Allez, c’est ma rentrée ! Quoi de neuf dans le monde ? Un coup d’Etat toujours d’actualité au Honduras, une
, de "légers" soupçons de fraude en Afghanistan, un Iran jamais autant diabolisé, un G-vain et un monde de la finance folle qui reprend son envol comme si rien ne s’était passé. Rien de très surprenant, donc…
Partout dans le monde, l’on ne cesse d’invoquer la démocratie comme but à atteindre : le "moins mauvais des systèmes" justifie toutes les guerres, toutes les ingérences, à condition bien sûr qu’il amène au pouvoir quelqu’un qui nous plaise… Mais qu’en est-il dans nos contrées ? Quelques faits récents me font réfléchir sur la notion de démocratie :
Tout d’abord, la victoire du "oui" au Traité de Lisbonne en Irlande, incontestable malgré une probable collusion des médias, pose de sérieux problèmes de méthode : Faire revoter un peuple jusqu’à ce qu’il réponde ce qu’on veut qu’il réponde ne me paraît pas être un processus très démocratique. Est-il plus élégant d’adopter ce Traité par le Parlement quand un peuple épris de fromage l’a rejeté trois ans auparavant ? Peut-être pas, mais au moins, nos chers représentants ont eu le tact de le faire en toute discrétion.
Du coup, sans doute en manque de référendum, voilà que les "groupuscules gauchistes" ont organisé une "votation citoyenne" sur l’avenir de La Poste, en posant la question suivante : "Le gouvernement veut changer le statut de La Poste pour la privatiser, êtes-vous d’accord avec ce projet ?"
Je m’insurge contre cette question orientée digne d’un sondage du Figaro doublée d’un procès d’intention scandaleux : L’objet du projet de loi concerne le changement de statut de la Poste mais en aucun cas sa privatisation ! "La Poste restera à 100% publique et ce sera inscrit noir sur blanc dans la loi",
martèle Frédéric Lefebvre. Certes, de la même manière, la privatisation de France Télécom a été précédée d’un changement de statut. Certes, en 2004, le gouvernement, Nicolas Sarkozy en tête,
jurait qu’EDF et GDF ne seraient jamais privatisés. Certes, ce même Président a le nez qui s’allonge plus souvent qu’un pantin de bois italien (affaire de
l’immigration zéro et du
CIP de Balladur). Mais tout cela ne certifie pas qu’ils vont récidiver ! Il faut croire en la rédemption, on a même vu dans l’Histoire des gouvernements virer à gauche… Le gouvernement n’est pas un monstre, c’est un être humain malade psychologiquement qui nécessite des soins intensifs. On mesure le degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses malades mentaux. Au risque d’aller à contre-pied de la vindicte populaire, accordons donc à notre gouvernement une deuxième chance.
La transition un peu forcée m’amène à évoquer le débat sur la récidive qu’entraîne le meurtre de la joggeuse Marie-Christine Hodeau. Sur un plan strictement comptable,
les faits sont là : S’agissant des crimes, sur une période d’observation de 21 ans, le taux de récidive s’élève à 3% dont 1,3% concernant les viols. Qui plus est, ce taux diminue lorsque les détenus bénéficient d’un aménagement de peine. La perpétuité réelle, non seulement contraire aux principes humanistes, est également très difficile à mettre en œuvre. Un des seuls points sur lequel s’accordent tous les acteurs du monde pénitentiaire pour justifier l’inefficacité de certaines remises en liberté concerne le manque de moyens alloués. J’avoue ne pas avoir d’avis tranché sur la castration chimique volontaire, déjà existante, mais je préfère savoir cette question entre les mains d’experts médicaux plutôt que d’hommes politiques désireux de surfer sur la vague d’émotion suscitée dans l’opinion publique. Ces sujets sont trop délicats et trop complexes pour prétendre à une solution miracle en accumulant les lois. Un peu d’humilité ne ferait pas de mal aux super-héros de la politique. Je conseille d’ailleurs à ceux qui croient au risque zéro de relire
1984 et aux partisans du lynchage public de revoir
M Le Maudit.
Ce sont justement les nombreuses réactions passionnées de l’opinion qui m’interpellent le plus dans cette affaire. Un tel déchaînement de haine donne la permission au FN, par la voix de Marine Le Pen, de défendre la plus grande des peines (vous remarquerez les rimes suivies). Eh oui, en 2009, en France, on peut encore débattre de la peine de mort,
pour le plus grand plaisir d’Eric Zemmour, certainement. Mais cela est-il aussi anachronique que certains le disent ? Imaginons que l’on organise un référendum sur la peine de mort, comme le réclame l’extrême-droite, juste après un drame comme celui qui vient de se dérouler (Bien heureusement, le droit européen nous l’interdit, mais on peut toujours jouer à se faire peur, non ?). Le résultat donnerait à coup sûr des sueurs froides à Robert Badinter… L’abolition de la peine de mort, adoptée par le gouvernement Mitterrand en 1981 alors que 63% des français y étaient opposés, rentre peu à peu dans les mœurs mais l’opinion reste fluctuante en fonction des faits-divers.
