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Danse avec les fous

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  Dans ma jolie chambre capitonnée, le cul à l’air sous une chemise blanche maculée de bave, attachée dans le dos, des chaussons de papier bleu aux pieds, je vais de mur en mur en comptant, additionnant les pas que je multiplie par les secondes, les minutes. Ils m’ont enfermé pour mon bien et celui des autres afin que je ne me blesse et ne fasse de mal à personne. Ce n’est pas que je sois méchant, mais dés fois, ce n’est pas moi qui suis là, à l’intérieur.

   Georges, vous n’êtes pas fou qu’il m’a dit le docteur Jussieu, juste un peu déphasé, en retard de quelques saisons. Chez moi, ils ont dit que j’avais pété un câble, que je n’avais pas le gaz à tous les étages et qu’à l’intérieur de ma tête se devait être un beau bordel. Ils ont dit que j’étais taré comme mémé, seulement la vieille c’est pour toucher les sous qu’ils l’ont fait enfermer.

   Ils ont surtout prit peur quand, après ou pendant une de mes crises, j’ai mangé Napoléon, notre poison rouge, tout cru. Faut dire qu’il me regardait d’un air accusateur et prétentieux à tourner en rond dans son bocal à la con. Voilà pourquoi cet ide a déclenché mon ire. Lorsque j’ai entendu craquer ses écailles sous mes dents, ce fut son Waterloo à Napoléon et mon Austerlitz à moi pendant que mes molaires et mes canines, fidèles grognards, terrassaient le perfide goujon.

   A l’asile, si nous sommes sages, comprenez calme, nous avons chaque jour des pilules de toutes les couleurs. Les bleus m’aident à ne plus penser et calment mes horribles céphalées. J’ai dit au docteur que celles-ci étaient provoquées par Napoléon qui se vengeait en nageant dans ma tête mais je crois qu’il ne m’a pas cru. Mon frère, lui il dit que j’ai une grosse araignée qui se promène entre mes deux oreilles.

   Je végète dans ce nid de cocus, et oui, cocufié par la raison et le bon sens qui parait-il, nous ont abandonné, oublié. Psychotrope est mon ami.

   Le soir, on nous laisse regarder la télévision et là, je vois des gens qui crient comme des hystériques parce qu’ils ont gagné un peu d’argent, d’autres qui se roulent par terre en se sautant dessus parce qu’ils ont mis une balle au fond d’un filet et leurs supporters hurlant des insultes ou se frappant parce que leur équipe a perdu ou gagné. D’autres encore qui défilent en vitupérant des armes à la mains et en brûlant des drapeaux. Voyant tous cela, je me sens moins seul mais je suis triste pour eux car je me dis qu’ils n’ont pas de chance et que c’est peut-être par manque de place qu’ils ne sont pas mes voisins de chambres.

   J’en ai parlé au docteur Jussieu, il m’a répondu que la folie a ses frontières qui sont fluctuantes en fonction des participants, de leurs pouvoirs, des lieux et des évènements, j’ai rien compris…

   Comment se fait-il que la folie se mesure à l’aune de mon cannibalisme sur un poisson domestique alors que des responsables de génocide, de meurtre de masse sur leur population sont des présidents ou des dictateurs reçu partout dans le monde avec des honneurs ? Question idiote car, comme dit le docteur Jussieu, Jojo tu ne connais pas les graduations de l’échelle des valeurs de la folie, elles sont un peu similaires à celles de la justice, selon que vous soyez riche ou pauvre etc.… Tu vois Jojo, il n’y a pas besoin d’être idiot pour qu’ils nous prennent pour des imbéciles.

   Demain, il va m’ouvrir la tête pour voir si Napoléon n’y est pas. Problème de connexions neuronales endommagées sur le pariétal gauche qu’il pense, stimulus HS ou autres conneries auxquelles je n’entends rien sinon qu’une chose est sur, c’est que j’ai l’armée rouge, tiens de la même couleur que feu Napoléon, qui défile sous mon crâne et que sans les petites pilules bleues, elle aurait l’incorrection de faire des heures supplémentaires au pas cadencés.

   Par pitié faites que cesses ce vacarme responsable de mes troubles, plutôt le doux baisé de la mort à cette souffrance permanente qui fait de moi, par instant, un monstre incontrôlable.

   En équilibre sur un fil, les fossés de la folie nous guettent des deux côtés et, il suffit d’une légère brise mal venue, cadeau d’une vie moqueuse, pour faire basculer quiconque dans ses abîmes. Ce monde est un immense asile d’aliénés ou les moins débiles suivent les plus fous à qui ils ont confié les clefs.

   L´ami qui soigne et guérit, la folie qui m´accompagne et jamais ne m´a trahi : Champagne...


