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Accueil du site > Tribune Libre > De J. Habyarimana (†1994) à P. Kagamé et à J. Swinnen (Ambassadeur (...)

De J. Habyarimana (†1994) à P. Kagamé et à J. Swinnen (Ambassadeur Belge au Rwanda 90-94) II/II

De Johan Swinnen[1] (1990) à Juvénal Habyarimana (1994†) et de Johan Swinnen1 (2016) à Paul Kagamé (2019) : L'Ex-Ambassadeur belge au Rwanda Johan Swinnen exige la poursuite de la recherche de la vérité à propos du Génocide rwandais ! (II/II)[2] :

Approche du livre « Rwanda, mijn Verhaal »- « Rwanda, mon récit » de J. Swinnen

Avertissement : pour ceux que la longueur (rébarbative) de ce papier découragerait, je propose d’aller directement sous les URL suivantes

http://www.france-rwanda.info/2018/09/uploaded-by-equi-libres-on-2018-09-22-audio-en-debat-johan-swinnen-un-grand-commis-de-l-etat-20-septembre-2018-par-jean-jacques-durr et/ou https://youtu.be/l78y0szkxlo

 

Dans la seconde partie de cet article, j’en arrive à une tentative d’examiner ce que je crois percevoir dans le livre de l’ex-Ambassadeur Belge au Rwanda, comme un éclairage sur le Génocide des Tutsis du Rwanda. Eclairage qui, pour moi, orienterait le cheminement intellectuel et la trajectoire culturelle, de l’Ambassadeur, lors du Génocide et depuis lors.

Des domaines abordés dans ce récit, domaines que j’ai retenus pêle-mêle pour être objet de « mon examen critique », j’en ai voulu limiter le nombre qu’à quelques - uns, parmi tant d’autres, aussi significatifs. Ces sujets retenus ici semblent poser problèmes dans la démarche, adoptée (et annoncée) par l’auteur, d’absence « d’investigation », d’abstention « d’analyse » et surtout de refus de « mise en perspective transchronologique ». Je rappelle que Johan Swinnen avait annoncé : « Le récit devait coller au plus près des faits et de mes analyses de l'époque et ne pas être "revisité" par de nouveaux développements ou idées » (Dommage !)

 

Je laisse à ceux qui auront le courage d’aller jusqu’au bout de ce texte le soin d’extraire des « non – dit », « silences » et « sous – entendus » diplomatiques, le signifié sous-jacent et la leçon qu’ils penseront pouvoir en tirer. Car comme me l’a fait découvrir un ami ornithologue, qui a passé des années à étudier le chant de l'alouette des champs, « ce qui importe dans le chant de l'alouette, ce qui fait signification, ce sont les silences"[3].

 

A - « La diplomatie »

La manière dont l’Ambassadeur belge adopte des tons différents vis-à-vis de ses compères du milieu diplomatique n’est-elle pas particulièrement révélatrice de certains points de vue, semblant bien être les reflets de « consignes-instructions du Département en métropole » ?

1) Sur le plan diplomatique belgo-belge justement : « Pourquoi l’ex-Ambassadeur belge Luc Darras, prédécesseur de Serge Swinnen, a-t-il été rappelé à Bruxelles, après trois ans en poste (donc, avant la fin d’un terme normal de +/- quatre ans : « Mais cela pouvait paraître normal » sic ! Swinnen) alors qu’il n’y avait aucun indice d’« incident, de tension » entre la Belgique et le Rwanda à ce moment ? .... Faut-il rappeler que c’était le lendemain d’une visite de Casimir Bizimingu[4] à Bruxelles, la veille de la venue du Pape Jean Paul II à Kigali (07/09/1990), l’avant-veille d’une mission parlementaire belge au Rwanda (22/09/1990) et de l’invasion du Rwanda par l’Ouganda (01/10/1990) ? Le rappel d’un ambassadeur n’est pas un détail de l’histoire, comme on vient encore de le voir entre la France et l’Italie. Alors qu’en est-il de l’avis de l’auteur sur une telle procédure (« cela pouvait paraître normal, et son rappel ne devait pas être perçu, en soi, comme "avancé". »), quelques jours avant les événements « précurseurs – annonciateurs » du drame de 1994 ?

