De l’emploi pour tous
Y a pas longtemps, le gouvernement nous a pondu une nouvelle loi qui allait conditionner le versement du RSA à l’obligation d’accomplir une quinzaine d’heures par semaine de travail associatif. C’est passé comme une lettre à la poste, pour une fois, même pas besoin de 49.3.
On a pu voir dans la foulée toute une batterie de costards-cravates se féliciter, les chiens de garde médiatiques aboyer et les éditocrates gloser sur la nécessité du retour à l’emploi pour trouver sa place dans la société. Car sans emploi, on ferait partie des gens qui ne sont rien, dixit le représentant de tous les français.
Comme si le droit à une vie décente ne se justifiait que par l’exercice d’un emploi sur le marché du travail, qu’en être dépourvu faisait de vous un parasite, un assisté. Je ne supporte plus cette idéologie bourgeoise qui conditionne nos existences à leur utilité économique et j’aimerai vous dire le fond de ma pensée sur la misère et son exploitation.
Avec ou sans papier ? actif ou retraité ? homme, femme ou enfant ? Il faut bosser sinon, on ne vaut rien. De l’école à l’usine, de la maison de retraite à l’entreprise, tout doit être rentable et productif. Il ne suffit plus de vivre sa vie, il faut la gagner. Il faut mériter son train de vie de chinoiseries.
Pour nous autres, travailleurs qui n’ont pas la chance d’une fortune personnelle, la seule possibilité d’échapper un peu à la machine, c’est le chômage ou le RSA, court laps de temps, entre deux embauches, pour faire quelque chose hors de l’entreprise, quelque chose qu’on aimerait pour de vrai, comme un voyage ou un bouquin, se donner une chance de suivre un rêve ou simplement s’octroyer un peu de temps avant le prochain boulot de merde qu’on sera obligé d’accepter si on ne veut pas subir l’huissier.
Mais même ça, ils veulent nous le sucrer, la moitié du temps hebdomadaire sera désormais à mettre au service d’un parcours dicté par France Travail, dans un mi-temps au rabais pour une structure qu’un conseillé assermenté aura choisi à votre place. Et vous avez intérêt à accepter sinon c’est vos allocs qui seront coupés.
Alors même que plein d’assos tournent déjà grâce à toutes ces petites mains bénévoles et disponibles qui œuvrent de bon cœur et en toute liberté dans ces collectifs où l’on privilégie le bien-être et le rapport humain aux logiques marchandes et aux profits. On va contraindre ses volontaires à un service associatif obligatoire imposé par le chantage ou la menace. Il est où le libre arbitre ? le consentement ? la vocation et l’engagement ?
Au lieu d’encourager l’initiative personnelle, la réalisation de ses dons et aspirations, c’est encore une fois la matraque idéologique et financière qu’on sort pour dresser des pauvres qui se vautreraient dans la paresse à longueur d’année… Mais on a peut-être mieux à faire que de se rendre à son prochain maître pour faire plaisir à pole emploi ?
N’a-t-on pas le droit de faire une sieste quand on est fatigué ? de regarder son herbe pousser ? de cultiver son esprit ou son potager ? N’est-il pas juste de s’arrêter pour venir en aide à un ami ? Jouer avec un enfant n’est-il pas la meilleure chose à faire pour notre avenir ? Il faut du temps pour développer un talent, une fibre artistique, une idée de génie… comme un arbre pour grandir.
Alors oui bien sûr, le système nous autorise quelques diversions, mais seulement sur son temps libre (c’est donc bien que le temps de travail est asservi). Et encore, il faut se nourrir, se loger, dormir, faire ses courses et ses démarches, s’occuper des gosses et du ménage… entre deux, voir un peu ses amis et sa famille pour ne pas sombrer dans la folie, mais attention hein, seulement sur son temps de repos, pas question de faire ça aux heures de bureau. Et en hiver, c’est 8h au boulot sans voir la lumière du jour.