Or, dans ce cas, ceux qui défendent ardemment le respect de la parole des peuples et la tenue de referenda à propos de la Constitution Européenne et du changement de statut de La Poste seraient les premiers à crier au scandale à l’idée d’un tel référendum sur la peine capitale. Où est la cohérence dans tout ça ? Je pourrais même pousser le vice jusqu’à prétendre qu’en amalgamant la situation de La Poste avec celle de France Télécom et en jouant sur l’émotion qu’y provoque la vague de suicides, la Gauche appuie sur la même corde sensible que la Droite, chacune dans son domaine mais avec les mêmes méthodes. Quand l’émotion et les passions prennent le pas sur la raison et la réflexion, comment défendre ses idées ?
De même, je classerais les lynchages médiatiques subis par Brice Hortefeux et par Frédéric Mitterrand dans la même catégorie : La gauche antiraciste réclame la démission du premier pour une "blague" de très mauvais goût alors que l’extrême-droite, là-encore galvanisée par la voix rauque de Marine Le Pen dans l’émission Mots Croisés, réclame la tête du second en l’accusant de pédophilie. En cause, un extrait de La Mauvaise Vie, le roman/autobiographie écrit par Frédéric Mitterrand en 2005, où il décrit la participation du narrateur à du tourisme sexuel en Thaïlande. En oubliant le côté glauque de l’affaire, il serait tout de même assez amusant de voir quelqu’un puni pour s’être livré à une sorte de thérapie littéraire. Victime de son succès et de sa belle plume, en somme. Comme Cohn-Bendit. Evidemment, à l’instar de François Bayrou qui dévoilait les débraguettées de Dany par des enfants juste avant les élections européennes, Marine Le Pen clame la prose de Mitterrand alors que résonnent encore l’affaire Polanski et celle de la joggeuse. A chaque fois, pour Hortefeux comme pour Mitterrand, leurs adversaires politiques utilisent les réactions indignées de l’opinion (Internet, en l’occurrence) pour donner de la force à leurs revendications. Que leurs accusations reposent sur des interprétations hasardeuses, peu importe : Internet gronde et ça leur suffit... La politique des deux ministres, répressive et inefficace, quant à elle, ne rencontre que très peu de critiques sur le fond. Il est vrai qu’il est plus facile de traiter son adversaire de raciste ou de pédophile que de le combattre par les idées.
Une des autres limites de la démocratie m’apparaît dans la dictature des sondages. Il devient de plus en plus difficile de percevoir dans les orientations des principaux leaders une réelle conviction politique : Un coup d’œil dans les sondages et voilà notre Ségolène Royal engagée dans une diatribe contre la taxe carbone. Je félicite Nicolas Sarkozy de son ouverture d’esprit mais s’il pouvait éviter de plagier le discours de l’extrême-gauche à la tribune de l’ONU, de mettre dans sa poche toutes les mamies réactionnaires après un fait-divers, de parler comme un syndicaliste devant les ouvriers, de faire des cadeaux aux entrepreneurs tout en les insultant et de se déguiser en géant vert après les européennes, les autres partis politiques auraient une raison d’exister… D’ailleurs, si l’on en croit les
enquêtes de la dernière élection présidentielle, selon lesquelles les plus de 60 ans ont massivement voté pour Nicolas Sarkozy à plus de 65%, et en prenant en compte le processus de vieillissement de la population qui se poursuit, de longues années de Droite au pouvoir semblent nous attendre. Bon, point de fatalisme, tout n’est pas perdu ! Je sens déjà les mauvais esprits souhaiter une nouvelle canicule… Il y a moins cynique mais plus méprisant : Faut-il accorder le droit de vote aux téléspectateurs de TF1 ? Loin de moi l’idée de remettre en cause leur acuité intellectuelle, mais il faut bien constater qu’ils mobilisent un temps de cerveau disponible considérable pour voter par SMS à Secret Story, exercice des plus périlleux, et qu’ils réalisent un véritable exploit en supportant le journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut, summum de l’information non partisane. Je suggère donc de prendre en compte la pénibilité de leur travail en les déchargeant d’aller voter pour leur maître spirituel.
Plus sérieusement, la démocratie me semble aujourd’hui mise à mal par plusieurs éléments : Le décalage entre le peuple et ses représentants, le dégoût des électeurs pour la politique, la prédominance de l’émotion sur la raison et l’attitude des médias, promoteurs de la pensée dominante – Internet pourrait jouer un rôle intéressant de contre-pouvoir s’il ne favorisait pas en permanence l’émergence de polémiques rabaissant la politique à un niveau peu flatteur.
Bien entendu, la France n’est pas la seule à rencontrer ces difficultés, ce serait même plutôt un mal planétaire – si l’on excepte des pays comme la Chine qui ne s’embarrassent pas de telles questions. A vrai dire, ces doutes sur la démocratie m’ont été inspirés par la lecture du dernier essai d’Arundhati Roy, Listening To Grasshoppers, où elle analyse les faiblesses de la plus grande démocratie au monde, l’Inde, menacée par la combinaison d’un fascisme hindou et d’une politique néolibérale. Un monde sépare nos deux pays (j’ai pu m’en rendre compte cet été) mais les mêmes causes et les mêmes symptômes apparaissent.
Dans La République de Platon, Socrate décrit la transformation naturelle de la démocratie en une tyrannie. Nous en sommes bien sûr très loin mais des phénomènes parfois pas très visibles ne vont pas dans le bon sens. Il est assez simple d’accuser les responsables politiques de dérives mais après tout, nous avons les dirigeants que nous méritons. Je ne vois comme remède à ces maux qu’une vigilance citoyenne permanente, qu’un esprit critique fondé uniquement sur la raison et qu’un profond respect pour le politique (même si ce n’est pas facile tous les jours).