2) Sur ce même plan, l’Ambassadeur fait remarquer que lors des deux missions ministérielles belges de « bons offices » (qualifiées de « safaris » par le Ministère des Affaires Etrangères et la presse belges), diligentées par Bruxelles dans la région des Grands Lacs, dès octobre 1990, les « escales à Kigali » n’avaient même pas été prévues. Veut – il, en citant ce fait, faire remarquer que d’ores et déjà les interlocuteurs de hauts niveaux étaient l’Europe et les Etats Unis (et leurs vassaux) à l’exclusion du Rwanda, pays qui demandait pourtant l’inscription de la question de son agression par l’Ouganda à l’ordre du jour du Conseil de Sécurité de l’ONU ? Il précise cependant que pour lui ces missions étaient des « occasions manquées ». Ne devait-il pas, dès lors, préciser ce que sont des « occasions » manquées » ? Ne serait-ce pas là une des sources des sentiments anti-belges ultérieurement manifestés, entre autre dans les médias rwandais [5] ? L’Ambassadeur admet « paradoxalement - » : qu’« au cours de la deuxième semaine de novembre 90 ce fut au tour de la diplomatie française de s'aventurer sur le terrain....La tournée commença et s'acheva à Kigali, une rupture de style avec les safaris belges qui avaient laissé délibérément de côté la région territoriale rwandaise ». Une coup de chapeau diplomatique à la France, puisqu’il s’agissait pour elle de ne pas « manquer cette occasion » ? C’est pas crédible...alors ?

3) Les rapports avec l’Ambassadeur US, Robert Flaten, semblent aussi décrits sous un « certain » jour : « Au cours d’un drink improvisé, lors de la fourniture de 12 jeeps destinées au GOMN[6] par la Belgique, Flaten, debout, leva son verre et s’en référant à la politique américano - rwandaise déclara : « We go with the French ! ». L’Ambassadeur Swinnen qualifie cette « sortie spontanée » de Flaten comme « déplacée, non professionnelle et inélégante », qualifications confraternelles relativement peu diplomatiques. Flaten quitte le Rwanda fin décembre ’93. Notons au passage que Robert Flaten est cité 7 fois dans l’ouvrage.

4) David Rawson[7] remplaça Robert Flaten, officiellement à partir du 8 Janvier 1994. Le 7 janvier 1994, veille de la présentation de ses lettres de créance au Président rwandais, Rawson aurait rencontré, suivant certaines sources, Paul Kagamé, à la résidence de l’Ambassadeur à Kigali. Or l’Ambassadeur n’en fait aucune mention dans son livre, déclarant au contraire qu’il était, à cette époque-là, en safari avec sa famille jusqu’au 11 janvier en Tanzanie et au Kenya. Etonnant, alors que la fin des vacances scolaires de Noël de ses enfants était fixée au 6 janvier. Il est étonnant, également, qu’un personnage US, aussi important, ne fasse l’objet que de si peu de commentaires (David Rawson n’est cité que trois fois par Johan Swinnen). Et ce, compte tenu que David Rawson ne devait pas être un inconnu de Johan Swinnen puisqu’ils étaient , en 1972, quasiment au même moment, en poste diplomatique, au Burundi voisin du Rwanda (au moment du génocide des Hutus à Bujumbura). De plus David Rawson a été un des « facilitateurs » d’Arusha au même titre que Swinnen !!! David Rawson a été déclaré « persona non grata » au Rwanda, depuis 2010 !!!! Etonnant que cela ne frappe pas L’Ambassadeur Swinnen ?

