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Accueil du site > Tribune Libre > De Gaulle, es-tu là ?

De Gaulle, es-tu là ?

"Je ne pense pas qu’il soit sain et démocratique d’investir, comme aujourd’hui, de moyens aussi larges et aussi incontrôlés un seul homme et pour sept ans [...] Un homme élu par trente millions d’électeurs est forcément très puissant ; or, volontairement, on n’a prévu aucun contrepoids, aucun partage, aucune institution de contrôle." (Pierre Mendès-France, Choisir, 1974)

"Si sous la IVe République le gouvernement était comme dissous dans l’Assemblée, il est aujourd’hui dissous dans la personne du chef de l’Etat". (Pierre Mendès-France, La république moderne, 1966)

A bas les partis !

C’est le nouvel épouvantail à la mode depuis l’envol de François Bayrou dans les sondages : la IVe République.

Nous savons que le désormais « troisième homme » a fondé toute sa conquête de l’opinion sur une stratégie assez simple : se présenter comme l’homme hors du système, au-delà de la division bipartite UMP-PS.

Il n’en fallait pas plus pour les fins experts du PS et de l’UMP pour voir en François Bayrou la réincarnation de cette vilaine « troisième force  » de la Quatrième République, que l’on a pris l’habitude d’accabler de tous les maux des années 1950 : l’impuissance et l’instabilité politiques, la faiblesse et l’incurie pendant les guerres coloniales, etc.. François Bayrou, c’est donc l’homme qui voudrait renouer avec les compromis mous des partis de la Quatrième, « restaurer la cohabitation  », selon les termes de Christiane Taubira. Pour Lionel Jospin, « ce que propose M. Bayrou provoquerait une grave crise politique... non pas cette fois à partir de ses marges... mais en son centre même » (Le Monde, 19.03.2007). Pis, si l’on suit Dominique Paillé, porte-parole de l’UMP, François Bayrou, en se positionnant contre le jeu de l’alternance politique PS-UMP, voudrait mettre fin à la démocratie elle-même ! François Bayrou serait donc le restaurateur inavoué des grandes alliances transpartisanes de la IVe République et le dangereux dynamiteur du bipartisme de la Ve République !

Pourtant, toutes ces attaques ne seraient pas aussi savoureuses si François Bayrou n’accusait lui-même Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy d’être les «  candidats de leur seul parti », ignorant l’intérêt supérieur de la nation et l’esprit rassembleur de la Ve République. En somme, ce n’est pas lui qui voudrait restaurer la IVe République mais bien ses deux adversaires, qui se complaisent dans l’alternance de deux partis. A ses yeux, le PS et l’UMP sont coupables d’avoir restauré le « régime des partis », tant critiqué par de Gaulle ; à l’écouter, il serait ainsi le seul candidat capable de retrouver l’esprit de la Constitution de 1959.

Il faut avouer qu’il y a là quelque chose de comique : nous avons donc deux camps : d’un côté, François Bayrou, de l’autre, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, qui se rejettent mutuellement l’accusation ignominieuse de IVe République. C’est à en perdre son latin... Mais enfin où se cachent-ils donc, ces crypto-molletistes, ces Pinay et autres Pflimlin inavoués, qui s’entendent à détruire l’héritage du Général ? Est-ce François Bayrou, ou faut-il soupçonner ses deux rivaux ? Et, à l’inverse, qui sera le valeureux chevalier, le saint gaulliste qui saura enfin abattre l’hydre des partis pour aller à la rencontre de son peuple ? Pour l’instant, on ne saurait trop le dire, mais on sent bien qu’il y a dans ces déclarations contradictoires un flou, voire une gêne, sur le sens du mot « parti » : invoqué d’abord comme un élément constitutif du jeu démocratique et de l’alternance par le PS et l’UMP, il peut être aussitôt conspué lorsqu’il évoque le « système des partis  » de la Quatrième République, synonyme d’immobilisme et d’impuissance. Le « parti » semble ainsi être la boîte noire de notre régime politique  : il est l’objet de discours ambivalents.

