De la « dékoulakisation » à la famine
En 1928, Staline met un terme à la NEP (Nouvelle Politique Economique) qui avait introduit une « dose » de capitalisme contrôlé par l’Etat Ouvrier. Il commence donc la politique des plans quinquennaux. Le premier va de 1928 à 1933. Ce sera un échec total qui conduira à une régression de la productivité agricole et à une famine dans de vastes régions de l’URSS de 1930 à 1933. Cette période sera suivie par une autre période aussi dramatique que nous examinerons dans un autre article. Ce sera : « La Grande Terreur ».
La guerre des chiffres
Pour qui essaie de se renseigner que ce soit sur cette période dite de « dékoulakisation » ou sur la période suivante de la « Grande Terreur », il est évident qu’une véritable guerre des chiffres se déchaine entre des auteurs et des chercheurs qui ont des points de vue différents. Assurément, certains calculs sont entachés de mauvaise foi.
Imaginez qu’un auteur mal intentionné à propos de la révolution française de 1789-93 ajouterait aux chiffres bien réels de la terreur ceux de la guerre menée par les français qui défendaient leur révolution face aux monarchies d’Europe. Faire des révolutionnaires les uniques responsables de ces morts serait assurément de la mauvaise foi. Mais on trouve pire que ça chez ceux qui y ajoutent la période napoléonienne. Il est certain que Napoléon ne serait pas arrivé au pouvoir sans qu’il y ait eu auparavant la révolution française. Alors pourquoi ne pas y ajouter tous les morts des guerres napoléoniennes qu’elles aient abouti à des victoires ou des défaites. D’ailleurs, Victor Hugo fait un lien bien réel entre ces évènements. Dans « Les Misérables », il consacre un chapitre à Waterloo et il explique que ce fut une victoire contre-révolutionnaire des monarchies d’Europe coalisées contre ce qui restait de la révolution française.
Ceux qui veulent salir la révolution russe procèdent ainsi. Les bolcheviks seraient les seuls responsables des morts de la guerre civile et il faudrait en plus y ajouter tous les morts de la terreur stalinienne. Mais ces auteurs n’ont jamais expliqué que Napoléon était le successeur de Robespierre. Pourquoi alors faudrait-il considérer que Staline serait le successeur de Lénine ? Nous allons voir que Staline a fait assassiner tous les bolcheviks et tous les généraux qui ont gagné la guerre civile. Staline est devenu l’ennemi des révolutionnaires. Craignant qu’il le chasse avec une nouvelle révolution, il a fait une contre-révolution préventive. C’est ce que nous verrons avec « La Grande Terreur ». Que je sache, Napoléon n’a pas exterminé les révolutionnaires de 1989-93 ni les soldats de l’an II. Il y aurait beaucoup plus de raisons de faire de Napoléon le successeur de Robespierre que de faire de Staline le successeur de Lénine.
Non ! Les chiffres de la « dékoulakisation » et de la terreur stalinienne ne sont pas à ajouter à ceux de la révolution. Prenons-les comme une donnée indépendante. La terreur stalinienne fut le fait du stalinisme c’est-à-dire de Staline et de son abominable régime. Les bolcheviks n’y sont pour rien.
Mais, même en le prenant ainsi, il est certain que les points de vue divergent et les chiffres connaissent encore d’énormes fluctuations notamment à propos de la famine.
Annie Lacroix Riz conteste qu’il y ait eu une famine comme conséquence de la politique de Staline. Elle écrit « L’URSS a connu en 1932-1933 une sérieuse disette conduisant à un strict renforcement du rationnement, pas une famine et en tout cas pas une famine à "six millions de morts" ». Il est vrai qu’à l’autre extrémité les chiffres ont été gonflés. Jean-Jacques Marie écrit :
« Des historiens ukrainiens, pour accréditer la thèse du « génocide ukrainien », ont avancé, pour leur seul pays, des chiffres fantaisistes : 7 à 15 millions de personnes auraient été victimes d’extermination. Mais celui-ci est complètement imaginaire. »
Dans la crise ukrainienne actuelle, il est évident que les chiffres sont gonflés du côté des nationalistes ukrainiens qui cherchent à expliquer que la famine a été intentionnelle. Ils parlent d’un génocide. Il s’agirait d’une volonté délibérée d’exterminer une population que Staline aurait estimée être potentiellement dangereuse pour son pouvoir. Le terme Holodomor est souvent employé dans ce sens pour désigner la famine en Ukraine qui aurait été voulue et organisée. Pour ma part, je ne pense pas qu’elle ait été voulue. Je partage l’avis de Jean-Jacques Marie qui écrit :
« L’ampleur de la famine découle des méthodes de la collectivisation et de la répression de la résistance acharnée de larges couches de la paysannerie. »
Cette guerre des chiffres a une importance toute relative. 100 000 ou 500 000 morts de faim, ce n’est certes pas la même chose mais c’est abominable dans les deux cas. Je donnerai quelques chiffres en précisant d’où ils viennent mais j’essaierai surtout d’expliquer les processus politiques qui ont amené toutes ces horreurs.