5) Les réflexions de l’Ambassadeur belge à propos de la diplomatie française sont symptomatiques : « Georges Martres avait dépassé l'âge de la retraite de trois mois « lorsqu'il a été mis fin à sa mission ». Habyarimana avait fait des efforts acharnés pour persuader le président Mitterrand de prendre cette mesure de faveur exceptionnelle ..... En dépit de ma grande appréciation pour mon collègue .... sans contester les talents diplomatiques de celui-ci ...... notre relation a été entravée par la différence de génération entre un sage expert .... en fin de carrière et un jeune diplomate ..... Le fait que Paris n’a pas toujours adopté la transparence souhaitée a eu comme conséquence que parfois son propre ambassadeur se trouvait devant le fait accompli. Et cela n'a pas aidé à corriger le comportement quelque peu « sphinxactique » (sic !) de Georges Martres ». En ce qui concerne le successeur de Martres, Jean-Michel Marlaud, l’Ambassadeur n’en parle quasiment pas sauf pour faire remarquer qu’il était le seul à sortir dans Kigali, les jours qui ont suivi l’attentat. L’Ambassadeur sous-entendrait-il que Marlaud était couvert d’une manière symptomatique par les faveurs que lui accordait le drapeau français vis-à-vis des hordes de génocidaires qui terrorisaient Kigali ?

6) Un dernier point soulevé par l’Ambassadeur se rapporte, assez mystérieusement (diplomatiquement), au refus qu’aurait essuyé, le 25 février 94, de la part de(s) membre(s) du Conseil de Sécurité, le représentant permanent aux Nations Unies, l’Ambassadeur Paul Noterdaeme, concernant une demande belge réitérée de renforcement des moyens de la Minuar. La réponse à cette démarche aurait été : « Dallaire vient de passer et n’a même rien demandé ». Est-ce une critique diplomatique de Boutros Boutros-Ghali, de Kofi Annan, de certains membres du Conseil de Sécurité de l’ONU ou de Dallaire ? Ou bien s’agit-il de se disculper de s’être satisfait de cette démarche infructueuse (coup téléphoné ?) ? Alors qu’« on » s’attendait à Bruxelles qu’elle n’obtienne le soutien « ni des USA ni celui de l’Angleterre ni même celui de la France ». Etrange (sauf erreur de traduction) ?

B – « Les forces en présence »

1) L’Ambassadeur écrit qu’en février 1994 : « Des camions-FPR ont été signalés qui approvisionnaient le Rwanda depuis l’Ouganda. », « Je me demandais : avec de la nourriture et/ou des armes ? » Est-ce de la naïveté ou un langage diplomatique ?

2) En ce qui concerne les « Inyenzi », terme par lequel les Rwandais désignaient le FPR, l’Ambassadeur signale que cette appellation date de 1959 et que la traduction du mot est cancrelat, blatte ou cafard ; toutes qualifications très péjoratives pour des francophones quand elles veulent dénigrer quelqu’un. Mais ce que ne dit pas l’Ambassadeur c’est que ce mot serait l’acronyme de l’expression : « Ingangurarugo Yiyemeje Kuba Ingenzi » soit « Le combattant de la milice Ingangurarugo qui s’est donné pour objectif d’être le meilleur », nom de guerre dont les milices Tutsies s’affublaient durant la période 1960-67[8]. A cette époque des Tutsis se préparaient, par les armes, au retour d‘exil suite à la révolution sociale de 59, à l’abolition de la monarchie et à la proclamation de la république en 61.

