De grâce, la grâce pour Troy Davis !
21 septembre 2010 : Sakineh Mohammadi Asthiani, jeune femme iranienne accusée, après un adultère, du meurtre de son mari, voyait sa peine de mort par lapidation commuée en prison à perpétuité.
Je me souviens : la poignée d’intellectuels que nous fûmes, au départ, pour tenter de sauver la pauvre Sakineh d’une mort aussi atroce, ne put que se réjouir, après avoir réussi à mobiliser les foules en sa faveur, de pareille décision de la part des autorités politico-religieuses de la République Islamique d’Iran, pays pratiquant la « charia », cette obscurantiste « loi coranique ».
Ainsi Sakineh, bien que son sort ne soit guère beaucoup plus enviable aujourd’hui et qu’elle croupisse non moins honteusement dans une infâme prison de Téhéran, est-elle encore, aux dernières nouvelles, vivante. Reste à espérer qu’elle sortira un jour, et le plus tôt possible, de cette cauchemardesque justice !
La justice, parlons-en, précisément !
21 septembre 2011 : Troy Davis, jeune homme afro-américain accusé, après une incartade, du meurtre d’un policier blanc, ne voit toujours pas sa peine de mort par injonction létale commuée, après vingt ans de cachot, en un autre et quelconque type de peine, pas même la prison à perpétuité.
Et là, face à cet homme que tout porte à croire en outre innocent, je n’ai guère de raison de me réjouir du bien cruel et injuste sort que l’hypothétique justice américaine est sur le point, dans quelques heures (19h00’, heure américaine ; 23h00’, heure locale), de lui réserver avec un cynisme qui fait froid dans le dos.
Mais, à défaut de réjouissance, j’ai tout de même, en l’occurrence, un souvenir, même s’il s’avère des plus amers : celui, l’année dernière, à la même époque, d’une Amérique qui, arguant de sa prétendue modernité et brandissant son encore plus fumeuse démocratie, entendait faire la leçon précisément, au nom des droits de l’homme et même de la simple vie, à cet Iran qui allait lapider, pratiquant les méthodes les plus barbares, Sakineh.
Ô, l’ignoble morale à géométrie variable, fruit sec et nauséabond d’un humanisme de sheriff, sinon de pacotille : cette hypocrite Amérique, championne hors catégorie du « deux poids, deux mesures », voit certes toujours la paille qui est dans l’œil de son voisin, mais ne voit jamais la poutre qui est dans le sien !
Car le pauvre Troy, lui, ne pourra probablement pas compter, à moins d’un miracle, sur la clémence de ses juges, contrairement - le paradoxe n’est pas des moindres - à ceux, pourtant réputés peu sensibles au respect de la dignité humaine, qui, malgré leur fanatisme d’un autre âge, laissèrent finalement Sakineh en vie.
Ainsi, en d’aussi pénibles et révoltantes conditions, ne me vient-il à l’esprit, en guise de conclusion à cet humble et peut-être tardif plaidoyer pour Troy Davis, que la toute récente déclaration, à ce sujet, du très estimable Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux (le Ministre français de la Justice) et, à ce titre, glorieux père, il y a trente ans, de l’abolition de la peine de mort, sous la présidence de François Mitterrand, en France : « Ce qu’on se prépare à commettre de sang-froid, c’est un crime, un crime judiciaire, et le pire qui soit : l’exécution d’un innocent par la machine judiciaire aveugle ! », vient-il en effet de marteler, très justement, sur les ondes d’une importante radio nationale. Et d’ajouter, non moins opportunément, que c’était là « une tache sur la justice américaine ».
Quant à moi, je n’aurai, pour terminer, que ces quelques mots, dictés par ma seule conscience mais adressés au Gouverneur de Géorgie, l’un des trente-six Etats, sur les cinquante qui composent l’Amérique d’aujourd’hui, à encore pratiquer, au XXIe siècle, cet inique sommet de barbarie, malgré des moyens très « high tech » comme le préconisent les pénitenciers au pays de Barack Obama, qu’est la peine de mort : de grâce, la grâce pour Troy Davis !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, écrivain, professeur à l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège et professeur invité au « Collège Belgique », sous l’égide de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et le parrainage du Collège de France.
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