Une rumeur dangereuse d’abord combattue vigoureusement
Lancée sur un blog appartenant au site internet du Journal du Dimanche, elle a prétendu que le président et son épouse étaient infidèles l’un à l’autre. L’information était dangereuse car elle n’était pas invraisemblable. C’est d’abord quasiment le propre du pouvoir que d’être ainsi associé à une souveraineté sexuelle sans entrave : argent et sexe ne sont-ils pas les récompenses amènes qu’offre à profusion le pouvoir à qui l’exerce ? Inutile d’énumérer les maîtresses royales ou présidentielles à travers les âges ! Il apparaît qu’hommes et femmes se donnent volontiers avec entrain à tout heureux détenteur d’un pouvoir, comme les insectes à la clarté d’une lampe-tempête une nuit d’été. Le président Sarkozy et son épouse feraient-ils exception ? Ils paraissaient aptes au contraire à suivre la tradition : Mme Carla Bruni-Sarkozy n’avait-elle pas une solide réputation de collectionneuse avant d’épouser M. Sarkozy ? Et celui-ci ne semble pas non plus effarouché par le sexe féminin.
Il reste toutefois que la fonction présidentielle affiche une étiquette rigoriste : le président de la République se doit d’être exemplaire ou du moins de le paraître. Le 8 janvier 2008, en conférence de presse, le président avait ainsi tenu à officialiser son union avec Mme Bruni : "Avec Carla, avait-il annoncé, c’est du sérieux !" Il tenait à éviter les informations « glauques » glanées à l’heure du laitier ! Toute information contraire susceptible d’affaiblir le prestige et l’autorité de la fonction est rigoureusement gardée secrète ou vigoureusement combattue en cas de divulgation. Sont donc entrés en lice des proches du président pour porter le fer et l’affaire sur le terrain policier et judiciaire et surtout le faire connaître. Le Journal du Dimanche aurait été aimablement prié de porter plainte et de sanctionner les responsables de cette rumeur : il se serait exécuté. Des conseillers de l’Élysée ont dramatisé ensuite la situation en dénonçant un « complot avec des mouvements financiers » (?) fomenté contre le président. Et, d’autre part, ils ont osé mettre en cause l’ancienne garde des sceaux, Mme Dati, qu’ils ont soupçonnée d’être à l’origine de la rumeur.
Là encore, le contexte a rendu vraisemblable l’accusation. Mme Dati ne paraissait plus être en cour : elle venait, quelques jours plus tôt, de se voir retirer la voiture de fonction et les gardes du corps dont elle jouissait encore, même 9 mois après avoir quitté ses fonctions ministérielles. On n’a pas oublié non plus une rivalité de favorites qu’il y aurait eu entre elle et l’épouse du président : selon une biographie autorisée, à Mme Dati qu’elle promenait dans les appartements présidentiels privés, Madame Bruni Sarkozy aurait lancé élégamment au pied de son lit conjugal : « Tu aurais bien aimé l’occuper, n’est-ce pas ? » (1) Allait-on alors assister à l’ouverture de la boîte noire à secrets de Mme Dati par les conseillers du président ?
L’ultimatum de Mme Dati
La réaction de survie de l’intéressée ne s’est pas fait attendre suscitant dans la foulée celle de ses supposés adversaires. Elle a été curieusement invitée mercredi matin 7 avril sur RTL, Mme Carla Bruni-Sarkozy l’était le soir même sur Europe 1. La succession de ces deux interventions est trop rapprochée pour qu’on n’y voie pas de l’une à l’autre une relation de cause à effet.
Sur RTL, Mme Dati a défendu sa boîte noire à secrets avec adresse. Elle s’est contentée d’envoyer deux messages :
- l’un a laissé une porte de sortie à l’adversaire : Mme Dati a répété qu’elle ne confondait pas le président avec son entourage. Le président restait donc son ami à qui elle doit tout, malgré des indices manifestes de disgrâce. À lui donc de saisir la perche et de se dissocier de ses proches !
- Le second message résonnait comme un ultimatum par sous-entendu : Mme Dati affirmait qu’ « (elle) n’avait peur de rien ». La formule ne se limitait pas, semble-t-il, à une rodomontade. Elle pouvait signifier qu’elle n’avait pas peur parce qu’elle avait des armes pour se défendre et faire mal au besoin.
On pense à la réaction plus explicite de Jacques Chirac, alors Premier Ministre quand est reprise en août 1987 (2) par l’opposition socialiste l’accusation lancée par le président du Parlement iranien, selon laquelle la majorité de droite aurait cherché à reporter après les élections législatives de mars 1986, pour être plus sûre de les remporter, le règlement du sort des otages français au Liban : « Absurde, avait répondu, Jacques Chirac, mais je le dis très clairement… que s’il y avait des responsables politiques qui voulaient s’engager sur cette voie, je me permettrais de leur rappeler des réalités concrètes…Il y a eu tout de même un certain nombre de problèmes dont on n’a pas connu très exactement les données et les solutions et qui vont « des Irlandais de Vincennes » aux affaires du « Rainbow-Warrior ». Moi, je ne suis pas favorable, bien entendu, pour des questions qui tiennent à la dignité de la France, à soulever des problèmes qui n’ont pas à l’être, mais je demande à être respecté et je le serai. » L’avertissement était on ne peut plus clair ; l’opposition socialiste n’a pas insisté.