3) La présence militaire américaine à Bujumbura, quelques jours avant l’attentat n’a été révélée, dans la presse d’une manière explicite, qu’au cours de l’année 2012[9]. Elle n’avait pas fait l’objet d’une information destinée à l’Ambassadeur, en 1994. Cela pourrait sembler sans doute peu vraisemblable et certainement difficilement acceptable que les services de renseignement des autres pays européens (dont la Belgique) qui avaient des nationaux à évacuer, n’aient pas été avertis, compte tenu de l’importance de l’opération US « Distant Runner ». A moins que cette opération de « rescue » ne devait en même temps servir de camouflage à d’autres interventions sur le terrain, comme Samantha Power l’a suggéré dans son livre « A problem from Hell ».[10]

C – « Les attentats »

1) Emmanuel Gapyisi[11] († 18/05/1993). L’ambassadeur se pose la question de savoir qui sont les assassins de Gapyisi. Ses informateurs à l’ambassade ne lui ont sans doute pas rapporté que lors des funérailles de Gapyisi, sa veuve a accusé publiquement Twagiramungu[12] dont la trajectoire politique posait de nombreuses questions, entre autres celles de son allégeance secrète à Kagame.

2) Ndadayé[13] († 21/10/1993) Les informateurs de l’Ambassade au sujet de l’assassinat de Ndadayé ont signalé la présence de Kagame juste avant le coup, à Bujumbura. L’Ambassadeur en conclut que dès lors les Tutsis seraient « naturellement » considérés comme les auteurs ..... On semble entendre une théorie du complot comme quoi Ndadayé aurait été « assassiné par les siens, sous fausses bannières », pour en faire porter « naturellement » la responsabilité aux Tutsis. Dans l’interview référencée en début de texte l’Ambassade dit qu’il consacre tout un chapitre de son livre, à cette douloureuse question de l’assassinat de Ndadayé = « Chapitre 16 - Le coup de massue de Bujumbura : pp 429 – 441 = 12 pages/599 » ; effectivement tout un chapitre. Diplomatique ?

3) Gatabazi († 21/02/1994). L’Ambassadeur appréciait Gatabazi. Il a rencontré son épouse qui lui a confié qu’elle-même et son défunt mari avaient été jetés en prison en 1984 (Par Habyarimana, évidemment). L’Ambassadeur relève les raisons de cette arrestation. Celle-ci aurait été exigée par le HCR suite à une question de détournement de fonds dans la fourniture de bois de chauffe au camp du Mutara, des 40.000 Himas réfugiés, d’origine rwandaise, expulsés d’Ouganda, en 1984. Le couple Gatabazi fut condamné respectivement à 1 ans et 6 mois de prison. L’Ambassadeur sous-entend que l’a malversation n’a pas été prouvée. D’où tiendrait-il cette information ?

4) La centrale hydroélectrique de Ntaruka, située entre les lacs Buléro et Luhondo (séparés par une dénivelée de 100 m due au relief volcanique des contreforts du Muhabura) devait être « prise » par le FPR, le 2 février 1991 lors de sa première attaque sur Ruhengéri (à +/- 20 km de la centrale). Cette opération fut remise probablement à cause de l’arrivée rapide de l’armée française à Ruhengéri, pour l’évacuation des ressortissants expatriés. La centrale fut sabotée et définitivement mise hors service les 7 et 8 février 1993, privant le pays de 25% à 30% de son approvisionnement en énergie électrique[14]. S’agissant d’un crime de guerre, commis 7 mois avant la signature des accords d’Arusha, ne pourrait-on s’étonner qu’il semble devoir être présenté, diplomatiquement (?), plus comme un dégât collatéral de la dernière attaque FPR sur Ruhengéri que comme une atteinte à la convention de Genève, aux conséquences incommensurables.

D - La propagande

1-Les radios.

La Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLMC) a été l’agent d’une propagande virulente, anti FPR. Elle se radicalisait de mois en mois, entre autre vis-à-vis de la Belgique. L’Ambassadeur ne se cache pas d’être intervenu fermement auprès de la Présidence rwandaise pour tenter de minimiser l’impact de cet outil de désinformation. RTLMC avait été créée en juillet 1993 soit 33 mois après l’agression ougandaise et 9 mois avant l’attentat du 6 avril. A partir de ce 6 avril, RTLMC émettait à partir d’un camion émetteur et avait une couverture d’un rayon de 30 km (soit 15% de la surface totale du Rwanda). L’ambassadeur quand il parle de ses interventions diplomatiques, auprès du Gouvernement rwandais signale qu’il est allé aussi[UW1] à Mulindi, s’excuser de demander, diplomatiquement, à Kagamé, d’envisager de bien vouloir calmer les ardeurs de Radio Muhabura. Cette émetteur avait été créé en avril 1991, soit 28 mois avant RTLMC, émettait depuis l’Ouganda et couvrait tout le Rwanda sauf le sud qui était couvert par un relai à Bujumbura soutenu par le pouvoir de Pierre Buyoya[15]. Sur ordre de Melchior Ndadaye Président du Burundi, l’antenne de Radio Muhabura à Bujumbura a été fermée en octobre 1993.(Mal lui en pris ayant été assassiné le 21 octobre 1993 ?)

2 - Les rumeurs et enfumages

a- « Le feu d’artifice du 4 octobre 1990 » tel est le titre du chapitre 3 du livre de l’Ambassadeur. Il en parle comme d’une « mise » en scène du Gouvernement Rwandais pour justifier une razzia parmi la population Tutsie. C’est la version des informateurs de l’Ambassade. Mais il semble que suivant d’autres sources (hutues comme tutsies) des « Inyenzi » avaient été surpris, ce soir-là, tentant de s’infiltrer par les « ruhurura », canaux d’évacuation des eaux pluviales du Kiyovu[16]. Ces canaux montaient directement vers l’école Militaire, le Camp Kigali et l’immeuble de la radio ...

b - L’ambassadeur rapporte par trois fois dans son livre ce que la Président Habyarimana aurait dit lors d’un meeting improvisé à Ruhengéri : « Les accords d’Arusha ne sont qu’un chiffon de papier ». Il n’y a aucun enregistrement de cette « phrase ». Il n’en est même pas fait mention à Arusha. Mais selon certaines sources, la véritable phrase aurait été « Les accords d’Arusha ne sont qu’un chiffon de papier, s’ils ne correspondent à rien dans le cœur ». Il eut été étonnant que le Président qui se savait très « suivi » par l’opposition interne et les informateurs de la communauté internationale ait fait usage, en publique, de la première version. Dans une civilisation de l’oralité il est évident que le papier et l’écrit ont un sens particulier et que le langage peut être double et insinuant le contraire de ce qu’il dit, les rwandais étant champions dans l’art de savoir « ce que parler veut dire ». Les rumeurs d’un côté comme de l’autre ne devaient – elles pas inciter l’Ambassadeur à la prudence ? D’autre part (à ma connaissance) l’opposition n’a pas exploité cet argument convaincant pour les observateurs. Le FPR aurait pourtant pu en faire ses choux gras !

c – La publication des « dix commandements » parus dans le « torchon » Kangura est évidemment condamnable. Mais comme pour le mot Inyenzi dont l’Ambassadeur donne la date d’apparition (59) sans en donner la signification étymologique on peut s’étonner de trouver dans la littérature, enterrée semble-t-il, des références aux « Dix Commandements des Abatabazi » octobre 1959[17]. Certains informateurs ont même prétendu qu’un pamphlet de 1990 (vrai ou faux ?), attribué au FPR, reprenait 19 commandements. A ma connaissance, on ne retrouve aucune trace de ce soi-disant tract de du FPR ... donc enfumage en perspective. Mais, dans le même ordre d’idée, les enregistrements de radio Muhabura ont-ils été versés comme pièces au Greffe du TPIR au même titre que les enregistrements de RTLMC ?

