Dans la crise ukrainienne, l’Occident cherche-t-il réellement à pousser la Russie vers la Chine ? Et si c’était le contraire ?
L’Occident cherche-t-il à pousser Moscou vers Pékin ? Ce serait, on ne pourrait disconvenir, suicidaire pour l’Europe et les États-Unis d’autant plus que la Chine du XXIe siècle n’est plus la Chine d’Hier, et même la Russie, elle-même, en est imprégnée de cette nouvelle donne. Dès lors posons la question. « Que se passe-t-il alors en Ukraine ? » Une histoire de divorce de peuples issus d’un même peuple, d’un même territoire mais frappés par les vicissitudes de l’histoire. Doit-on s’étonner de ces événements qui se jouent en Europe orientale ? Regardons la mappemonde. Que se passe-t-il ? Partout des conflits là où les enjeux géostratégiques divisent les puissances. D’abord, la donne pétrolière. Toutes les grandes puissances convoitent les grands gisements de pétrole du monde. En plus de la crise économique en Occident qui est loin d’être finie, la donne islamo pétrolière que caractérisent les conflits en Syrie, en Libye, en Egypte, au Nigeria, au Venezuela, en Mer de Chine, est relayée voire supplanté conjoncturellement par les événements en Ukraine, comme ce qui a prévalu en Ossétie en 2012. Et si tous ces événements qui se jouent aujourd’hui dans le monde vont ponctuer l’avenir de demain ? Et cette situation en Ukraine nous amène à se poser la question. « Pourquoi l’Europe, et toujours l’Europe, s’immisce dans les affaires du monde ? » Et surtout que cette immixtion dans les affaires du monde ne s’opère pas sans le consentement tacite des États-Unis.
- Des « enjeux géostratégiques vitaux » auxquels la Russie, elle-même, y est, à son insu associée
Après avoir intégré les treize pays d’Europe centrale et orientale, l’Union européenne peut-elle se prévaloir d’avoir des visées sur l’Ukraine et probablement demain sur la Biélorussie ? Et si on regarde l’histoire, cette construction historique de l’Europe a pris des dimensions continentales depuis exactement la date où l’Union soviétique avait cessé d’exister. L’ex-URSS, qui avait cessé d’exister certes et fait place à la Russie, ne pouvait se séparer de sa fenêtre sur la Mer noire, la Crimée et la ville de Sébastopol qui lui donnaient accès à la Mer Méditerranée, la Mer Rouge et aux Océans.
Alors que l’Europe qui avait intégré la plus grande partie de l’Europe centrale et orientale, aurait pu s’arrêté là, cette intégration des PECO rendant encore plus complexe son Union économique. Au lieu de s’arrêter aux frontières des PECO, elle n’en continue pas moins d’œuvrer pour détacher l’Ukraine de la Russie. Une démarche géostratégique de l’Europe difficile à appréhender. Pourquoi une Union européenne à 28 nations continue-t-elle son expansion à l’Est ? Pour faire pencher la balance géostratégique de son côté ? Quel intérêt pour l’Union européenne d’avoir un pied dans l’Eurasie ? D’avoir un « poste avancé du bloc atlantiste », un peu à la manière d’Israël dans le monde arabo-musulman.
Il est patent que l’Europe comme les États-Unis ont un destin commun, surtout aujourd’hui, avec cette nouvelle page de l’histoire qui a commencé en décembre 1991. La disparition de l’URSS a fait place à l’envol de la Chine, devenue deuxième puissance économique du monde et a fortement régressé l’Occident. Les enjeux et les crises sont devenus multiples dans le monde. Depuis la crise financière de 2008, le rapport des forces entre l’Occident et l’Asie s’est complètement transformé. Le monde unipolaire a vécu.
L’Occident, en déclin depuis les échecs enregistrés en Irak et en Afghanistan et même dans les événements du « Printemps arabe », a perdu et continue de perdre de crédibilité dans l’ensemble des pays du monde. Au bénéfice de la Russie et de la « Nouvelle Chine » ? La question reste posée. Et combien même la crise de 2008 a montré les failles du système économique et financier occidental, l’Occident reste toujours sur la scène internationale. Le problème est « Jusqu’à quand ? ».
