera les armées du califat et 5 000 combattants seulement trouveront refuge dans la citée de Jérusalem. Lorsque Dajjal se préparera à les exterminer, Îsâ (Jésus) reviendra sur Terre et le transpercera d’une lance et conduira les musulmans jusqu’à la victoire.
Si la mineure d’un postulat est fausse, la majeure ne peut que l’être à son tour. Confondre le contre-terrorisme (volet militaire, l’antiterrorisme relevant lui du judiciaire) avec les jeux du cirque romain ne peut que nous précipiter dans la fosse. La sur-violence ne resterait-elle pas l’ultima ratio regum ou dernier argument nécessaire à la conclusion ?
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