3 - Les « services belges de renseignement »

a - L’Ambassadeur apprend (en réponse à sa demande à Bruxelles) que Georges Ruggiu, speaker belge de la RTLMC, était connu de la Sureté de l’Etat et de la Justice belges, déjà entre janvier et avril 1994, alors que RTLMC avait commencé à émettre à partir de juillet 1993. Faut-il préciser que Radio Muhabura du FPR émettait depuis 1991, depuis l’Ouganda (de Musévéni) et, dès la mi-1992, à partir du Burundi ? Cela ne semble pas devoir influencer outre mesure la manière et la nuance diplomatique dans l’approche des divers moyens de propagande.

b – Selon certaines sources, quatre gendarmes belges affectés à la sécurité de l’Ambassade, arrivés début ’94 à Kigali, ont été « renvoyés » en Belgique quelques semaines avant l’attentat alors que la tension montait sensiblement et que la plupart des indicateurs étaient sinon au rouge très certainement à l’orange. L’Ambassadeur n’aborde pas cette question. Pourquoi ?

c – L’Ambassadeur signale que les « responsables – sécurité » belges, des quartiers communiquaient avec l’Ambassade par un réseau de talkies walkies. Or certaines sources rappellent que si la demande de cette liaison « radio » avait bien été formulée par ces « responsables des quartiers » et si tous auraient dû être destinataires de l’équipement, certains ne l’ont pas étés. Pourquoi ?

d –La situation « ressources humaines » à l’Ambassade au moment de l’attentat est assez « révélatrice » : comment l’une des principales ambassades de la place (dont l’Ambassadeur est sous menaces dans le cadre de la campagne anti belge menée à la RTLMC depuis plusieurs mois) et dont les services de renseignements semblaient avoir éveillé l’attention sur le fait qu’il fallait être sur ses garde, ..... comment est-il possible que trois proches collaborateurs de l’Ambassadeur soient autorisés à quitter soit la capitale et même pire , le territoire ? Il s’agit du Colonel Vincent Chef de la Coopération Technique Militaire, à la section de Coopération de l’Ambassade ; de M. Philippe Colyn, Premier Attaché et de la Chancelière, Melle. Jacqueline Fonteyn

e.- Les informateurs. Qu’il s’agisse de Janvier ou de Jean-Pierre, la possibilité d’agents doubles ne semble pas avoir mis la perspicacité de l’Ambassadeur en éveil. Surtout qu’évidemment ces gens informent clairement et parviennent à convaincre aisément. Ce qui est plus étrange c’est que certains incidents semblent être passés sous silence : le vol d’uniformes militaires de gradés belges de la Minuar à l’Hôtel « Méridien », par exemple.

E – Les remerciements

Dans ce chapitre l’Ambassadeur remercie, entre autre, deux de ses compatriotes d’une manière très diplomatique et équilibrée : Bernard Maingain, avocat au barreau de Bruxelles et d’Ibuka Belgium et Filip Reyntjens, professeur honoraire à l’Université d’Antwerpen et auteur du livre paru aux Presses Universitaires de France (PUF) dans la collection (au titre prémonitoire) « Que Sais-je ? » : « Le génocide des Tutsi au Rwanda ».

Bernard Maingain est qualifié proche des milieux tutsis (euphémisme diplomatique). L’Ambassadeur ne pouvait pas savoir qu’en 2016 Me Maingain allait commettre un faux grossier pour accuser de génocide le président Nkurunziza du Burundi (les URL référencées[18] ci-dessous sont éloquentes à ce sujet).

Pour ce qui est de Filip Reyntjens l’Ambassadeur ne pouvait pas ne pas savoir que depuis que ce dernier avait fait son chemin de Damas il avait qualifié Kagamé de pire criminel, Chef d’Etat en fonction.

L’Ambassadeur introduit ses remerciements à Maingain et Reyntjens en disant qu’évidemment ces deux personnes ne font pas la même analyse du passé et du présent du Rwanda ......... comble de la nuance ?

F – Les doutes et les conclusions.

Comme le Général Dallaire, comme le Colonel Marchal, l’Ambassadeur se pose la question en suspens depuis 25 ans, chacun suivant sa perception, sa conceptualisation et le cadre de son mode d’expression.

Dallaire : « Qui au juste avait tiré ses ficelles (de Kagamé) tout au cours de la campagne ? »

Marchal : « Que cherche-t-on à nous cacher ? »

Swinnen : « Dans quelle pièce avons - nous joué ? »

 

A la fin de l’entrevue référencée au début de ce billet l’Ambassadeur dit qu’il aimerait bien, à l’occasion du 25ième anniversaire du Génocide, avoir un entretien avec le Président du Rwanda. Cet entretien aura – t - il lieu ? Johan Swinnen est-il encore toujours « persona grata » au Rwanda ?

Il faut souhaiter qu’une traduction française fiable soit rapidement disponible et qu’une suite du livre de l’Ambassadeur prolonge, par une mise une perspective transchronologique, le récit de son vécu de la tragédie Rwandaise.

 

[1] Ambassadeur de Belgique au Rwanda de août 1990 à avril 1994

[3] "Aux franges de l'expérience" - Dans : « Les ondes de Love » - Edith Dekyndt

[4] Entre 1987 et 1993, il a été plusieurs fois ministre des Affaires étrangères ainsi qu’à de nombreuses reprises ministre de la Santé. Son procès s'est ouvert le 6 novembre 2003 devant le TPIR ; le 30 septembre 2011, il a été acquitté de toutes charges.

[5] Avec la « non livraison » des armes payées sur crédits documentaires.

[6] Groupe d’Observateurs Militaires Neutres

[7] Ambassadeur US au Rwanda 94 – 95 (Served as the department's desk officer for Rwanda and Burundi in the early 1970's. He was the political officer at the United States Embassy in Rwanda from 1973 to 1975 - He participated in the 1993 Rwandan peace talks at Arusha, Tanzania.)

[10] Dans les premiers jours du Génocide quelques deux douzaines de forces spéciales ont été envoyées à Kigali, pour une mission d’observation d’un jour « A problem from Hell » p354.

[11] Fondateur du Forum « Paix et Démocratie »

[12] Gendre du Président Grégoire Kayibanda comme l’était aussi Emmanuel Gapyisi qui avait épousé la sœur de l’épouse de Twagiramungu.

[13] Premier Président Hutu du Burundi. Elu démocratiquement le 10 juillet 1993.

[15] Président du Burundi de 87 à 93 et de 96 à 2003, frappé par un mandat d'arrêt international relatif à l'assassinat en 1993 du président Melchior Ndadayé

[16] Un quartier d’habitations de la Commune Urbaine de Nyaugenge, sur le flanc du « Plateau

[17] Rwanda Before the Genocide. Catholic Politics and Ethnic Discourse in the Late Colonial Era

J.J Carney – Oxford University Press (2014) ISBN 978-0-19-998227-1 : « Comité de libération nationale (INGANGURARUGU), „Les 10 commandements des ABATABAZI » Oct. 1959


 [UW1]


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6 réactions à cet article    


  • leypanou 9 avril 2019 09:15

    Article que je lirais plus tard pour avoir une idée de ce qui s’est passé : on en parle peu en France de cette affaire, à part que la France n’a envoyé qu’un député Lrem pour assister à la cérémonie cette année (après avoir soutenu la candidate de P Kagamé pour l’OIF).


    • Bertrand Loubard 9 avril 2019 12:39

      @leypanou

      Merci pour votre commentaire. J’attends la suite que vous lui donnerez. Le drame du Génocide des Tutsis du Rwanda est tellement exemplaire d’un événement historique d’une ampleur inouïe que toutes les réactions, tous les avis, tous les points de vues qui s’y rapportent, doivent être exprimés, écoutés, analysés, critiqués pour que la vérité qui ne semble pas encore avoir été découverte en dehors de tout doute raisonnable, soit enfin dite avec assez de conviction, avec assez de respect pour que ce drame ne devienne un deuxième Katyn. Bien à vous.