Cette ambiguïté exprime d’abord une chose : la prégnance, dans notre vie politique, des représentations de la genèse gaullienne : avant 1959, tout n’était que chaos, confusion et multipartisme ; après, tout ne fut plus qu’ordre, beauté et bipartisme ; mais prenez garde ! le spectre des partis et de la IVe République ne cesse de hanter nos institutions, et seuls quelques prophètes illuminés, tels François Bayrou, continuent de nous avertir et de réclamer le retour aux sources gaulliennes. Ne soyons pas injustes, les autres candidats ont aussi leurs talents de prophète : inutile d’insister sur les fulgurances de Nicolas Sarkozy ; mais regardons Ségolène Royal : n’a-t-elle pas découvert récemment la pierre philosophale de sa victoire : « C’est ce que les Français veulent : une élection présidentielle, c’est un lien direct avec le peuple. C’est la nature même de l’élection, il m’appartient d’être libre » (Le Monde, 16.03.2007). Ségolène Royal a donc eu sa révélation gaullienne, le vieux général lui a parlé et lui a soufflé à l’oreille : tu ne gagneras pas avec ton parti mais en t’en libérant, en retrouvant les vertus de la geste gaullienne, rassembleuse du « peuple » au-delà des partis, au-delà des classes sociales.

Esprit de De Gaulle, es-tu là ? Le parti est à notre vie politique ce que le pêché et le corps sont à l’homme de l’Eden : cette chose refoulée, dont on ne veut trop parler, mais avec laquelle il faut pourtant vivre. Le parti est le triste sort commun de la politique, sa condition même d’existence, mais chacun rêve de s’en affranchir. Mais voilà les prophètes : sous les oripeaux du vieil homme, nos lumineux candidats disent sans cesse avoir retrouvé l’esprit de la lettre de 1959.

Les partis apparaissent ainsi comme de vieilles breloques, un pis-aller, un mal nécessaire ; ce qui compte au final, c’est le génie propre d’un homme. Et malheureusement, cette surenchère de « personnalisme », de présidentialisme, ne s’arrête pas aux trois grandes formations : presque partout, c’est à celui qui nous offrira la plus belle profession de foi gaulliste. Même José Bové s’y met : à l’entendre, il est l’homme de la vraie vie, lui, de la vraie société, au-dessus de tous ces partis gauchistes mesquins et « politiquement patriotes » ; car, lui, il a tout compris bien sûr, tandis que les autres partis de la gauche radicale ne sont qu’une bande de tâcherons en dehors de la réalité et attachés à leur petite boutique parti-sane. Ah ! les partis, sale engeance tout de même : on se demande bien pourquoi on s’encombre encore de ces mauvaises machineries qui empêchent le peuple (le vrai) d’aller à la rencontre de son grand homme.

Vive le parti !

Et pourtant, quelque chose cloche. Ces grosses machineries, tant dénigrées, fonctionnent en réalité plutôt bien dans cette campagne présidentielle  : au PS, à l’UMP et même à l’UDF, les discours sont plus que jamais contrôlés et intégrés dans des stratégies de communication très rôdées. Tout écart, toute nuance, exprimés en dehors de la « ligne du parti », sont donc bannis.

Ainsi, le coup de tête d’Eric Besson au PS est révélateur : voici que ce dernier exprime une quelconque réserve sur le financement du « pacte présidentiel » de Ségolène Royal et qu’aussitôt le monde politico-médiatique se met à parler d’« illisibilité », d’«  inefficacité » et voit déjà le PS sombrer dans les gouffres de sondages surinterprétés. Puisque c’est la mode depuis la mort du sociologue Jean Baudrillard, disons-le, le clash d’Eric Besson « n’a jamais eu lieu » : il est largement une création médiatique ; qui sait ce qu’aurait donné le désaccord d’Eric Besson, en dehors d’un système politico-médiatique si extrémiste, qui ne réclame qu’univocité et lisibilité ? Peut-être pas une démission... Rappelons-nous aussi de François Hollande, qui avait « osé » proposer de relever les impôts pour les revenus supérieurs à 4.000 euros sans en référer à sa chère compagne ; aussitôt avions-nous vu les médias et la classe politique s’agiter autour des problèmes de « communication » du PS, etc, etc. A ce petit jeu de la présidentielle, toute discussion entre représentants d’un parti est ainsi immédiatement lue comme une faiblesse et mérite sanction aux yeux des sondeurs et des exégètes professionnels de la vie politique. Et pourtant, depuis quand discuter d’un sujet est-il un tort en politique ? Dans un parti en lutte pour la présidence, les avis et les tendances se taisent, comme les consciences dans une armée en marche.