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20 réactions à cet article    


  • Gabriel Gabriel 22 mai 2013 14:23

    Merci à vous Achéron et comme l’écrivait Keith Chesterton « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison.  »


  • Vipère Vipère 22 mai 2013 14:54

    Bonjour Gabriel

    Très joli texte ! bien que je n’imagine pas un seul instant que vous soyez concerné par la folie, sans quoi nous serions tous à divers degrés atteints de schizophrénie !

    Ce n’est pas sans rappeler l’excellent Jack NICHOLSON dans "Vol au-dessus d’un nid de coucou ! 

    A quand la suite ? smiley

     


    • Gabriel Gabriel 22 mai 2013 15:10

      Bonjour Vipère,

      C’est sympathique de votre part mais ne vous avancez par trop sur mon état mental car à vivre dans ce monde il faut bien une certaine dose d’inconscience et de folie. Dans vol au dessus d’un nid de coucou, je pense que la plus dangereuse était Miss Ratched l’infirmière en chef. Cordialement 


    • bakerstreet bakerstreet 22 mai 2013 15:18

      J’ai revu « vol au dessus d’un nid de coucou » récemment.
      Il est toujours amusant d’être confronté à un film que l’on a aimé ou détesté, alors qu’on était bien plus jeune.
      Je me souviens qu’à 18 ans, j’avais détesté « les misfits » de John Huston, et adoré ce film.
      Lecture inversée maintenant.
      Ce sont « les misfits » qui m’apparaissent comme un chef d’œuvre.
      « Vol au dessus d’un nid de coucous » reste malgré tout très intéressant, mais je n’en ai plus du tout la même lecture.
      Le type que joue Nicholson renvoie à une dimension de pouvoir que je n’avais pas saisi à l’époque, celle d’un manipulateur qui fiat prendre des risques aux autres pour son propre bénéfice. L’univers psy est caricaturé au service du personnage, ainsi que les autres rôles, qui renvoient néanmoins à des dimensions de pouvoir réelles.


    • Vipère Vipère 22 mai 2013 17:25

      Gabriel

      Je n’ai aucune inquiétude concernant votre structure mentale !

       Certes, la frontière de la raison et de la folie est ténue, mais combien de fois n’avons-nous pas commis « des folies », des achats irraisonnées, des actes contraires à la raison dictés par des sentiments excessifs, pour autant, ceux-ci sont très éloignés de la folie et ne nécessite aucun internement.

      Manger un poisson rouge vivant est juste une blague potache à la portée de n’importe quel terrible garnement. Pas un acte de folie furieuse. smiley

      Par contre mettre le feu à sa maison, comme cela est arrivé à un voisin l’a envoyé recta chez les fous !


    • bakerstreet bakerstreet 22 mai 2013 15:10

      bonjour Gabriel

      Mais le texte est bien trop structuré pour que la folie soit crédible.
      Le décor est théâtral, daté,et ne peut abuser que les gens qui ne connaissent pas le problème de la folie.
      En conséquence il faut allait chercher du coté du symbolisme pour trouver le sens : Comment assumer sa différence dans une société codifiée, et faussement tolérante, compassionnelle et démagogue


      • Gabriel Gabriel 22 mai 2013 15:34

        Salut à vous l’aviateur hautement niché,

        Vous avez mis le doigt sur le symbolisme et, naturellement notre combat quotidien est comment assumer et vivre pleinement ses différences dans une société qui à la fâcheuse tendance à se communautariser et, où le sectarisme à le vent en poupe. Merci de votre passage sur ce post.


      • Bobby Bobby 22 mai 2013 16:24

        Bonjour,

        La folie est, avant tout, un acte politique !

        C’est la mesure de l’intransigeance de ceux qui enferment, de leur manque d’amour... quant à leur compétence, l’expérience de Rosenhan me paraît suffisamment probante !

        Nous ne parlons pas ici de la folie collective qui consiste à suivre le troupeau bêlant des épigones à la barre d’un bateau économique en train de couler sur lequel ils se précipitent (Friedman en étant le pâtre « post mortem »)... et pourtant, cette masse promeut sa propre perte... Dans moins de deux générations, quel sera le nombre de population restant sur terre ?

        La folie véritable est d’accepter les dogmes actuels (cf étienne Chouard)

        Bien civilement

         


        • Gabriel Gabriel 22 mai 2013 17:01

          Chaque acte comporte une dose de folie. Mais il est vrai, comme vous le citez, qu’actuellement la politique financière est au summum de sa folie et les dingues qu’y officient, vont tous nous entraîner dans leurs chutes. Ceci dit, mère nature est entrain de se mettre en colère face à notre inconscience collective. Merci de votre lecture. 


        • Maldoror 22 mai 2013 17:15

          Ah !
          Enfin, un article plaisant à lire, loin des querelles de clochers et de leurs noms d’oiseaux, je vous remercie...Par contre ce n’est pas napoleon qui est dans votre tête mais plutôt Jacques Higelin ce qui, à mon gout, est un moindre mal...