Les critiques et propositions de l’Opposition de Gauche
Il faut comparer ce qui s’est passé avec ce que furent les propositions de l’Opposition de Gauche.
J’ai déjà expliqué qu’en mai 1927, l’Opposition de Gauche se ressoude autour de Trotsky avec une déclaration envoyée au Comité Central du PCUS après qu’elle ait été signée par 83 militants, qui étaient presque tous d’anciens bolcheviks d’octobre 1917. Ce texte avait recueilli ensuite environ 3 000 autres signatures. Trotsky faisait une critique de la politique extérieure de Staline mais, dans le même texte, Trotsky conteste aussi sa politique intérieure.
« Pour n'importe quel marxiste, il est indiscutable que la fausse ligne en Chine et dans la question du comité anglo-russe n'est pas fortuite. Elle prolonge et complète la fausse ligne dans la politique intérieure. »
« Les déviations ne sont pas aussi visibles dans les questions intérieures, car les processus intérieurs se développent beaucoup moins vite que la grève générale anglaise et la révolution chinoise. Mais les tendances essentielles de cette politique sont les mêmes là-bas qu'ici. »
Il explique que la politique de la NEP a permis de redresser la situation.
« L'économie de l'Union soviétique en général a terminé sa période de reconstitution. Pendant cette période, on a enregistré dans la construction économique des victoires sérieuses. L'industrie, l'économie rurale et d'autres branches de l'économie sont prêtes à atteindre le niveau d'avant-guerre et même le dépassent (dans le domaine de la coopération on enregistre des succès analogues). Ces victoires sont les meilleures preuves de la justesse de la formule de la nouvelle politique économique, proclamée par Lénine et la meilleure réponse aux ennemis de la Révolution d'Octobre. »
Cependant, les effets négatifs commencent à se faire sentir. L’injustice sociale est de retour avec des privilégiés : les « nepmans » qui tirent profit notamment du commerce des marchandises ; les koulaks, riches propriétaires terriens et aussi les bureaucrates du parti. Il est temps de changer de politique.
« Une fausse politique accélère la croissance des forces hostiles à la dictature prolétarienne : les koulaks, nepmans, bureaucrates. Ceci mène à l'impossibilité d'utiliser dans la mesure voulue et dans la mesure due les ressources matérielles qu'il y a dans le pays pour l'industrie et pour l'économie d'État. Le retard de la grosse industrie sur les demandes qui lui proviennent de la part de l'économie nationale (disette de marchandises, hauts prix, chômage) et de tout le système soviétique en entier (la défense du pays) amène le renforcement des éléments capitalistes dans l'économie de l'Union soviétique, surtout à la campagne. »
Il critique la politique salariale :
« La croissance des salaires s'est arrêtée, il y a même des tendances à les baisser, pour certains groupes d'ouvriers. (…) l'ouvrier en URSS ne peut, à l'heure actuelle, améliorer son bien-être, non suivant le développement de l'économie du pays et de la technique comme autrefois, mais il ne peut le faire qu'à la condition de se dépenser davantage et de fournir un plus grand effort physique. C'est pour la première fois qu'on pose ainsi le problème, au moment où l'intensification du travail en général, à l'heure actuelle, a atteint le niveau d'avant-guerre et par endroits l'a dépassé, une telle politique atteint les intérêts de la classe ouvrière. »
Le chômage s’accroit et la baisse des prix annoncée ne vient pas. A la campagne, « la différenciation de la paysannerie », c’est-à-dire l’inégalité sociale, va de plus en plus vite. La situation s’aggrave pour les paysans pauvres tandis que les aspirations exploiteuses des koulaks (paysans riches) se réalisent de mieux en mieux. Trotsky fait des propositions concrètes pour améliorer cette situation :
« La proposition d'exonérer de l'impôt agricole 50 % des économies rurales, c'est-à-dire les paysans pauvres et peu aisés, est condamnée avec acharnement bien que la situation politique et économique de la campagne la confirme complètement. Quelques dizaines de millions de roubles sur un budget de 5 milliards sont d'une importance tout à fait minime, alors que prendre cette somme sur les économies rurales peu aisées, c'est accélérer la différenciation à la campagne et affaiblir les positions de la dictature du prolétariat à la campagne. « Savoir se mettre d'accord avec les paysans moyens, sans renoncer un seul instant à la lutte contre les koulaks et tout en s'appuyant solidement seulement sur les paysans pauvres » (Lénine), voilà quelle doit être la ligne essentielle de notre politique à la campagne. »
Il critique aussi la politique industrielle :
« La rationalisation de l'industrie n'a pas été faite d'après un plan d'ensemble et réfléchi et a conduit de nouveaux groupes d'ouvriers dans les rangs des sans-travail, sans amener la diminution du prix de revient. »
La « Dékoulakisation »
Staline va en effet changer de politique mais avec des méthodes qui n’ont rien de commun avec les propositions de Trotsky et les résultats catastrophiques de sa politique vont aboutir à un recul de la productivité pendant plusieurs années avant que ne reprenne la croissance.
Staline débarrassé dans le parti de toute opposition, va mener une politique basée essentiellement sur la coercition. Cependant cette politique sera présentée comme si elle reprenait les propositions de l’opposition de gauche. Ce sera le cas à la fois pour la politique d’industrialisation, pour la collectivisation et pour la « dékoulakisation ». Ce dernier vocable semble indiquer que Staline veut s’attaquer aux riches paysans pour le bénéfice des plus pauvres. Il voudrait ainsi lutter contre de riches propriétaires partisans du retour au capitalisme. Ce sera en fait toute la paysannerie qui sera attaquée et traitée comme un ennemi potentiel. Staline n’a jamais pensé à prendre des mesures d’incitation ou à mener une pédagogie basée sur des exemples. Il veut, avec cette politique, peupler des régions riches en ressources naturelles comme la Sibérie, le Grand Nord, l’Oural ou le Kazakhstan et, là encore, l’idée d’avoir une politique incitative ne lui effleure pas l’esprit. Il va mener de front la politique de peuplement de ces régions et la dékoulakisation en envoyant dans ces régions inhospitalières une main d’œuvre à bon marché pour abattre les arbres, ouvrir des voies de chemin de fer, tracer des routes, couper du bois ou extraire du charbon. Il la trouvera facilement en procédant à des déportations forcées. Les paysans, gros ou petits propriétaires, seront expropriés et envoyés par millions vers ces régions sans être mieux considérés que du bétail. Cet objectif s’inscrit dans la mise en œuvre du 1er Plan quinquennal de 1928-1933 qui doit industrialiser le pays à grande vitesse. La collectivisation devrait être un vecteur de mécanisation de l’agriculture qui ferait donc appel à une production industrielle. Cela serait donc une reprise d’une proposition de l’opposition de gauche mais il n’en est rien, non seulement parce que Trotsky n’a jamais songé à des déportations forcées mais, de plus, la collectivisation des terres est menée avant que l’industrialisation ait permis la mécanisation de l’agriculture. L’industrialisation est menée avec de grands projets qui amènent un grand flux de populations vers les villes sans que des logements soient construits. Les critères de définition du koulak sont plus subjectifs qu’objectifs. Tout paysan qui manifeste de la mauvaise humeur sera bientôt qualifié de koulak. Parmi eux se trouveront en grand nombre des paysans pauvres. La Wikipédia indique :
« Ces koulaks sont arrêtés, déportés ou fusillés. En 1930, les archives de l'OGPU (Guépéou) recensent 14 000 soulèvements impliquant environ 3,5 millions de paysans. Entre 1930 et 1932, 1 800 000 Russes sont déportés dans les villages de colonisation de Sibérie »
Quatre vagues de déportations sont organisées la première de début février à fin septembre 1930, la seconde de début février à fin mai 1930, la troisième de fin septembre à octobre 1930 et la quatrième de mai à septembre 1931. La première vague concerne les koulaks de première catégorie définis comme des « activistes engagés dans des actions contre-révolutionnaires » et les trois autres concernent des koulaks de deuxième catégorie définis comme des « exploiteurs, mais moins activement engagés dans des activités contre-révolutionnaires ».
Au fil du temps, le zèle des « activistes-collectivistes » va faire s’élargir cette notion de « koulaks-exploiteurs ». En mars 1929, le gouvernement avait décidé de classer des fermiers dans la catégorie des koulaks avec les critères objectifs suivants :
- Embauche permanente de salariés (sans précision de nombre).
- Possession d’un moulin ; d’une beurrerie, d’une arçonnerie, d’une râperie ou d’une sécheuse de pomme de terre, de fruits ou de légumes actionnée par un moteur ou un moulin à eau ou à vent.
- Louage de machines agricoles à moteur.
- Louage d’un local.
- Pratique du commerce, de l’usure ou jouissance de revenus ne provenant pas du travail.
Mais, ces critères vont rapidement laisser la place à des appréciations plus subjectives. Pour intimider les paysans, Staline dépêche une promotion de 27 000 militants, dits « ouvriers de choc » pour agir en supplétifs des troupes spéciales du Guépéou. Jean-Jacques Marie précise (« Staline » p 355) :
« Les empereurs romains promettaient aux dénonciateurs le quart de la fortune de leurs victimes fortunées ; Staline les imite : il promet une partie du butin des koulaks aux paysans pauvres, sans terre, sans bétail ni matériel, pour les mobiliser comme force de frappe. Il fait ainsi du pillage et du règlement de comptes un moteur de la collectivation et transforme une partie des paysans pauvres, enrôlés dans les rangs des « activistes », en pillards et parasites, prêts à qualifier de koulak leur voisin afin de mettre la main sur ses biens. Ceux-là formeront demain la couche inférieure de la caste bureaucratique »
A la fin de 1931, 350 000 à 380 000 (au gré des diverses statistiques) familles de soi-disant koulaks ont été déportées soit au moins 1 800 000 personnes en deux ans. De plus, 1 million de paysans ont fui la campagne pour travailler sur les grands chantiers ouverts pour l’industrialisation. Ajoutons encore que 400 000 familles, soit environ, 2 millions de personnes, ont été déplacées au sein de leur province sur des terres à défricher. Nombre d’entre eux fuient vers les villes. Tous ces « peuplements spéciaux » de déportés vivent misérablement dans des baraques ou des tentes par des températures pouvant descendre jusqu’à -50°. Leur sous-alimentation provoque une mortalité massive due au scorbut et au typhus.
La pratique de la terreur de masse permet à la fois de briser la résistance paysanne et de fournir à bas coût un travail abondant. En même temps, la menace de la déportation permet d’imposer des salaires très bas à la population laborieuse et des conditions de logement et d’alimentation déplorables. Les services secrets prennent en charge le déchainement de la Terreur que nécessite cette politique.
L’échec du premier plan quinquennal
En fait, contrairement à ce que dit Staline, le premier plan quinquennal a été un échec. Staline a mis la charrue avant les bœufs ou, plus concrètement, il a mis la collectivisation de l’agriculture avant les tracteurs. La productivité pour la récolte du blé, par exemple, n’est nullement améliorée du fait qu’on ait rassemblé 50 petites exploitations en une seule s’il n’y a pas de moissonneuse-batteuse. Le travail à fournir est le même avec beaucoup de motivation en moins chez ces paysans contraints à un mode de travail dont ils ne voulaient pas. Ajoutons que le nombre de paysans diminue. Un unique tracteur a été construit à prix d’or pour être présenté triomphalement au XVIème congrès de 1930. Staline présente néanmoins un bilan plus que positif « La crise du blé peut être considérée comme résolue (…). L’approvisionnement en pain considéré comme assuré ». En fait, la famine revient dans plusieurs régions de l’URSS. La viande devient elle aussi une denrée rare. Avant d’être expropriés, les paysans égorgent leurs animaux pour ne pas être contraints de les donner. Chevaux, bœufs, porcs et volailles disparaissent.