Le cessez-le-feu immédiat de Mme Bruni Sarkozy
La menace de Mme Dati a été, elle aussi, prise au sérieux et à un point tel que Mme Bruni Sarkozy en personne était dépêchée le soir même sur Europe 1, la radio de l’ami du président, M. A. Lagardère. On a appris que les conditions de l’apparente interview ont été strictement imposées : pas de prise vidéo en studio et pas de direct, mais un montage, sans doute pour éviter tout dérapage au cours d’une déclaration mûrement réfléchie et apprise par cœur.
Deux messages ont été aussi délivrés ; ils sont ni plus ni moins qu’une déclaration de cessez-le feu immédiat :
- le premier message en affiche le prix consenti : 1- le sacrifice élégant des conseillers qui ont brandi les menaces : ils sont désavoués mais excusés pour leur emportement amical ; il n’y a jamais eu de complot ! 2- Une représentation de la réalité notoirement infidèle mais assumée aux yeux de tous : il n’y a pas eu d’enquête, a affirmé Mme Bruni-Sarkozy, alors qu’un responsable policier a confirmé que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI- ex renseignements généraux) avait bien enquêté.
- Le second message est une déclaration publique et solennelle d’amitié : Mme Dati reste une amie !
Le secret gardé par une dissuasion mutuelle
On mesure au prix cher payé - le discrédit de conseillers et le sien propre par une représentation de la réalité ouvertement infidèle - le danger encouru par une menace d’ouverture de la boîte noire à secrets qui risquait de devenir une boîte de Pandore. On n’est bien apparemment dans la situation où deux camps se sont trouvés à deux doigt de déclencher « le feu nucléaire ». Selon le principe de la dissuasion, le premier qui prend la responsabilité de le faire doit s’attendre à une riposte égale voire supérieure. Les risques de destructions massives que le postulant agresseur encourent sont tels qu’ils doivent le faire renoncer aux avantages d’une première frappe qu’anéantirait aussitôt la riposte.
On a eu le sentiment que l’avertissement solennel de Mme Dati était lourd de menace. Le camp présidentiel d’en face n’a eu d’autre choix que de renoncer, séance tenante, aux accusations aventurées lancées par des conseillers qui paraissent n’avoir pas mesuré la puissance de nuisance de l’adversaire. On se souvient pourtant d’un article, « L’extravagante Mme Dati », paru le 12 décembre 2008 dans l’hebdomadaire Le Point : l’auteur, Denis Demonpion, laissait entendre que Mme Dati pouvait être détentrice de secrets dangereux pour le président, pour avoir été directrice générale adjointe au conseil général des Hauts- de-Seine. L’intéressée avait alors vertement réagi : « "Je me permets de vous faire part de ma surprise, pour ne pas dire plus, écrivait-elle au journaliste dans un droit de réponse. Vous insinuez que je serais en mesure de faire un usage déloyal d’informations en lien avec mes fonctions de directrice générale adjointe des services au conseil général des Hauts-de-Seine. Ceci est totalement faux. Vous mettez gravement en cause mon honneur et ma probité. J’en suis d’autant plus choquée que j’ai toujours exercé dans une absolue confidentialité et dans le plus strict respect des règles déontologiques l’ensemble des fonctions publiques et privées qui m’ont été confiées. » Mais cette riposte ne confirmait-elle pas l’existence de secrets dont elle était détentrice mais que sa déontologie jamais au grand jamais ne la conduirait à divulguer ?
L’information peut donc rester secrète même quand l’adversaire la connaît. Les placards à cadavres secrets demeurent fermés tant que l’un des deux camps ne s’avise pas d’ ouvrir celui de l’adversaire. C’est le principe de dissuasion nucléaire ou du chantage. Si dévastatrice soit-elle pour l’adversaire, une première frappe est trop déraisonnable si son auteur en subit une comparable en riposte. On s’étonne donc que des conseillers de l’Élysée se soient à ce point fourvoyés et aient contraint leur patron à faire retraite en les désavouant publiquement et en livrant de la réalité une représentation ouvertement erronée. La boîte noire à secrets peut exiger jusqu’à ces sacrifices. Et les performances technologiques des médias contemporains ont beau être fabuleuses, elles seront toujours impuissantes à l’ouvrir. La maison de verre transparente n’est pas pour demain. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Le lit présidentiel, Mme Bruni-Sarkozy et Mme Dati », AgoraVox, 5 juin 2008. (1) Cité par Libération du 4 juin 2008, rendant compte de la biographie autorisée : « La Véritable Histoire de Carla et Nicolas » (Editions du Moment).
(2) Le Monde, « Forum RMC-FR3 », 4 août 1987