Ce phénomène n’est d’ailleurs sans doute pas étranger à l’éclatement du front de la gauche antilibérale. Car quelle est la signification de cet échec si ce n’est l’inadaptation d’une formation plurivoque dans le cadre d’une élection présidentielle qui favorise l’univocité des discours et la personnalisation du pouvoir ?

Bref, en dehors du parti monolithique, rassemblé, aussi lisse que du papier glacé, point de salut possible dans cette Ve République. Paradoxalement, la Constitution de la Ve République - qui devait mettre fin au « régime des partis » - semble donc avoir plus que jamais renforcé les partis. Ou plutôt faudrait-il préciser immédiatement qu’elle a accru la cohésion interne des grands partis, tout en affaiblissant le pouvoir parlementaire, l’instance même d’expression des partis : au final, nous avons donc un renforcement interne et un affaiblissement externe (autant au regard de leur rôle institutionnel, de leur enracinement militant dans la population que de leur légitimité politique : voir le score des grandes formations aux élections récentes, qui ne cesse de baisser). Renforcement interne et fragilisation externe, tel pourrait donc être le secret de ces partis de la Ve République, à la fois invoqués et révoqués.

Après avoir constaté l’ambivalence des discours sur les « partis », nous découvrons que l’évolution réelle de ces partis est elle-même ambivalente. Y a-t-il un lien entre ces deux ambivalences, celle des mots et celle des choses ? Peut-on supposer que le discours « libéré » des candidats, avec toutes ses ambiguïtés, n’est que la manière illusoire de se masquer la profonde crise réelle des partis politiques en France ?

Nous avons en effet de lourdes machines, coupées de leur électorat, qui tendent à se rigidifier fortement, excluant, bannissant, excommuniant toute opposition, qui en même temps ne cessent de s’affaiblir à chaque élection, mais auxquelles les dirigeants font mine de ne pas appartenir en empruntant les grimaces gaullistes (avec les discours récurrents «  antisystème » ou de « rupture »). Il est légitime de se demander combien de temps ce grand écart va durer... On ne peut pas indéfiniment se présenter comme le candidat « antisystème », antipartis, tout en forgeant son ascension politique grâce à un parti. On retrouve là le problème majeur de la campagne de Ségolène Royal ou de François Bayrou... La posture de de Gaulle en 1958-1959 était une posture de crise : il pouvait apparaître comme le rénovateur, venant de l’extérieur, étranger au système. Voilà la force politique de De Gaulle, mais celle-ci ne valait que le temps d’un homme et d’une crise. Aujourd’hui, les « grands » candidats continuent à fonder leur légitimité politique sur cette extériorité au système, alors qu’ils doivent la force de leur assise politique à leur parti. Le spectre de De Gaulle hante plus que jamais la vie politique française, mais ce discours génétique gaullien se révèle de plus en plus contradictoire avec l’évolution réelle des partis, et contribue même à accélérer leur affaiblissement et leur déligitimation. Le discours gaullien déligitime les partis, et les candidats de ces partis déligitimés et affaiblis en appellent paradoxalement au discours gaullien pour se relégitimer. Le serpent se mord la queue, la vie politique française s’est enfermée dans un cercle vicieux. Et Le Pen continue de monter...

L’ascension de François Bayrou a donc au moins ce mérite : elle révèle plus que jamais les contradictions à l’œuvre dans les fondements idéologiques et les pratiques politiques de la Ve République.

1 Un journaliste de France 2 a imaginé une interview imaginaire avec Pierre Mendès-France (1907-1982) pour le centenaire de sa naissance : les réponses sont faites à partir des déclarations réelles de PMF dans les années 1950-1970.

http://elections.france2.fr/presidentielles/2007/interviews/27671408-fr.php

Voir aussi :

http://www.rajf.org/article.php3 ?id_article=619http ://www.rajf.org/article.php3?id_article=619

Les propos éclairants d’un professeur de droit constitutionnel, partisan de la suppression des élections présidentielles.

http://www.la-sociale.net/article.php3?id_article=220

http://www.acrimed.org/imprimer.php3?id_article=2343


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