Ces économistes de salon nous vantent sans cesse les vertus du libéralisme, de la libre entreprise, du libre marché… mais qu’en est-il de la liberté quand on a pour en profiter que 5 semaines par an.
5 semaines de vacances par an, c’est à peine le temps de respirer pour supporter la course en avant. 5 semaines par an pour différer le burn-out ou l’épuisement. 5 semaines par an c’est tout juste suffisant pour s’évader brièvement d’une vie d’esclave lors d’un voyage organisé, voir du pays et profiter de la misère d’en face.
Et encore, 5 semaines par an, c’est un « privilège » de salariés, que n’ont pas les paysans qui ne connaissent ni smic, ni vacances.
Pourquoi « l’oisiveté » ne serait-elle réservée qu’à une élite ? N’a-t-on pas le droit nous aussi de lire un livre ou d’en écrire ? De faire de la musique ? De construire sa propre maison ? De prendre le temps d’une introspection ? Il y a des milliers de façons de donner un sens à sa vie qui ne soit pas qu’économique. Mais quand on a pas le privilège d’une famille argentée pour nous couvrir, il faut trimer pour survivre. Accepter le poste le moins pire, dans l’espoir d’accéder aux loisirs lors d’une retraite hypothétique qui, à chaque réforme, s’éloigne et s’amenuise.
Il faut de la disponibilité pour s’occuper de ses proches et de son environnement, pour repeindre son quartier, soigner un malade ou un animal blessé. Est-ce en étant rentable qu’on est le plus efficace à s’occuper des personnes âgées ?
En vérité le système préférerait que ces activités « amateures » (ndr : « qu’on fait parce qu’on aime ») soit encadrées, par une entreprise ou une structure, toutes les heures déclarées et les dépenses bien enregistrées, c’est mieux pour les comptes et la croissance, mais au plus bas coût de main-d’œuvre bien entendue, il faut faire face à la concurrence.
Aujourd’hui tout est géré par des experts en management qui ne connaissent de la vie que ses chiffres : revenu minimum par habitant, âge de départ à la retraite, solde du compte courant, produit intérieur brut…
Mais ces chiffres, que nous disent-ils du bonheur ? Comment mesure-t-on la qualité d’une vie ? en nombre de mots ou en couleurs ? En notes de musique ? En richesse d’expérience ou en quantités de bonnes actions ? En valeurs partagées, échanges et relations ?
Et qui rapporte le plus de bénéfices à la société ? Le trader ou l’épicier ? Le militant qui ne compte pas ses heures ou le matraqueur assermenté ? Le marchand d’arme ou le bénévole de la croix rouge ? L’arbre ou l’abatteuse ?
Les consultants de plateaux TV, porte-parole du gouvernement ou exécutants de France Travail n’ont qu’une phrase à la bouche : le retour à l’emploi et la lutte contre l’assistanat.
Comme s’il n’existait pas de vie digne hors de l’emploi (parlez en aux mères, aux bénévoles, aux retraités, aux handicapés, aux enfants…). Comme s’il n’existait pas une façon équitable de partager les richesses mirifiques gagnées grâce à la robotique.
Au lieu de ça, ils s’inquiètent des démissions, du « Big Quit », « des gens qui ne veulent plus travailler »… Les gens ne veulent surtout plus faire n’importe quoi pour des clopinettes, en se faisant traiter comme des carpettes.
Alors pour nous enchaîner, nos dirigeants mettent en place une « flexibilité » asymétrique, une précarité institutionnalisée, des renvois facilités et la galère pour toucher son dû de cotisation. Pour nous forcer à travailler, ils usent de la contrainte, des menaces et de la culpabilisation.
Pourtant les français ne sont pas feignants, la plupart veulent se rendre utile et faire quelque chose qui ait du sens. Si nous étions mieux payés, si nous étions encouragés dans nos projets, même les plus extravagants, ils n’auraient pas à nous forcer, à nous mettre en concurrence les uns les autres, à tirer nos salaires vers le bas contre le reste du monde… et toutes leurs manœuvres déloyales pour nous obliger à bosser pour financer leurs rentes et dividendes.
