De la fata Morgana à la mer de nuages
La météo est, hélas ! de temps à autre à l’origine de sécheresses catastrophiques, parfois vectrices d’incendies, ainsi que d’inondations dévastatrices, voire de grêles calamiteuses pour les exploitants agricoles. Mais, sans quitter les frontières de la France métropolitaine, cette même météo nous offre également de fabuleux cadeaux dont il est possible de profiter pleinement pour peu que l’on ait de la chance...
Admirer les couleurs irisées d’un arc-en-ciel (parfois double) imprimé sur les menaçants cumulus d’un ciel d’orage est un plaisir intense dont on ne se lasse pas, bien qu’un tel phénomène optique soit assez banal dans notre pays. Beaucoup plus rare est en revanche la découverte hypnotisante d’une aurore boréale, habituellement réservée – pour rester dans les limites européennes – aux résidents des nations scandinaves ou des comtés d’Écosse. Mais il arrive aussi que l’on puisse en observer sur le territoire de la France métropolitaine. C’est précisément ce qu’ont vécu cette année les chanceux habitants de la baie du Mont-Saint-Michel et de la région de Douai, respectivement en février pour les premiers nommés et en mars pour les seconds. Mais cela reste très exceptionnel dans nos contrées.
Exceptionnels également, quoiqu’un peu moins rares que les aurores boréales, les étranges apparitions que l’on peut observer de temps à autre sur certaines portions des côtes bretonnes et normandes lors des périodes de forte chaleur : des fata Morgana qui offrent à voir des alignements de gratte-ciel dessinés sur l’horizon maritime, comme si Manhattan n’était situé qu’à quelques encablures de nos rivages*. S’ils ne surprennent pas les habitants des communes concernées, ces phénomènes optiques ne manquent pas de stupéfier les baigneurs et les pêcheurs à pied en vacances qui en sont témoins pour la première fois. Il n'y a pourtant rien là de mystérieux : il s’agit tout simplement de mirages dont le nom poétique fait référence à la Fée Morgane qui en était jadis tenue pour responsable.
Si les montagnards ne connaissent pas les fata Morgana, ils sont en revanche bien placés pour admirer occasionnellement un autre type de spectacle : la mer de nuages. Encore faut-il prendre de la hauteur pour se hisser – à pied ou en vélo pour les plus courageux, en voiture ou en télécabine pour les autres – au-dessus des nébulosités accumulées sur les vallées alentour. Mais cela en vaut la peine tant l’effet est saisissant : imaginez que vous êtes en plein soleil, juché sur un promontoire montagneux ou au bord d’un à-pic vertigineux. À vos pieds, quelques dizaines ou centaines de mètres plus bas, la mer de nuages se donne jusqu’à l’horizon des allures de matelas blanc moutonneux d’où émergent ici et là des sommets jetés là tels des îles sur cette immensité blanche qui masque d’invisibles abîmes...
Dans un gouffre sans fond
J’ai, comme tout le monde, admiré de nombreux arcs-en-ciel, dont certains de toute beauté sur des fonds nuageux particulièrement menaçants. Et si je n’ai malheureusement jamais vu d’aurore boréale, j’ai en revanche été témoin sur les côtes bretonnes de quelques rares fata morgana, hélas ! pas aussi impressionnantes que celle qui illustre le renvoi de fin d’article. Par chance, j’ai été plutôt bien servi en termes de mers de nuages. Notamment au sommet du Puy-de-Dôme où j’ai vu émerger de l’étendue nuageuse les plus hauts volcans de la chaîne. Ou bien encore à l’aiguille du Midi où, sorti d’une épaisse chape nuageuse qui occultait en totalité la vallée de Chamonix et le glacier du Géant, j’ai pu contempler les plus majestueux sommets du massif posés sur un tapis cotonneux.
Cela dit, mon souvenir le plus marquant d’un tel phénomène remonte assez loin en arrière. Je séjournais à Autrans (Isère) au cœur d’un hiver très peu enneigé. Faute de pouvoir faire du ski de fond sur des pistes désespérément herbeuses, j’étais monté à pied du village de Lans-en-Vercors jusqu’aux falaises abruptes de la Roche Saint-Michel. Il faisait un temps magnifique sur le plateau : pas un nuage, pas la moindre volute de brume, seulement un soleil éclatant. Parvenu au bord du précipice, une extraordinaire surprise m’attendait : la plus belle mer de nuages qu’il m’ait été donné de contempler : 200 m plus bas, elle recouvrait en totalité les vallées du Drac et de l’Isère d’un manteau blanc parfaitement horizontal. Outre les crêtes du Vercors, en émergeaient les sommets de la Chartreuse, de Belledonne, du Taillefer, du Dévoluy et, en arrière-plan à l’est, du massif des Écrins.
Un spectacle fabuleux rendu encore plus saisissant par les sons. Ou plutôt par leur singulière absence : hormis, de temps à autre, le cri d’un chocard, pas le moindre bruit, pas la plus petite rumeur ne montait des vallées, comme si les villes de Grenoble, Échirolles et Pont-de-Claix avaient disparu dans un gouffre sans fond en emportant leur circulation automobile ainsi que l’activité de leurs centres commerciaux et de leurs entrepôts industriels. Même les sirènes d’urgence étaient impuissantes à trouer l’impressionnant matelas ouaté. Me sont alors revenues en tête les images de la sympathique comédie Les dieux sont tombés sur la tête** du réalisateur sud-africain Jamie Uys. Mais à la différence de Xi, le bienveillant héros bushman, je n’ai pas jeté de maléfique bouteille de Coca-Cola dans la mer de nuages.
* Le 17 juillet, le photographe Vincent Zeroual a publié sur son compte Facebook une photo ainsi commentée : « New York s’installe à Kerfissien » (lien).
** Bande-annonce du film.
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