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Accueil du site > Tribune Libre > De l’inquiétante Loppsisation des esprits

De l’inquiétante Loppsisation des esprits

Ce mardi 16 février, notre chambre basse du parlement adoptera la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2),[1] après une semaine de débats pas si agités que cela au regard des enjeux essentiels en matière de libertés publiques [2]. À travers cet acronyme remarquable, il faut savoir que la majorité de gouvernement a souhaité rendre un hommage appuyé à la loi de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI 1) votée par la représentation nationale le 20 août 2002 [3], outil législatif qui aurait permis à la délinquance de reculer de manière significative. À l’évidence, propagande bien ordonnée commence par soi-même, serait-on tenté de penser. Nul doute que la France continue d’avoir peur, et c’est bien là le terreau fertile sur lequel peut opérer ce que nous nommerons la Loppsisation des esprits, à l’insu du plein gré de citoyens désormais acclimatés à ce basculement initié depuis maintenant un temps certain.

Les plus jeunes ne se souviennent pas de la loi dite « sécurité-liberté » apparue dans le champ de notre droit positif le 2 février 1981, prenant appui sur un contexte socio-politique délétère particulièrement favorable [4]. Ce texte emblématique contribuera largement à un rétrécissement important des libertés individuelles en étendant considérablement les prérogatives du pouvoir policier ainsi que celles des magistrats du parquet [5]. La période qui suivra permettra à un certain Jean-Marie Le Pen de s’immiscer significativement dans l’espace politique français et de connaître l’ascension que chacun sait - il se murmure qu’un certain président socialiste aurait eu quelque influence dans cette péripétie politique -. La « lepénisation des esprits » commençait ainsi à faire son œuvre, lentement mais sûrement, tel un processus de sédimentation irrésistible déjà inquiétant. Cette période est riche d’enseignements et il convient de la replacer dans une chronologie de lois pénales fort évocatrice [6]. Pourtant, quatorze années durant, la France aura à sa tête un président socialiste qui fera le choix de cohabiter, proposant ainsi une lecture inédite de la cinquième République. Toutefois, en 1983, l’assemblée nationale, encore largement au bénéfice de la gauche, abrogera une grande partie de la scélérate loi « sécurité-liberté » (on remarquera que le mot sécurité précède le mot liberté, ce qui, au plan symbolique apparaît comme puissant révélateur).

A ce titre, Jean-Pierre Dubois, professeur de droit public et Président de la ligue des droits de l’homme, dans un entretien récent publié sur le site du journal Le Monde [7] remet en perspective la notion de libertés publiques [8], confessant ici ses inquiétudes légitimes, n’hésitant pas à affirmer : « on pourrait démontrer qu’une bonne moitié du programme présidentiel de Jean-Marie Le Pen en 2002 est passé au journal officiel ». Dés lors, des esprits au parlement il n’y a parfois qu’un pas puisque notre loi s’est manifestement « lepénisée », ce qui ne manquera pas de mettre en joie notre national histrion extrême en fin de parcours politique.
La législature 2002/2007 ne fera que prolonger ce mouvement désormais porté par un ministre de l’intérieur particulièrement zélé en la matière, agitant peurs et préjugés dans un populisme sans limite, et d’afficher une volonté de punir[9] frénétiquement décomplexée [10]. Il n’y a pas meilleur moyen pour fabriquer du consentement [11] si ce n’est de dénoncer sans cesse violences et insécurité [12], quitte même à orienter les chiffres de la délinquance, cet obscure menaçant fléau qui n’aurait de cesse de progresser affreusement, désignant chaque quidam comme la cible potentielle d’une frange de la population dénoncée comme dangereuse [13]. Pourtant, historiquement, c’est tout le contraire qui est vérité. Tous les chercheurs accordent ici leur pensée et leurs travaux démontrent, s’il en était besoin, que la société occidentale suit un mouvement jamais démenti de pacification pour ce qui est des relations interpersonnelles [14]. Mais qu’à cela le tienne, s’il faut donner un nouveau visage à la dangerosité pour maintenir dans l’angoisse une société craintive, introvertie, et par là même très proche d’une logique paranoïaque, certains de nos plus habiles politiciens disposent de savoir-faire redoutables et éprouvés [15]. Ils savent remplir nos geôles d’une population largement paupérisée en proie aux affres d’un système économique qui s’évertue à fabriquer de l’injustice [16]. Tout un programme politique que voilà, si bien mené qu’il permet à son premier thuriféraire de se hisser à la tête de l’État, promettant sécurité sans mesure ni discernement, siphonnant sans vergogne à cette occasion l’électorat le plus à droite de l’échiquier politique. Maintenant, il s’agit bien de le conserver et, pour y parvenir, rien de plus efficace qu’une nouvelle LOPPSI puisque le citoyen semble toujours prompt à en quémander.
Au diable les libertés individuelles, les sacrifier sur le bûcher de la sécurité est une notion qui a largement pénétré les esprits de nos contemporains ; la liberté ne guide donc plus le peuple. Pas un manifestant [17] frondeur devant le Palais Bourbon, mais juste quelques habitués vigilants et éparpillés [18] qui essayent d’alerter une opinion publique largement préoccupée soit par la survie au quotidien, soit par la conservation de ses privilèges, selon la classe sociale à laquelle on appartient.

C’est ainsi que nous assistons, quasiment impuissants, à la Loppsisation rampante des esprits, façonnés et habitués progressivement à se soumettre à la dictature de la sécurité couplée à un sentiment d’insécurité largement entretenu par un certain environnement médiatico-politique. Peu à peu, c’est le seuil de tolérance au contrôle et aux moyens de coercitions qui est augmenté ,de sorte que les citoyens finissent par y adhérer normalement. C’est ici que réside la puissance et la subtilité de cette mécanique parfaitement insidieuse. Et ce n’est pas une petite révolte contre un fichier policier supplémentaire qui permettra d’affirmer le contraire. Rien n’empêchera le contrôle de plus en plus serré de populations consentantes. Depuis l’invention du système des empreintes digitales, les avancées technologiques permettent désormais des virtuosités encore improbables il y a peu, et ce n’est pas les quelques velléités d’une poignée d’activistes éclairés, si motivés soient-ils, qui pourra inverser ce processus captieux et pervers.

Toutefois, rien n’étant définitif ici-bas, il est permis de toujours de rêver - aucune loi n’est encore venue le prohiber - et d’imaginer un tout autre monde. Mais cela imposerait une rupture épistémologique avec les idéologies dominantes qui mènent et manipulent aujourd’hui une majorité de consciences. Seul l’avenir parlera.

[1] Consulter le texte
[2] Regarder les débats parlementaires
[3] Consulter le texte
[4] Quelques documents audiovisuels de l’époque
[5] Parquet et politique pénale depuis le XIXe siècle en France
[6] Proposition de chronologie
[7] Lire l’entretien
[8] Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel (Tome 5) : Les libertés publiques, Bocard 1925 (pour lui rendre hommage).
[9] Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette littératures, 2005.
[10] Sous la direction de Laurent Mucchielli, La frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social, La Découverte 2008.
[11] Noam Chomsky, Edward Herman, La fabricaton du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, nouvelle édition, Agone 2009.
[12] Laurent Mucchielli, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, La Découverte, 2002.
[13] Ouvrage collectif, Mon délit ? Mon origine. Criminalité et criminalisation de l’immigration, De Bœck Université 2001.
[14] Robert Munchembled, Une histoire de la violence, Le Seuil 2008.
[15] Robert Castel, La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ? Seuil 2007.
[16] Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Le Seuil 2004.
Du même auteur, Parias urbains. Ghetto – Banlieues – État, La Découverte 2006.
[17] Le guide du manifestant, Syndicat de la Magistrature.
[18] Lire l’analyse du Syndicat de la Magistrature.
 

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15 réactions à cet article    


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 16 février 2010 14:05

    Hou hou...y a quelqu’un... ...qu’un... ...un... ...

    Bonjour. Bon d’accord, tout cela est très grave, mais pas un mot sur la burka !

    Oui, la burka, cet uniforme qui met à mal à lui seul tout le processus législatif mis en place pour parfaire le formidable outil sécuritaure du « big brother is missing you... »

    Oui, la burka, ce dernier rempart contre la transparence imposée par le pouvoir, lequel est lui-même tout, sauf transparent...

    La burka, la cause de tous nos maux, qui mobilise, par une législation généralisée de toutes les forces du pouvoir en place, focalisant avec l’aide du soutien de toute l’opinion publique, contre ce phénomène d’exception ridicule...