« Les conséquences de la collectivisation forcée sur la production agricole sont connues : les paysans ont abattu près de la moitié du cheptel, la récolte a baissé d’un bon tiers en 1930, la disette rôde dans les campagnes » (« Staline » de Jean-Jacques Marie. p. 385)
Staline refuse d’importer du blé pour que cet échec ne soit pas perçu à l’étranger et aussi parce qu’il manque de devises.
De 1928 à 1932, l’ensemble de cette politique (dékoulakisation, collectivisation et industrialisation) a fait affluer dans les villes près de 12 millions d’habitants supplémentaires sans construction de logements. Les foyers sont sales, envahis d’insectes et de parasites divers. De nombreux travailleurs dorment dans les ateliers, dans des wagons ou dans des gares… La misère se répand et, avec elle, des explosions de mécontentement. Des dépôts de blé sont pris d’assaut. Des manifestations, des marches de la faim se heurtent à la milice…
Le plan quinquennal était peut être impossible à réaliser même avec une autre politique. Mais, avec pour seule méthode la terreur, l’échec de Staline était assuré. Celui-ci, pour calmer l’opinion publique, désigne des boucs émissaires. Dès 1930, les experts en économie et autres responsables de la mise en œuvre du plan sont stigmatisés comme nuisibles et saboteurs. Ils sont publiquement accusés lors d’une série de simulacres de procès qui préfigurent ce que seront bientôt les « procès de Moscou ». En décembre 1930, le procès contre le « Parti industriel » est le plus important. Vychinski est l’accusateur public de 8 techniciens, ingénieurs et professeurs d’économie de haut niveau. Les interrogatoires menés avec tout un arsenal de tortures, de menaces, de promesses, pendant la détention préventive, ont brisé toute velléité de résistance des accusés qui avouent tous leur culpabilité. Ils se désignent eux-mêmes comme des traitres travaillant à la solde de puissances extérieures. Ils donnent ainsi une explication aux échecs du plan quinquennal (voir la vidéo) qui convient à Staline et qui est répercutée dans tout le pays par un énorme tapage médiatique.
Les famines de 1931-33
Les famines furent les conséquences les plus dramatiques de l’échec de cette politique. La Wikipédia résume ainsi ce résultat de la politique de Staline :
« Les famines soviétiques de 1931-1933 ont touché l'ensemble de l’URSS dans les années 1931-1933, faisant entre 6 et 8 millions de morts selon les estimations (Stephen Wheatcroft en dénombre 4,5 millions). Cet épisode tragique est longtemps resté un sujet tabou en Union soviétique. Les régions particulièrement touchées furent le centre et l'est de l'Ukraine, le Sud de la Biélorussie, les rives de la Volga, la région des terres noires du Centre de la Russie, les régions des cosaques du Don et du Kouban, le Caucase du Nord, le nord du Kazakhstan, le sud de l'Oural et la Sibérie occidentale »
« Les victimes Kasakhs dues à cette famine sont estimées à 1,4 million pour un peuple comptant alors 4 millions de personnes. Le nombre de victimes ukrainiennes fait quant à elle l'objet d'estimations fort variables, dépassant généralement les 3 millions de personnes. Cependant, les démographes obtiennent de leurs études 2,6 millions de décès ukrainiens provoqués par la famine. Le nombre approximatif de victimes russes peut être estimé à 1,5 million de personnes. »
« Le chiffre de 10 millions de victimes pour toute l'URSS d'alors est lui aussi souvent évoqué du fait qu'il n'y avait pas d'observateurs ni de journalistes étrangers pour en témoigner. »
Jean-Jacques Marie donne des chiffres un peu différents (« Staline » p. 410) :
« La famine a tué 4 millions de paysans ukrainiens. Le deuxième secrétaire du PC ukrainien de l’époque, Demtchenko, emmène un jour en voiture son fils de 9 ans dans un village où tous les habitants sont morts ou se sont entre dévorés et lui dit : « Tu vois, c’est ça Staline » ; mais ce même Demtchenko le soutient en public. Des historiens ukrainiens, pour accréditer la thèse du « génocide ukrainien », ont avancé, pour leur seul pays, des chiffres fantaisistes : 7 à 15 millions de personnes auraient été victimes d’extermination. Mais celui-ci est complètement imaginaire. »(…)
La famine touchera au total, dans toute l’URSS, 30 millions de paysans, 7 millions en périront. »
Nous avons déjà ciblé les causes essentielles de ces famines. Les paysans affluent vers les villes. Cet exode rural est la conséquence de l'industrialisation à toute vitesse, amenant ainsi à une chute brutale de la démographie paysanne et un entassement urbain sans urbanisation antérieure. Cependant cette industrialisation est en retard pour la production de machines agricoles. La désertification rapide des campagnes fit s'effondrer une production agricole de type féodal déjà faible. La campagne manque alors de main d’œuvre dans des kolkhoses imposés aux paysans alors que les tracteurs et les moissonneuses-batteuses n’arrivent pas. C’est une contradiction que d’avoir collectivisé sans mécanisation. Les producteurs sont démotivés dans ces kolkhoses où personne ne se sent responsable de la production globale alors que chacun cherche au jour le jour de quoi nourrir sa famille.