          • Gabriel Gabriel 22 mai 2013 17:22

            Exact Maldoror, Higelin a fait une superbe chanson sur la folie d’ailleurs, j’aurai pu ajouter cet extrait de circonstance : « Car devant tant de problèmes et de malentendus, les Dieux et les diables en sont venus à douter d’eux-mêmes… Dédain suprême… » Merci de votre commentaire.


          • Fergus Fergus 22 mai 2013 17:26

            Bonjour, Gabriel.

            Plus le temps passe, et plus l’on crée de nouvelles cases dans les nomenclatures médicales pour placer les pauvres individus que nous sommes dès lors qu’ils sont sujets à des troubles (entendre par là des comportements qui sortent de la norme ou qui dérangent). En l’occurence, ce qui a dérangé n’est pas que Georges ait dévoré son poisson rouge (encore qu’il y ait des choses qui ne se font pas), mais qu’il l’ait mangé cru, la choses n’étant admise que dans les restaurants japonais. Shocking !

            A Singapour, les visiteurs de la réserve naturelle tropicale de Bukit Timah descendent les sentiers en marchant à l’envers, au risque d’écraser la queue d’un cobra, la chose étant censée être moins fatigante pour les chevilles. Imaginons qu’un type s’essaie au même exercice sur les pentes des Buttes-Chaumont, et nul doute qu’on aura vite fait de la cataloguer comme un doux dément. Bref, de la bonne et belle clientèle pour les consultations de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne.

            Au fait, de la même manière qu’on est toujours le con de quelqu’un, on est également toujours le fou de quelqu’un, du moins un individu bizarre par certains comportements.

            Cordialement. 


            • Gabriel Gabriel 22 mai 2013 22:16

              Analyse très pertinente Fergus mais attention, à disserter de la sorte, Sainte-Anne pourrait vous réserver quelques nuitées à proximité de la chambre de Georges et question électrochoc, les journées y sont, parait-il, électriques… Cordialement 


              • alinea Alinea 22 mai 2013 23:27

                La folie fait peur ; je crois que c’est tout.. ; délabrer ceux-ci à coups de pilules bleues pour être sûrs qu’ils soient maîtrisables..
                Je crois qu’à moi aussi la folie fait peur, mais c’est celle qu’on me raconte ; dans la vraie vie je ne l’ai jamais côtoyée. Où sont passés les ant-ipsychiatres ?
                À part ça , texte plein d’empathie, comme toujours !


                • alinea Alinea 22 mai 2013 23:28

                  Très beau film « vol au dessus d’un nid de coucous »


                • Gabriel Gabriel 23 mai 2013 06:32

                  Bonjour Alinea, ce sont les différences qui effraient et qui font adopter de folles postures vis-à-vis d’autrui alors, que pourtant, elles sont autant de richesse qui devraient, au contraire, conduire au bonheur et à la paix communautaire. Mais faible que l’homme est, dans la folie il se réfugie comme un enfant qui oublie et a peur de grandir. Merci de votre lecture.


                • Phi ka Sō Nathael Dunevy 23 mai 2013 00:48

                  Gabriel
                  .
                   
                   Vous avez l’art du leurre

                                                      sans chapeau à l’article,
                   
                                                                    
                  chapeau l’artiste et non l’art triste. 

                                                  Avez-vous l’humour hacker
                   
                  pour un court tour de tri-cylcle ?


                  • Gabriel Gabriel 23 mai 2013 06:41

                    Nathael, à tout heure se pratique, dans ce monde, l’art du leurre et, affublé d’un nez rouge, fardé comme un clown au chapeau trop petit pour une tête aussi pleine de délire, je laisse libre court au petit vélo parcourant les méandres de mon cerveau. Ainsi, comme vous, je m’offre des instants de quiétudes que je vêts de quelques loques d’humour. Cordialement


                  • jno jno 24 mai 2013 11:56

                    Ces mots sont parmi vos plus beaux et votre texte,
                    .

                    Texte parfaitement au fait défait votre point de vue,

                    prétexté par un fait qui fait part d’une idée bague,

                    qui divague sans dire « hâble »au consensus

                    implicite qui lie ces mots même qui sont lus

                    justes ici par ses yeux : « Paranoïa  ׀  Critique ».

                    Sans sustenter de plus tenter de sous entendre,

                    que sous les câbles d’Eloi il y a des lois zigzags

                    assisses sur les lois, aux assisses bien tôt préconçues.

                    Sans jamais vous haïr, je voue sans frémir, car de vous j’ai tant lu.

                    Texte à l’effet fable haut en tics, autant t’y citer Dali nu :

                     

                    « La différence entre un fou et moi, c’est que je ne suis pas fou. » Vu !



                    • Gabriel Gabriel 25 mai 2013 08:18

                      Bienvenue à vous jno, poète des mots, jongleur de la syntaxe, saltimbanque de la rime. Ce n’est pas tous les jours que nous avons la chance d’accueillir sur ce site un esprit ami. Merci de votre bienveillance vis-à-vis de ma folie et à bientôt de vous lire.

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