    La burka, cette cerise risible assise sur le gâteau tragique de notre organe de communication saturé d’excipient et de mélamine...

    La burka, Dont aucun vaccin ne pourra jamais nous prémunir contre cette affection latente...

    http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/ces-uniformes-qui-font-trembler-l-60560


    • ffi ffi 16 février 2010 16:26

      Avec toutes ces caméras qui se préparent, je vais finir par être parano !

      A moins que ?

      Mais oui, c’est ça ! Je peux toujours sortir en Burka pour être tranquille !


    • hans lefebvre hans lefebvre 16 février 2010 19:44

      La Burka en Afghanistan est surtout un moyen pour les femmes de se sécuriser. En cela, je vous invite à écouter le témoignage de Malalaï Joya, afin d’éviter tout contre -sens sur l’histoire contemporaine de ce pays. en France, cela peut s’apparenter à un acte politique, tout du moins dans certains cas.
      http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1858
      Bien à vous


    • Mustapha Mustapha 16 février 2010 15:54

      Nos libertés s’amenuisent petite touche par petite touche. Et cela n’émeut que peu de monde.

      L’écrasante majorité est devenu faible. Complètement endormi. Dormez citoyens ! Dormez !

      Ils construisent leur société. Société de peur, d’ignorance et de mépris.

      Construisons la notre et combattons le feu par le feu.


      • hans lefebvre hans lefebvre 16 février 2010 19:32

        En dernier recours, effectivement Mustapha ! En attendant, force est de constater que nous avons le système que nous méritons, il n’est qu’à constater le désintérêt des français pour leurs urnes ! Et lorsqu’ils votent de manière significative, ils portent à la tête de l’État Bonimenteur 1er, Prince du populisme ! C’est cela que je dénonce dans ce billet.
        Bien à vous


      • Hieronymus Hieronymus 16 février 2010 17:37

        @ Hans
        je crois que vous melangez un peu tout et tombez ds tous les cliches gaucho-moralistes habituels ;
        ce que le Gvt prepare avec Loppsi, ce n’est pas du tout securitaire, c’est du tout surveillance et la mise en place d’une dictature soft, d’une police de la pensee, rien a voir avec la Loi de 1981 securite et liberte qui visait a renforcer la repression contre la delinquance et que n’aurait effectivement pas renie JM le Pen,
        la delinquance ordinaire dont souffrent en majorite les gens pauvres et honnetes, le Gvt ne s’en soucie guere tant qu’elle ne deborde pas trop, a preuve il a laisse depuis des decennies se developper des zones de non droit ds les cites sans jamais reagir, avec Loppsi il ne s’agit pas de lutter contre ce pourrissement des quartiers deja abandonnes mais de controler l’information sur un plan general et de censurer les opinions deviantes, franchement pas de proteger les citoyens mais plutot de les enfermer ds un carcan de politiquement correct !
        le probleme le plus grave a notre epoque en dehors de la crise economique (qui est d’ailleurs mondiale) c’est la montee des communautarismes et le risque d’eclatement de la societe civile, la dessus on l’a vu lors du debat sur l’identite nationale, le Gvt interdit qu’on pose les vraies questions (attention derapage !) et encourage de facto la fragilisation de la societe civile sous la pression des lobbies communautaristes (en particulier l’islamisme) qui deviennent des icones intouchables menacant directement nos principes republicains ..
        face a cela les seuls leaders politiquement incorrects et denoncant cette imposture du pouvoir trahissant le peuple se situent de nos jours a l’extreme droite mais vous confondez a dessein populiste (terme pejoratif) et populaire, JM le Pen ne s’eleve jamais contre la liberte d’opinion, ainsi il est a peu pres le seul a mettre en doute la VO du 11/09, par contre il denonce sans relache la pauperisation croissante des couches populaires et a cote l’insultante mansuetude, cette culture de l’excuse vis a vis de certains groupes sociaux qui de toutes facons s’opposent aux idees laiques et democratiques et ne veulent pas s’integrer, il est evident que le Pen n’a rien a voir avec Loppsi, parler de « lepenisation » c’est de la manipulation ideologique interdisant le vrai debat !