Il faut se rappeler que la défunte Union soviétique s’est effondrée par elle-même sans guerre avec une autre puissance par la seule situation de banqueroute économique et financière qu’elle a vécu et ce, malgré la Glasnost (Transparence) et la Perestroïka (restructuration) que son initiateur Gorbatchev a opérées au milieu des années 1980. Ceci éclaire que les nouveaux phénomènes qui sont apparus, la mondialisation et la globalisation, font qu’aucun pays n’est à l’abri, a fortiori l’Occident d’où ils sont partis. D’autre part, la guerre menée par la Géorgie le 7 août 2008, appuyée politiquement par l’Occident, pour récupérer l’Ossétie du Sud a provoqué une riposte armée de la Russie. Elle s’est terminée finalement par une débâcle pour la Géorgie, un revers à l’Occident, et la reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud par la Russie, le 26 août 2008.
Là aussi, malgré son affaiblissement (depuis la fin de l’URSS), la Russie n’en continue pas moins de mettre en échec l’Occident. En mars 2014, la Russie dame de nouveau le pion à l’Occident. Par un référendum pour la réunification de la République de Crimée et de la ville de Sébastopol avec la Russie, et en ratifiant le traité d’admission de la Crimée, elle s’agrandit d’un des territoire les plus stratégiques du monde, et sans tirer un seul coup de fusil. Il est évident que l’Occident ne peut que s’incliner devant la Russie, qui est la deuxième puissance nucléaire du monde. Cependant, ses succès ne libèrent pas la Russie de la pression occidentale. Car il s’agit d’« enjeux géostratégiques vitaux auxquels la Russie, elle-même, y est, à son insu associée ».
- L’Occident répète les mêmes erreurs. Mais peut-il les éviter si ce sont elles avant d’être des erreurs qui font miroiter la puissance ?
Est-ce seulement parce que l’Ukraine est la plaque tournante du transport de gaz Russe avec ses milliers de kilomètres de pipe-lines qui explique cet intérêt de l’Occident pour conclure un accord de libre-échange avec ce pays ? Ou obéit-il à d’autres données géostratégiques majeures qu’il faut définir ? Il faut rappeler que l'Ukraine est un des pays les plus peuplés d’Europe (45 Millions d'habitants), deuxième d'Europe par sa superficie, et surtout il a une grande frontière avec la Russie. Et frontalier avec la Pologne et la Roumanie toutes deux membres de l’Union européenne et de l’OTAN.
Depuis sa sortie de l’ex-URSS, ce pays qui a connu des gouvernements successifs minés par la corruption. Et surtout il est resté dominé par les puissances extérieures. Aussi partagé entre le désir d’intégrer le bloc de l’Ouest et de rester dans le giron de l’Est, il n’a pu trouver l’issue viable vu la forte division de sa population ukrainienne partagée entre russophiles et russophobes et autres ethnies venant compliquer le choix politique du pays.
La crise économique et les offres de l’Union européenne pour un accord de libre-échange accompagnée d’une aide financière qui a suscité une contre-proposition plus avantageuse de la Russie (réduction d’un tiers ses tarifs de gaz et une aide financière sous forme de prêt sans conditions de 15 milliards) a entraîné un bras de fer politique qui s’est porté sur la voie publique dès novembre 2013. Le mouvement de contestation à la place Maïdan suivis de la formidable manipulation médiatique occidentale ont provoqué les événements que l’on connaît aujourd’hui.
Et dans ce rapport de forces et les ingérences sur l’Ukraine font qu’aussi bien l’Occident qui s’est appuyé sur des « partis néo-nazis ukrainiens », il n’avait de choix, que la Russie qui s’est appuyée sur les russophones, n’avait de choix. Les divisions en Ukraine le doivent avant tout à la faible cohésion nationale dont les puissances ont tiré profit. Comme d’ailleurs, les États-Unis, l’Europe ou la Russie se trouvent aussi divisés, par l’enjeu géostratégique que l’Ukraine représente, et par l’approche qu’ils ont des enjeux alors qu’ils sont tous deux concernés par les mêmes contraintes issues de la nouvelle configuration économique en cours dans le monde.