Alors face à la misère, entre pauvres, on se chaparde et on se tire dans les pattes, personne ne veut se faire avoir, ne surtout pas être le dindon de la farce, la victime, qu’on prendra pour un con s’il a le malheur d’être trop « gentil ». Ils ont crucifié la solidarité.
Mais qui sont les vrais parasites ? ceux qui encaissent au nom d’un titre et qui gagnent 10000 fois plus que l’ingénieur ? ou ceux qui ont à peine de quoi se payer de la malbouffe de supermarché, assaisonnée aux pesticides ?
Il faut du temps pour s’occuper d’un potager, faire pousser ses patates, les récolter, les cuisiner pour en faire des frites maison… Mais c’est tellement plus pratique du surgelé et bien plus économique. Un plat préparé, direct au micro-onde, c’est tellement bon … pour la croissance.
Depuis la spécialisation du travail, nous avons perdu notre liberté au service des dominants, noblesse d’épée ou puissances d’argent. Cela fait maintenant des millénaires que les pauvres n’ont plus leur mot à dire, il faut besogner toute l’année pour remplir les coffres ou les greniers, mais qui décide du partage de la récolte ? Le seigneur ou le clergé ? Les grands propriétaires ? Les actionnaires ?
On le sait, ceux du sommet prennent la plus grosse part et ne laissent que des miettes à ceux d’en dessous, et comme ils ont la morale de leur côté, ils se permettent en plus de nous culpabiliser si nous n’engrangeons pas suffisamment pour remplir les caisses. Or on le voit de plus en plus, la fortune des plus riches se nourrit de pollution, d’esclavage et de violence . Face au désastre ne vaudrait-il pas mieux ne rien faire que justifier tant de massacres au nom du PIB.
Je ne dis pas qu’il ne faut rien foutre, il y a beaucoup à faire pour guérir ou réparer, embellir ou améliorer… mais les logiques du capital ne sont pas celles du vital. Ce qui produit de la croissance n’est pas forcément ce qui rend le monde meilleur, c’est même parfois plutôt le contraire : bull-shit job, cabinets d’experts en brassage du vent, industrie de la destruction, d’exploitation du vivant, grosses usines qui broient les hommes comme les bêtes et recrachent leurs tonnes de déchets toxiques.
A-t-on vraiment besoin de toutes ces conneries ? Pourquoi du ciment quand de la boue ferait l’affaire ? À quoi bon un building de 1500m de haut en plein désert ?
…
Je suis un rejeton des classes populaires, comme de plus en plus de personnes du monde occidental, j’ai choisi une forme de sobriété pour préserver ma liberté. Je préfère avoir du temps, que bosser comme un ouf pour un haut standing. Ma philosophie, c’est dépenser moins pour vivre plus. Pour échapper à un asservissement programmé par ma naissance envers les détenteurs du capital, je me suis inscrit au RSA, ça me couvre l’essentiel de mes factures, des p’tits boulots de ci de là et j’arrive à mettre de l’essence dans ma bagnole, un gros chantier de temps en temps pour régler imprévus et grosses dépenses. Le reste du temps… je glande ?
C’est que semble croire pôle emploi qui s’occupe de mon cas et me contrôle tous les 6 mois, façon inquisition des travailleurs. Toute cette énergie dépensée sans jamais me trouver un seul boulot, il ne serait pas plus rentable de poursuivre les évadés fiscaux ?
En vérité, mes journées sont bien occupées et je ne suis pas un paresseux. Oh, j’ai pu l’être, je vous l’accorde. À une époque où je ne savais pas quoi faire de ma vie, j’étais un bon client pour l’industrie du divertissement. Mais aujourd’hui, est-ce la maturité ? J’ai appris à m’occuper différemment.