        • hans lefebvre hans lefebvre 16 février 2010 19:38

          Cher Hieronymus, relisez-donc ce billet, attachez-vous à ses références, alors, peut-être discernerez-vous le fond de mon propos. Pour le reste, je vous laisse à vos convictions politiques qui apparaissent incompatibles et parfaitement à l’opposée des miennes !
          Si nous étions en Espagne en 1936, nous nous affronterions !


          • Hieronymus Hieronymus 16 février 2010 20:05

            Hans
            je vous invite egalement a relire mon post, si vous pouvez tacher de le comprendre
            faut se poser les vraies questions, par ex. concernant le 11/09, a qui profite le crime ?
            vous croyez partout aux sirenes du politiquement correct, c’est votre probleme
            quand a me voir chez les phalangistes, c’est vraiment n’importe quoi ..

            par contre les islamistes qui poussent au communautarisme et incitent a la revolte contre notre modele social, ca ne vous derange pas trop ?
            vraiment vous melangez tout et vous trompez d’ennemi en permanence.


          • hans lefebvre hans lefebvre 16 février 2010 21:43

            Je suis heureux de savoir JMLP appartenant au rang des reopenistes ou autres soucoupistes, cela me conforte dans ma position.


            • Hieronymus Hieronymus 16 février 2010 22:01

              soucoupiste ? ca veut quoi dire ? quel rapport ?
              z-ecrivez n’importe quoi, enfin pas grave ..
              ds 10 ou 15 ans, qd l’omerta sur le 11/09 finira par craquer
              ce sera amusant de voir quelle tete vous ferez.


            • hans lefebvre hans lefebvre 17 février 2010 13:07

              @heyronimus, c’est bien ce que je disais, aucun humour les conspirationnistes n’ont !
              Pour votre gouverne, les soucoupistes sont aux conspirationnistes ce que le FN fut au GUD ! une seule et même famille.


            • Bardamu 17 février 2010 09:33

              Certes allons-nous à grands pas vers quelque dictature d’inspiration mondiale, mais là où l’auteur se trompe tant et tant, c’est qu’actuellement seul un certain Le Pen parmi les politiques en place pourrait nous en protéger.

              Il a toujours besoin de ce méchant-là, notre auteur ! c’est si facile !... un petit problème cependant, c’est qu’en se réduisant à pareille analyse, ne comprenant plus rien, alors ne croit-on plus en rien !

              C’est d’ailleurs pour cette raison même -nous maintenir dans l’incroyance et la fatalité-, qu’on agite toujours devant nos yeux crédules la marionnette de l’ogre Le Pen !

              L’auteur aurait dû comme d’autres se renseigner sur le monsieur avant de déballer un catéchisme moutonnier !

              Le Pen ? une bête immonde !... qui l’est si peu en fait !


              • hans lefebvre hans lefebvre 17 février 2010 13:19

                Ah ce cher bardamu(ducul), faites donc un petit tour de soucoupe (cf ;explication ci-dessus) avec le borgne si cela vous chante ! Enfin, ce billet devrait vous mettre en joie puisqu’il constate une certaine lepénisation de notre loi ! Pour autant, le sujet abordé va bien au-delà de la problématique nationaliste, quoiqu’il l’anglobe, mais vous me semblez maîtriser l’art de feindre !
                Même remarque que pour votre camarade heyronimus, si nous étions en 36 et en Espagne, nous nous affronterions ! Mais, heureusement depuis, l’Europe s’est quelque peu pacifiée....
                ps : que fait votre ami llyod (CE GRAND CLOWN A LA RENVERSE), je ne l’entends pas ?


                • Bardamu 18 février 2010 09:23

                  Quelles intolérance et agressivité chez un anti-fasciste autoproclamé !

                  Tu nages dans la contradiction profonde, mon petit bonhomme !
                  Alors, une psychanalyse ?


                • hans lefebvre hans lefebvre 18 février 2010 18:27

                  @bardamu(ducul), anti-fasciste (invétéré), n’empêche nullement l’invective, je n’y vois aucune contradiction. En outre, être dans la contradiction n’oblige aucunement à la psychanalyse, je te trouve facile à la prescription, mon vieux bonhomme (pour faire dans la familiarité, même si je n’ai pas souvenir que nous ayons élevé les cochons ensemble).
                  Bien cordialement (anti-fascisme n’excluant aucunement le cordial).

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