    • leypanou 10 avril 2019 11:05

      @Bertrand Loubard
      la conclusion dans l’article de la journaliste Ann Garrison dans cet article en fait conclusion de David S Herman et David Peterson- résume ce que je pense de cette affaire, d’autant plus que dernièrement, le président de la république a décidé de considérer le 7 Avril comme jour de commémoration du génocide rwandais.
      Mais je ne pense pas qu’une affaire analogue ne pourra plus se reproduire : les intérêts géopolitiques n’ont pas de limites malheureusement.


    • Bertrand Loubard 13 avril 2019 21:57

      @leypanou
      Ann Garisson semble bien être une des journalistes les plus indépendantes qui soit, principalement concernant l’histoire du Rwanda. J’ai personnellement une grande confiance dans ces sources et son approche qui confirment ma connaissance de certains détails de cette tragédie du mensonge et de l’intoxication. Elle rappelle à juste titre la conclusion de David S Herman et David Peterson : « The institutionalization of the ‘Rwandan genocide’ has been the remarkable achievement of a propaganda system sustained by both public and private power, with the crucial assistance of a related cadre of intellectual enforcers” à propos de Jean Leonard Teganya. Celui-ci est une parmi un grand nombre de victimes anonymes, du chantage au négationnisme dont Kagamé tire un profit incommensurable.
      La position de Macron est assez étonnante en effet, mais que lui en coûte-t-il d’instaurer un jour de mémoire .... ? Il est évident que ce n’est pas le 5 avril 2019 qu’il en a eu l’idée Cela ne semblerait-il pas un grand pas pour le député LREM Hervé Berville mais un tout petit signale pour la république ? En fait cela n’entrerait-il pas, à terme, dans une stratégie électorale. Les complices et les ennemis de Macron savent très bien dans quelle tragédie ils jouent. Ce n’est pas comme Dallaire (Qui a tiré les ficelle de Kagamé ?), ni comme Marchal (Que nous cache-t-on ?) ni comme l’Ambassadeur de Belgique (Dans quelle pièce avons-nous joué ?) Et évidemment ne peut-on s’empêcher de penser à la « comédie de Rose Kabuye en France » et à son cher et tendre metteur en scène à postériori, Bernard Kouchner quand on s’en prend à réfléchir à la désignation de la Rwando – américaine anglophone Louise Mushikiwabo à la tête de la francophonie et au « rôle » du Franco-rwandais d’Herve Berville à Kigali ?
      Bien à vous.


    • Agora 16 mai 2019 00:22

      Correction : Au point C-1, portant sur l’assassinat du brillant intellectuel E. Gapyisi, il ne s’agissait pas de la veuve de ce dernier qui accusa publiquement F. Twagiramungu le jour des funérailles, mais bien de la soeur du défunt.


      • Bertrand Loubard 16 mai 2019 09:24

        @Agora
        Merci pour la correction. Je croyais me souvenir qu’il m’avait été rapporté, à l’époque, que c’était l’épouse de Gapyisi qui avait interpellé Twagiramungu. Mais ma mémoire a dû sans doute me tromper. Il y aura après – demain, tout juste, 26 ans qu’Emmanuel Gapyisi était assassiné. Triste anniversaire.
        Si vous trouvez d’autres erreurs (même orthographiques) dans mes « papiers » n’hésitez pas à me les faire connaître. En effet, vous me semblez bien au courant de l’histoire tragique du Rwanda.
        Je suis pour le moment très impressionné par les aspects « interventions secrètes des USA et alliés » qui ont conduit à la Guerre d’Octobre 1990, à l’attentat du 6 avril 1994 et aux circonstances du Génocides des Tutsis du Rwanda.
        Bien à vous.

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