Depuis l'ouverture des archives soviétiques, la réalité de cette famine en URSS n’est plus contestée. Bien avant que le nom de « Holodomor » ne soit avancé, la famine avait été décrite, dès 1935 par Boris Souvarine et faisait partie de la mémoire collective mais clandestine des populations concernées (seules les publications dissidentes, les samizdats, l'évoquaient par écrit).
Elle est la conséquence d’une politique démentielle de Staline. Une collectivisation de l’agriculture sans mécanisation avec en plus une énorme diminution du cheptel de chevaux. Une désertification des campagnes par un exode rural sans construction de logements. Des déportations massives et inutiles. Certains camps avaient une production déficitaire quand des détenus mourraient littéralement de froid et de faim en étant incapables de produire de quoi rémunérer l’administration répressive. Tout cela ne pouvait se faire que sous la contrainte avec un système répressif qui est responsable d’énormément de morts à la fois pour contrer les révoltes de toutes sortes puis pour sanctionner des boucs émissaires… C’est cette politique qui a engendré des famines non seulement dans les régions qui accueillaient les déportés mais aussi dans le grenier à grain de l’URSS qu’était l’Ukraine. La production agricole a chuté de manière vertigineuse dans des kolkhoses sans tracteur, et souvent sans chevaux, où personne ne voulait vraiment travailler. Les villes surpeuplées n’étaient plus approvisionnées…
En 1934, la collectivisation est achevée. Voici le bilan que tire Jean-Jacques Marie (« Staline » p. 422).
« La production est de deux fois inférieure à celle de 1919, la pire année de la guerre civile ! 17,7 millions de chevaux, plus de 10 millions de porcs et 25 millions de bêtes à cornes ont péri. Staline se vantera bientôt à Churchill d’avoir gagné la guerre de la collectivisation au prix de 10 millions de morts. La paysannerie est brisée. Sa capacité de résistance active (mais non passive) est anéantie »
Jean-Jacques Marie précise que cela a, entre autres conséquences, la mise en place de tout un nouveau pan de la nomenklatura qui vient s’ajouter au parti et à l’appareil policier et juridique :
« La bureaucratie a élargi sa base : la constitution des kolkhozes et des sovkhozes entraîne la prolifération des fonctions de gestion, de commandement, de surveillance, de contrôle et de répartition assumées par des paysans, employés et ouvriers, promus et dotés de petits privilèges, dont le plus important est d’être assis le plus souvent dans un local ou un bureau à l’abri du froid, du vent ou de la chaleur. Leur fonction de relais du pouvoir leur assure une foule de petits avantages dont le cumul n’est pas négligeable. »
Vers la grande terreur
Cette politique est très critiquée en URSS et Staline doit prendre des mesures supplémentaires pour renforcer son autorité. Nous avons vu que toutes les oppositions ont été éliminées du parti mais cela ne lui suffit plus. Il lui faut maintenant un parti uniquement composé de lèches-bottes qui accepteront toutes les décisions sans émettre aucune critique. Il va devoir faire une grande purge dans le parti. Mais le mécontentement est tel qu’il craint aussi les révoltes voire même une révolution. Il va donc lui falloir aussi mettre en œuvre une contre-révolution préventive. Ce sera la Grande Terreur.
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