De la contestation post-électorale
Dès l’annonce de la victoire de Donald Trump, de nombreux manifestants, partout aux USA, clamaient leur refus du nouveau président. Une « première » en Amérique, mais pas en Europe.
A n’en pas douter l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche restera l’une des grandes surprises de cette année 2016. Car l’opinion publique, tant américaine qu’européenne, ne donnait pas cher de ce candidat outrancier, plus apprécié pour son sens du spectacle que pour ses idées politiques. Est-ce pour cela que seulement 54% des électeurs américains sont allés aux urnes mardi 8 novembre ? Certes, on ne peut pas savoir où seraient allés les suffrages de ces 46% d’abstentionnistes. Mais on peut supposer que la candidate démocrate (qui a quand même recueilli 250 000 voix de plus que son adversaire) en aurait, au moins pour partie, bénéficiés. Seulement il n’y aura pas de second tour – et donc de seconde chance – pour infléchir – voire annuler - ce résultat. Il faut donc, démocratiquement parlant, accepter la majorité qui s’est dégagée de cette élection, fut-elle celle des grands électeurs, cette particularité américaine qui repose sur son organisation fédérale.
Or, qu’avons-nous vu, sitôt la victoire de Trump proclamée ? D’innombrables manifestants dans les rues des grandes villes américaines - New-York, San Francisco, Baltimore ou Chicago – pour contester sa légitimité à être le 45eme président des Etats-Unis. Donald Trump n’était pas leur candidat – c’est légitime -, mais il était néanmoins celui d’une autre Amérique, plus rurale, moins éduquée. Autrement dit, ces milliers d’électeurs déçus, démocrates pour la plupart, remettaient en question le fonctionnement démocratique au nom même de leurs convictions démocratiques, voyant en ce magnat de l’immobilier arrogant et intempestif le pire choix, la pire image de l’Amérique. Voilà un problème d’éthique comme Max Weber aimait à les formaliser. Cela suppose qu’il y aurait eu une erreur dans ces élections, qu’elle vienne des sondages, des médias, des électeurs, voir des institutions elles-mêmes. Dans ce cas, il faudrait revoir les règles du jeu, redéfinir la notion de citoyenneté sur d’autres critères que ceux qui prévalent aujourd’hui, abandonner le suffrage indirect. Ce n’est pas impossible mais une ou deux élections présidentielles se passeront avant que cette révision constitutionnelle ne devienne effective. Et si, en attendant, la réponse était, dans son évidence implacable, qu’il n’y avait pas eu d’erreur ?
Cette contestation post-électorale n’est pas une première en soi. Nous l’avons déjà vue à l’œuvre en Angleterre, voici cinq mois, après l’annonce du Brexit. Là aussi des électeurs pro-européens – mais aussi des indépendantistes inquiets et repentants - contestaient la légitimité de ce référendum, réclamaient un nouveau plébiscite, persuadés que son résultat serait différent parce que plus réfléchi. Vieille nation européenne, l’Angleterre ne devait pas rationnellement, selon eux, faire cavalier seul. Nous le pensons aussi, d’autant qu’il y a eu bien des mensonges dans la campagne qui l’a précédée, à commencer par ceux de Nigel Farage, le leader populiste, sur la destination des impôts économisés. Certes le destin des peuples ne doit pas se jouer aux dés. Mais quid, néanmoins, de la légitimité de chaque citoyen à exprimer son choix pour la nation à laquelle il appartient ?
Dans ces deux élections, pourtant, seules les réactions de rejet se ressemblent ; leurs protocoles et leurs enjeux sont évidemment différents. Elles n’en posent pas moins le problème de la montée des extrêmes dans les différentes formes de processus démocratiques. Si Donald Trump avait été un candidat « normal », issu de l’establishment - comme, par exemple, John Mc Cain en 2008 -, ses adversaires n’auraient pas défilé massivement dans les rues pour refuser son élection. Mais si Trump avait été un candidat « normal » - un peu comme ceux qu’il a éliminés au cours des primaires républicaines -, il est très probable qu’il n’aurait pas gagné face à Hillary Clinton. Se normalisera-t-il en entrant dans son costume présidentiel ? Cela aussi est fort possible, car gouverner un pays implique une autre logique, d’autres attitudes que celles d’un candidat en campagne. Dans le cas contraire, il y a gros à parier que ses opposants seront de plus en plus nombreux à battre le pavé des villes américaines.
Jacques LUCCHESI
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