De l’origine de nos malheurs...
L'une des disciplines scientifiques qui a été longtemps vue d'un œil suspicieux et étrange par les pouvoirs en place chez nous, en Algérie, c'est bel et bien l'anthropologie : la science de l'homme. Mais pourquoi l'anthropologie ? Considérée comme héritage colonial, elle est complètement bannie de l'espace universitaire. Ce prétexte est bien sûr fallacieux, car il ne repose pas sur une assertion scientifique bien vérifiée, mais sur un certain enfermement néocolonial qui cache des visées purement politiciennes. Un enfermement qu'on peut appeler " complexe d'infériorité vis-à-vis de l'ancienne métropole". Quand un certain Ahmed Taleb Ibrahimi, un islamiste qui fait de l'entrisme sa doctrine, refuse l'enseignement de cette discipline dans les années 1970 sous prétexte qu'elle sert les intérêts de l'ancien colon, on peut s'interroger sur le bien-fondé de sa déclaration, alors que les manuels scolaires de l'époque datent l'histoire algérienne à partir des "foutouhates islamiya" (conquêtes islamiques du Maghreb). Il n'est pas étonnant d'ailleurs qu'un "Amusnaw" (un grand savant) comme Mouloud Mammeri, l'un des rares anthropologues algériens avec Mohamed Arkoun et Mohand Cherif Sahli, soient craints par l'Establishment. La raison est simple : ils essaient d'étudier l'histoire, avec les yeux de sociologues et cela dérange beaucoup, parce qu'il risque de déboucher sur la rupture de ceux d'en-bas (longtemps manipulés), d'avec ceux d'en haut (longtemps manipulateurs). L'instrumentalisation de l'histoire et l'institutionnalisation du mensonge font partie des abcès de la dictature que l'anthropologie tente de crever.
Dans son ouvrage "Nation et Société" Mostéfa Lacheraf, qui était prof d'arabe et parmi les cinq historiques du FLN dont l'avion fut arraisonné par le Sdec en octobre 1956 (puis devenu ministre de l'éducation au cours des années 1970), a analysé cette rupture "anthropologique" si l'on ose dire, des Algériens avec leur histoire et les raisons qui ont laissé "Le fleuve détourné" (l'expression est du romancier Rachid Mimouni), suivre le même cours "détourné" pour des décennies. Connaître son histoire et tenter de l'étudier permet d'éviter nombre de problèmes et d'aller vers l'essentiel sans trop de difficultés. Si ce "boulot" socio-anthropologique avait été fait à temps, on aurait pu, peut-être, épargner de nombreuses crises (celles des années 1980 et 1990 en particulier), et construire une société saine aujourd'hui. Mais, hélas, "si" est dit-on l'ennemi de l'histoire !
Kamal Guerroua.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON