De la consommation d’une tragédie
"L’Union Nationale" et "l’Union Sacrée" que l’émotion autour du massacre qui vient d’être commis essaie de nous imposer, manipulent les sentiments d’horreur et de révolte légitimes au service d’autres significations bien plus complexes et douteuses. La liberté d’expression n’est pas menacée en France, même la plus raciste. Nous ne sommes pas dans le camp de ceux qui soutiennent le racisme d’État ou les interventions impérialistes. Nous n’acceptons pas le "choc des civilisations" et la logique "terrorisme/antiterrorisme". Nous refusons d’avance toutes les nouvelles lois "sécuritaires" et toutes les nouvelles formes de discrimination ou d’injonction à l’égard des musulmans que cette union nationale ne peut manquer de produire."
Union Juive Française pour la Paix (UJFP)
De la consommation d'une tragédie
À travers le massacre immonde dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, un système tout aussi immonde récupère l'émotion populaire pour en faire son usufruit. La pourriture gagne du terrain, et il devient ces temps-ci de plus en plus difficile de rester soi-même, de penser par soi-même, de partager son quignon de pain dur. Le déchaînement de passions haineuses, de réactions grotesques qu'ont suscité les macabres événements de ces trois derniers jours révèlent à quel point les français s'ennuient mortellement. Il est loin le temps où, par exemple, un Charlie Chaplin, entre pleurs et éclats de rire, faisait l'unanimité des foules prolétaires devant un un film muet en noir et blanc.
Pour la première fois en France, le 7 janvier 2015, la rédaction d'un journal a été pulvérisée à coups de kalachnikov - quasiment en direct - à une heure de grande écoute. Images chocs, meurtres en série, course poursuite délirante, disparition/réapparition, suspense, folle équipée sauvage, dédoublement de situations, otages et fusillades. Le pays tout entier en eut le souffle coupé. Radios et télés chauffées à blanc, l'audimat en arriva presque au bord de l'explosion fatidique. A peine les dernières balles tirées, le Président François, parfaitement dans son rôle de rassembleur de tous les français, en appela à l'Union nationale. Comme en 14, comme en 39 ! Une marche blanche (manif officielle) a été rapidement programmée à laquelle se joindront pour défendre les valeurs de notre république tous ses fossoyeurs : Merkel, Schultz, Rajoy, Renzi, Junker, le ministre US de la justice, le secrétaire général de l'Otan, Orban, Porochenko, sans compter les ténors de l'UMP, les dealers du PS ... etc ... Netatanyaou en sera-t-il ? Rien que du beau monde gratiné et pour finir la France se retrouvera plus indéfectiblement otage du filet de plus en plus serré du Nouvel Ordre Mondial. A quelle sauce honteuse sera-t-elle mangée toute crue, cette bougresse mère-patrie des droits de l'homme ? L'union sacrée des beaufs ordinaires et des brebis galeuses politiciennes en prenant du plomb dans ses ailes bleu blanc rouge se fait inconsciemment la porte-parole de la petite bête brune qui monte, qui monte, qui monte ... Comment Reiser, s'il avait été encore vivant, aurait-il croqué la scène actuelle ?
Désormais il y a d'un côté l'attroupement en masse des "Je suis Charlie", c'est à dire d'une grande majorité qui ne veut pas voir les vautours perfides de la mondialisation économique tourner au-dessus du charnier et d'un autre côté, un groupuscule d'attardés mentaux critiques ayant cessé de lire Charlie Hebdo depuis belle lurette (2001), c'est à dire depuis que son directeur Philippe Val, ex chansonnier libertaire, avait hideusement pactisé avec l'ennemi déclaré en se ralliant à la mouvance de l'ordre établi en prenant comme "couverture" le fallacieux prétexte d'une vitrine de farces et attrapes humoristiques. Liberté d'expression ? Laissez-moi rire ! Une Caroline Fourest n'est pas drôle du tout qui coupe la parole à tout bout de champs aux terroristes-complotistes qui ne pensent pas sionisme comme elle. Et Siné, alors ? L'anar de service, lorsqu'il fut foutu à la porte comme un malpropre pour un dessin somme toute bien innocent comparé à la production à la chaîne souvent graveuleuse du journal satirique, personne n'en fit une affaire d'État. D'ailleurs il n'est que de comparer l'esprit de révolte du Charlie Hebdo originel (1969 /1981) à sa pâle copie frondeuse d'aujourd'hui (première parution : 1992) - qui a fait de l'islam son fond de commerce nauséabond - pour se faire une idée du fossé qui les sépare en dépit de la présence de quelques unes des figures fondatrices (Cavanna, Willem, Wolinski, Cabu). D'un côté l'obscurantisme dit éclairé de la bien-pensance, de l'autre le refus catégorique d'abandonner le terrain des luttes révolutionnaires d'une résistance toujours à l'oeuvre. Entre les deux ? Une guerre des classes complètement occultée par les sonneries assourdissantes des trompettes patriotiques.
Après cet acmé de l'horreur qui ne nous laissera pas en paix pour longtemps, nous avons tout de même l'immense soulagement de savoir que, parmi les victimes de la tuerie au siège de Charlie Hebdo, le dessinateur Riss, le journaliste Fabrice Nicolino (ex politis), et Philippe Lançon (critique littéraire à Libé) sont hors de danger mais resteront probablement traumatisés pour le restant de leurs jours. J'adresse mes très profondes condoléances aux proches des hommes et des femmes qui ont été si lâchement assassiné.
André Chenet, les 10 et 11 janvier 2015
Illustration : dessin d''Honoré, pour la liberté de la presse
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