Damned ! Le novichok a encore frappé !
Hercule Poirot n’a pas encore élucidé l’énigme des récents empoisonnements de quatre personnes dans le Wiltshire. Tout ce qu’il sait, c’est que, quelque part, quelqu’un a envie de mettre Poutine mal à l’aise. Mais cela ne constitue pas une preuve. Même pas un indice. Simplement une intuition.
Poirot semble être la seule personne qui se pose encore des questions sur l’identité des auteurs de ces empoisonnements. Tout le monde sait que seuls les Russes ont accès au poison qui a déjà frappé l’espion Skripal. Seulement voilà, le vieux détective belge est un peu maniaque et n’arrive pas à se débarrasser d’un vieux réflexe qui consiste toujours à se demander à qui profite le crime. Et il se pose la question de savoir pourquoi le Kremlin attendrait d’être en plein milieu de la coupe du monde en Russie pour procéder à une nouvelle exécution d’espions déserteurs.
Quatre mois après le crime, la famille Skripal a été mise au secret dans un « lieu sûr », et Poirot n’a pas pu obtenir leurs confidences. Par contre, Mme May a constamment mis en cause la Russie : elle a qualifié l'affaire d’ "incident effronté et méprisable" et le Service de Sécurité MI5 a condamné "les violations flagrantes des règles internationales". Sans aucun doute, les valises diplomatiques servent à transporter l’attirail chimique hérité de la guerre froide et récupéré par les démoniques émules d’un KGB momifié et revitalisé par un savant fou, mais voilà, les détectives privés ont pour principe de ne pas transgresser le caractère inviolable et confidentiel des secrets d’état, ce qui rend difficile la progression de l'enquête. Ca aussi, tout le monde le sait.
Pourtant Hercule se demande pourquoi l’agent secret titulaire de la licence d’utilisation du novichok s’en est pris à un couple sans lien apparent avec les Skripals, dans un lotissement d'Amesbury. Peut-être ces braves gens un peu négligents se promenant à 12 km de chez eux ont-ils ramassé un flacon qui trainait pas terre pour enrichir la collection de fioles pittoresques qu’ils complètent au gré de leurs pérégrinations dominicales. Une telle coïncidence semble improbable et un esprit aussi cartésien que celui de notre héros ne prend pas en compte ce genre de faribole.
A moins qu’il ne s’agisse d’une tentative des services secrets russes pour détourner l'attention de la précédente affaire ? Malin ! Un complot sournois destiné à faire croire que le novichok est disponible à tous les coins de rues, auprès des dealers ou dans les bonnes pharmacies ?
A ce stade de ses réflexions, le fin limier se dit que le motif le plus évident serait sûrement qu’un ennemi de Vladimir Poutine s’ingénie à lui glisser des peaux de bananes sous les pieds.
Seulement voilà, si Hercule Poirot considère qu’il est urgent de garder le silence tant qu’il ne sait rien, ce n’est pas le cas des membres du gouvernement du Royaume-Uni qui ne résistent pas au plaisir de clamer leurs convictions, et en particulier du ministre de l'Intérieur, M. Sajid Javid qui a déclaré qu'il était temps que "l'Etat russe vienne expliquer ce qui s'est passé exactement". Le « ministre de la sécurité », M. Ben Wallace, avait déjà abouti à la même conclusion en considérant, dans la fulgurance d’un raisonnement sans appel que « si les Russes avaient développé le novichok, et qu'ils avaient échafaudé des programmes d'assassinat dans le passé, cela démontrait qu'ils avaient des motifs, une expérience et une pratique confirmés ». Comme son patron ministre de l’intérieur, il est convaincu « avec un niveau d’assurance très élevé » que c’est la Russie le coupable, et pendant sa déclaration, il vibrait sous l’émotion et « la colère qu’[il] ressent[ait] envers l'Etat russe [qui avait] choisi d'utiliser une arme très, très toxique, très dangereuse », et devrait« venir [nous] dire ce qui s'est passé ».
Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu !
Qu’il s’agisse des amis de Poutine ou de ses ennemis, que le crime ait ou non un rapport avec la Russie, ce qui est flagrant, c’est l’utilisation par les services de « fabrication de consentement » autrefois affublés du terme désuet et péjoratif de « propagande » utilisent les plateformes offertes par les événements internationaux pour frapper les esprits. Le sport est le plus flagrant de ces leviers. L'argument selon lequel « la politique devrait être tenue à l'écart du sport » est aussi dérisoire et naïf que celui qui consiste à exiger l'éradication de la corruption et de la fraude.
Pourquoi les hommes d’état financent-ils les grands événements sportifs avec l'argent de leurs contribuables ? Comme le disait von Clausewitz, de tels événements sont la continuation de la guerre par d'autres moyens. Par exemple, l’élimination de l’Allemagne de la coupe du monde la semaine dernière a été une occasion en or pour certains médias de régler son compte à Mme Merkel, et aujourd’hui, les « tabloïds » britanniques font pression sur Mme May pour qu’elle boycotte la Coupe du Monde à cause de l'empoisonnement du Wiltshire (en supposant qu'elle ait jamais eu l'intention d'y aller).
Décidément, cette affaire n’entre pas dans la sphère de compétences de Poirot. Il est urgent de rendre à César ce qui lui revient et confier l’enquête à Blake et Mortimer.
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