De l’identité nationale
Il y a un malaise, il y a des doutes. La mondialisation bouleverse les frontières, détruit la diversité des cultures, comme le prédisait le regretté Lévi-Strauss il y a plus de trente ans, à l’ORTF, encore visionnaire. Et pourtant la question paraissait étonnante. Pourquoi demander à un ethnologue, qui a écrit Mythologiques (livres qui s’appuyaient sur la comparaison de plusieurs centaines de mythes séculaires), sa vision du futur ?
Car, enfin, que n’est-on sans une histoire que nous n’avons pas écrite mais que nous partageons et imaginons ? Qu’est on sans passé ? Avez-vous déjà vu un maçon construire pareille maison sans fondations ? Connaissez vous un enfant adopté qui ne cherche pas, une fois conscient, l’origine de sa vie ?
Un peuple est un continuel mouvement de vie fleurissant de toute part sur les bases d’un tronc qui fait le souvenir de tous.
En reprenant la phrase d’Ernst Renan, que Juppé a cité, nous avons une des plus belles pistes de l’identité de notre peuple : « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses ».
A la fois, nous découvrons l’importance de l’histoire d’un peuple et sa construction perpétuelle, dessinée à l’aune des souvenirs, de la mémoire et du refoulement.
On retrouve l’importance de la mémoire chez plusieurs écrivains, notamment chez Péguy : « Plus nous avons de passé, plus nous avons de mémoire [...], plus ainsi ici aussi nous devons la défendre. Plus nous avons de passé derrière nous, plus (justement), il nous faut le défendre et le garder pur. »
L’identité nationale est celle d’un peuple et celle de chaque homme. Un petit rien, qui n’existe pas dans le concret, qui ne connaît pas le temps éternel mais celui de l’évolution, qui est l’essence même de chacun d’entre nous, de l’intime, et le fruit de notre unité. Interrogez autour de vous et chacun aura définition différente, mais nous vivons tous ensemble et le sentiment qui nous anime nous est finalement bien commun dans sa diversité.
« Le sentiment d’identité est intime à chaque personne, mais la sociologie et les études historiques ont montré que l’identité nationale d’une personne est une intériorisation de repères identitaires due à une présence quotidienne de « points communs » de la nation, de manière intime, pratique et symbolique », peut-on lire sur wikipedia.
On ne peut imposer à un homme une définition figée dans le marbre de l’identité. Tout simplement car il se sentirait agressé dans son intimité. Comment peut-on imposer une manière d’être français quand on connaît tous les paradoxes de notre peuple ? A la fois terre d’accueil, nous nous disons régulièrement, au cours de sondages, racistes. La France accuse Dreyfus sur fond d’antisémitisme, et, comme le dira Thomas Bernhard, les français sont les seuls à mettre plus de 10 ans à l’innocenter alors que, dans un autre pays, on l’aurait condamné. Aussi, comme aime à le rappeler Badinter, la France n’est pas la patrie des droits de l’homme mais la patrie de la « Déclaration des droits de l’homme ». Et comme le dit Sarkozy, la France est « monarchiste et régicide ».
Et les paradoxes s’enchaînent comme déroulent les futurs produits manufacturés dans une usine où le travail à la chaîne connaît son apothéose.
Un homme qui se pose beaucoup de questions est un homme qui doute (soit dit en passant quoi de plus naturel aux français que le doute quand Descartes, entre autres, en a fait la base de sa réflexion). Les français ont toujours douté, ce qui plut à Cioran (écrivain roumain qui a écrit la majorité de son œuvre en français et dont on vient de publier une œuvre posthume : « De la France »), et ont produit ainsi multiples paradoxes. Le doute est nécessaire à la vie intérieure, à la réflexion, enfin, à sa construction.
Du doute constructif au doute qui ébranle des buildings, la frontière est parfois floue, indéfinie, mal dessinée, et un mal-être qui s’installe aime à déguiser la destruction en raisonnable.