Aussi faut-il souligner que si la Russie a réagi et a pris de court l’Occident, c’est que les événements qui ont eu lieu en Ukraine se sont déroulés à ses frontières et risquaient de mettre en danger sa position stratégique en Mer noire, lucarne sur la Mer Méditerranée. Mais l’Occident peut-il énoncer ce pourquoi il vise l’Ukraine. Et c’est là le problème, l’Occident n’exprime pas assez sa stratégie planétaire à laquelle la Russie n’y voit qu’une expansion du « système occidental » sans réelle contrepartie si ce n’est la suspicion qu’elle génère. On comprend pourquoi un John Mac Cain, ancien candidat républicain à la Maison Blanche vient haranguer les foules à la place Maïdan, ou un BHL (Bernard Henry Levy) qui vise à diviser les peuples au nom de la démocratie occidentale, sans pour autant exprimer les vrais buts visés par l’Occident. Alors que si on réfère aux véritables intentions russes, la Russie de Vladimir Poutine ne souhaite rien d’autre que de se rapprocher de l’Europe de l’Ouest avec qui elle a bien plus d’affinités qu’avec les autres peuples du monde. Or, l’Occident répète les mêmes erreurs. Mais peut-il les éviter si ce sont elles avant d’être des erreurs qui font miroiter la puissance ?
3. « Configuration économique de demain » ou nouveau tournant de l’Histoire
« Le monde est en perpétuel devenir ». En effet, l’éclatement de l’URSS n’est pas venu ex nihilo mais tiré par des causes précises. Pour simplifier l’image, et comme on l’a déjà énoncé dans un précédent article, si c’est en Russie que les peuples envoient une image d’un pays réellement démocratique, « où il fait bon de vivre », où les hommes ont des droits bien plus grands que ceux que les Européens ont en Europe, il est à parier que le peuple ukrainien dans toutes ses composantes n’aurait jamais eu à se désolidariser du peuple russe. Plus important encore, les pays d’Europe centrale et orientale n’auraient jamais quitté la Russie, et l’ex-Union soviétique d’Etat n’aurait pas disparu. Ce serait les Européens qui auraient eu à aspirer à la gouvernance soviétique, ce qui a existé d’ailleurs un certain temps en Occident, durant la « Guerre froide ». Mais cette aspiration n’a été qu’en surface puisque le soviétisme prometteur s’est écarté à ce qu’avaient été « pensé » par Marx, Lénine… puisqu’il est devenu une dictature d’Etat. Le socialisme était dévoyé par l’élite au pouvoir, et fut remplacé par un « socialisme-nomenklatura-goulag » à la place de la « lutte des classes » et l’instauration d’un régime socialiste auquel auraient bénéficié toutes les classes sociales. Donc victime de son propre succès et surtout de l’utopie du projet qui ne pouvait être que transitoire, la banqueroute économique ayant fait son œuvre, les événements se sont précipités et se sont conclus par la disparition de l’ex-superpuissance soviétique dont il ne reste que des vestiges. Cependant l’ex-URSS a rempli son rôle dans l’histoire. Sans ce contre-pouvoir à l’Occident, la libération du monde colonisé aurait certainement été retardée.
Et si les pays d’Europe centrale et orientale, à la fin de la Guerre froide, ont rejoint l’Union européenne, il faut dire que c’est en somme un processus tout à fait naturel. Car tout peuple aspire à la démocratie, tout peuple aspire à la liberté d’expression, à une sécurité sociale, et cela ne peut passer que par une « gouvernance démocratique » et une « alternance politique ». Il y a donc une logique interne dans tout mouvement historique. Et aujourd’hui encore, la situation géopolitique et géoéconomique mondiale est en pleine évolution. L’avènement de grandes puissances économiques telles l’Inde et la Chine a changé fondamentalement la distribution des cartes du monde. Même la Russie intégrée dans le BRICS comme d’ailleurs le Brésil et l’Afrique du Sud n’ont qu’une portée marginale par leur puissance économique et démographique en tant que pays émergents, dans les événements à venir.