Je suis utile à mon quartier et je cherche à m’élever, pas à l’échelle sociale mais sur un plan plus personnel. J’augmente mes talents et connaissances, je m’entraîne régulièrement. Je suis bénévole pour plusieurs associations. J’apprends de nouvelles compétences en suivant mes rencontres et appétences. J’écris des histoires, des spectacles, ça prend du temps… Je ne fais rien sous la contrainte mais je ne compte pas mon dévouement. Je prête main forte à mes amis, certains retapent un vieux gréement, d’autres un corps de ferme, un hangar, une yourte… aucun ne se ruine en crédit mais tous font appel au financement participatif.
D’autres organisent une foire bio, une guinguette, un concert de soutien aux victimes du capitalisme… Ce sont tous ces gens, loin des cours du roi des bourses qui font vivre les campagnes et toutes les zones déclassées. Loin du centre des affaires, on ne gagne pas beaucoup d’argent mais, au moins, on s’marre et on se donne du bonheur à plein de gens.
- « À votre bon cœur messieurs-dames, vous trouverez une caisse de dons à côté de l’entrée. Donne qui veut, donne qui peut, mais surtout, ne repartez pas sans un souvenir »
Je vous avoue, j’ai bien du mal à expliquer tout ça à ma conseillère pole emploi. Elle me parle intérim, stage de réinsertion, filière de formation… Je n’ai pas le temps pour ces choses là, j’ai déjà trop de choses à faire. Je ne lui en veux pas, elle est l’esclave de ses barèmes et objectifs trimestriels. Elle est en guerre contre le chômage, en première ligne, de son travail dépendent les chiffres qu’on rabâche à chaque journal télévisé, même si on sait tous qu’ils sont biaisés.
Élisabeth, Emmanuel, Gabriel et toute la clique, eux c’est différent, ils nous mentent sciemment. Engoncés dans leurs tailleurs ou leurs costards, leurs intentions sont malhonnêtes, ils savent très bien ce qu’ils font. Ils nous gèrent comme marchandise, comme un troupeau qu’ils mènent à l’abattoir pour le succès de leurs empires. Ils n’en ont rien à foutre de notre bonheur, la seule chose qui compte à leurs yeux, c’est la rentabilité du CAC 40 et leur retour sur investissement. Ce sont des larbins de la finance, d’infâmes directeurs des ressources humaines, nantis d’un gros bonus, d’un parachute doré censé leur éviter l’atterrissage en catastrophe. Mais leur idéologie délétère nous conduit droit au cimetière, leurs profits se nourrissent du sang de la terre, les voilà les vrais vampires qui captent toute la plus value.
Je ne suis pas une chose à négocier dont le temps est à vendre au plus offrant. Je suis un être vivant, libre et conscient. J’ai un vécu, des sensations, je suis lié à mon environnement et mon temps sur terre est court et précieux. J’ai mieux à faire que de le mettre au service d’une grosse boite, pour payer le train de vie indécent de ses dirigeants. Je ne suis pas une marionnette jetable au service d’un impératif économique. J’ai une flamme qui ne demande qu’à briller pourvu qu’on m’en laisse la liberté. Je ne ferai jamais autant de mal assis sur mon canapé, à rêvasser, qu’un sociopathe sur son trône de dictateur ou que le chairman d’une multinationale dans un fauteuil en cuir à 5000 balles.
J’ai le droit à une bonne vie qui ne soit pas le jouet des puissants, je souhaite poursuivre mon bonheur, mes amours, ma raison d’être. Respecter mon corps et ses limites, mes valeurs et mes vertus. Je suis seul habilité à m’autoriser tout dépassement, pourvu que ça en vaille la peine, que ce soit pour quelque chose que j’aime.
Et certainement pas pour suivre une directive ministérielle ou des objectifs trimestriels, décidés sans ma consultation. La collectivité est dévoyée, ses représentants nous ont trahis, ils nous ont vendus au plus offrant contre une balade en yacht et quelques diamants. C’est pour rembourser l’argent volé qu’ils nous envoient pointer.
Qui nous remboursera nos orangs-outangs, nos baleines et nos vingts ans ? Ne gâchez pas votre jeunesse en job mac do, mais partez à l’aventure au bout du monde ! Et tant pis pour ce qu’en dira votre conseiller d’orientation…
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