Les Français doutent. La genèse ne date pas d’aujourd’hui, et, sournoise, a tendancieusement pris ses aises. Elle a atteint des sommets ces dernières années où nous ne faisions plus que battre notre coulpe, où le lynchage salvateur des erreurs du passé, nous l’ordonnions à nos nous-mêmes, descendant de pères indignes. Tout a resurgi de notre mémoire, et ce que nous voulions oublié, le pire, nous l’avons exhibé à nos yeux, nous en avons fait des œillères, nous avons fait du passé un poids qui obscurcit l’avenir. Nous avons oublié les sages paroles mitterrandiennes : faire d’un défaut, d’une plaie, un point fort.
Ainsi, Nicolas Sarkozy a sorti en 2007 le thème de l’identité nationale, comme étendard de campagne. Et là, Rouart se trompe en disant : « Nicolas Sarkozy a compris qu’il fallait que les français cessent de regarder dans un rétroviseur ». Le raisonnement manque de finesse, présentant le passé comme un poids. Qui n’est pas fier de raconter ses souvenirs, qui n’est pas fier de ses ancêtres ? Non, l’erreur a été de ne regarder que le négatif, a été de ressortir des choses qu’on avait oubliées, d’appuyer dessus, comme on torture une plaie. Dans un pays qui s’enfonce dans la dépression, les politiques ont ressorti, d’un trait, toutes les hontes qui ont étreint notre histoire. La France aime à être fière et universelle, et ils ont dangereusement bafoué cette première après avoir aboli, au cours d’années de politiques laborieuses, la deuxième.
Au-delà de se poser la question de l’identité nationale, Eric Besson aime à juxtaposer, de manière pernicieuse, une autre question : celle de l’immigration.
« Jamais la France ne s’est pensé par rapport à ses étrangers » comme le rappelle Vincent Peillon. Et à lire l’interview de Rocard, nous n’en doutons plus. La France ne s’est pas faite comme les autres nations. C’est depuis l’Ile-de-France et le Val de Loire qu’avec une force militaire, « le royaume de France va se développer en s’étendant militairement, bien au-delà de sa communauté linguistique […] Très tôt, il y a un sentiment national étonnant, par l’échange de souvenir d’événements. ».
C’est au-delà d’une communauté linguistique que s’est établie la France, au contraire de ses voisins européens. En effet, à la bataille de Valmy, en 1792, seul 20% des soldats sont ceux qui parlaient Français. Il faut attendre les hussards noirs de la République - comprenez les instituteurs – pour imposer le français en France, au 19ème siècle.
La France ce n’est pas le droit du sang, on y préfère le droit du sol. Car la France n’a eu de cesse « d’agglomérer de nouvelles sensibilités et de nouvelles représentations linguistiques ou de couleurs de peau », comme le souligne Rocard.
Manuel Valls, rare parlementaire à avoir été naturalisé français, symbolise très bien notre « identité nationale » en disant : « J’ai appris à être Français ». Etre français, c’est « l’identité de choix de culture et de volonté d’un destin commun ».
Où est donc la place du politique dans tout cela ? Nulle part. C’est par la culture, par la citoyenneté, par l’histoire, par le vivre ensemble, par choix et envie, que l’on est citoyen français. Parler de Burka, comme l’a fait Eric Besson à ce propos, n’est que vulgarité et ridicule.
La politique fait partie de l’histoire, et dans son présent, n’a qu’à agir pour améliorer les conditions du vivre ensemble avec un projet de société qui donne les clés de l’épanouissement de la France, de ce qui fait son essence, de ses citoyens, et de ceux qui l’aiment.
L’identité nationale ne passe pas par une marseillaise annuelle dans les cours d’école. On n’impose pas l’identité, on la vit, on la fait exister, on la construit continuellement, on l’intègre, on apprend à l’aimer, on choisit de l’aimer et de la prendre tout entière à bras le corps.
Virginie Votier
Fondatrice du réseau Générations Engagées
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