Le problème n’est plus dans la démocratie même si celle-ci joue un rôle majeur dans la gouvernance mondiale. Il porte surtout sur l’emploi et la distribution des richesses dans le monde. Ce qui a un impact sur le commerce mondial et la stabilité de l’économie mondiale. Ce qui va toucher les économies nationales, c’est le risque de concurrence acharnée à la fois sur la compétitivité et la captation des marchés mondiaux. Et l’Asie dans sa globalité a des atouts qui sont prépondérants par rapport aux autres aires géopolitiques. Nous nous dirigeons donc subrepticement vers un nouvel ordre mondial. Et l’Occident entend prendre les devants. Il sait que sa puissance économique, surtout financière et monétaire atteindra des limites dans un proche avenir, à l’échéance d’une décennie voire deux. Mais les effets négatifs vont apparaître bien avant l’irruption cette donne. Ce qui, avec l’insertion de l’Asie, surtout la Chine, son pôle central, dans la puissance financière et monétaire dans le monde, changera toute la configuration de l’ordre de puissance mondial.
L’Occident probablement perdra sa suprématie à la fois économique, financière et monétaire. Or, ce devant auquel il se prépare se pose déjà dans l’« élargissement d’une zone de libre-échange avec l’Europe », pour probablement aboutir à un « marché commun atlantiste dans un premier temps et monétaire à la fin ». Dans le même temps d’une décennie voire deux. Mais un marché économique transatlantique dans les projections géostratégiques et géoéconomiques présupposent l’intégration de l’ensemble du monde européen, et par cet ensemble, la Russie ne peut être que comprise par ses plus de 17 millions de km2 constituant la plus grande superficie territoriale du monde. D’autant plus que ce formidable territoire est convoité par les grandes puissances démographiques alors que la Russie subit une diminution de la population difficilement maîtrisable.
Aussi pourrait-on s’interroger : « Que serait l’économie russe si les cours du prix du pétrole venaient à chuter avec la « chute du dollar », en tant que libellé monétaire du pétrole » ? Que rapporterait la commercialisation du pétrole à la Russie ? Une commercialisation qui occupe une place centrale dans sa balance commerciale ? Ne fragiliserait-elle pas l’équilibre de la balance des paiements de la Russie ? Impactant par voie de conséquence la stabilité politique, économique et sociale de la Russie ? C’est à toutes ces questions que tant la Russie qui ne se prépare à la « configuration économique de demain » qui pourrait être extrêmement préoccupante et la prendra par surprise comme elle avait pris l’ex-Union soviétique, tant l’Occident met les bouchées doubles pour en atténuer le choc et qui expliquent l’intérêt de l’Occident pour l’Ukraine et les événements tragiques qui se sont déroulés.
Ce sont ces questions qui se posent à la Russie, et qui vont bien au-delà des sanctions économiques et financières que l’Occident lui promet. Quant à l’Ukraine, tout compte fait « cette crise aura le bénéfice d’avoir délié ce qui l’empêchait d’avancer ». Il est cependant très probable que ni l’Occident ni la Russie n’auront à s’affronter mais auront à dialoguer, à trouver une solution commune ou unilatérale de part et d’autre, mais qui n’enlèvera en rien à la volonté de trouver une position commune. Ce qui relèvera, on ne pourra en douter, des exigences de la Realpolitik.
Telle est la problématique de la situation à venir pour l’Ukraine et pour le monde. Aussi, pour conclure, contrairement à l’opinion rapportée aujourd’hui, que l’Occident ne va pas pousser la Russie vers la Chine, mais, bien au contraire, à s’en rapprocher. Il a tout autant intérêt que la Russie à rapprocher leurs vues. Et cette « configuration économique, financière et monétaire de demain » ne s’adresse pas seulement à l’Occident et à la Russie, mais englobe aussi tout le monde arabo-musulman, qui va de l’Irak, Syrie, Palestine… à l’Algérie. Y compris Israël et le Venezuela et autres aires du monde. Ce sont d’autres cartes qui seront distribués au monde.
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde.com
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