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De la légitimité de la justice...

La république française institue que "nul n’est censé ignorer la loi". Si le principe est louable, force est de constater que la réalité est tout autre.
 
Jeune, mes parents m’ont appris à formuler et exprimer clairement mes idées. Ils m’ont expliqué que c’était là la condition sine qua non pour être entendu ou écouté. Le seul moyen de se faire comprendre et, par la même, respecter. Un propos trop décousu ou trop dense nuit à la compréhension d’un message par tout un chacun. De fait, l’agencement des mots entre eux, les choix syntaxiques opérés par l’auteur auront une incidence sur la compréhension et l’assimilation du message. En d’autres termes, la manière de s’exprimer rendra le texte plus ou moins intelligible, plus ou moins abscons.
 
Or, en matière de droit, force est de constater que nos éminents spécialistes se donnent bien du mal pour que leur discours demeure opaque. Leur dialecte n’est qu’une logorrhée prétendument technique qui n’a pour but que de perdre le profane dans les méandres du droit. L’accumulation ou la juxtaposition de termes techniques, nécessaires parfois pour éviter les périphrases interminables, nuit à la qualité de texte quand elle est utilisée de manière abusive. (je laisse de côté ici les indications de renvoi aux textes juridiques précédents qui empêchent la lecture suivie du document et donc sa compréhension : soit on lit le tout d’un coup d’un seul sans avoir les références nécessaires pour appréhender le texte, soit le lecteur vole de texte en texte pour saisir le sens du document qu’il lit présentement, ce qui entraîne une lecture hachée qui rend plus difficile la compréhension globale).
 
A mon sens, et je me trompe peut-être, un texte qui n’est pas compréhensible, après deux ou trois lectures et sans que cela nécessite une analyse linéaire par un individu d’intelligence moyenne, est un texte mal écrit. Il me semble que le souci premier d’un auteur, hormis le poète ou l’écrivain, est d’être compris par son lectorat. Si le lecteur, non averti mais disposant de connaissances rudimentaires dans le domaine concerné, ne parvient pas à saisir le sens du texte qui lui est soumis, si ce cas de figure se compte en grand nombre au sein de la société, alors ledit texte n’est pas bien écrit. Alors il n’oeuvre pas dans le sens de la société. Il ne donne pas les moyens de se défendre à ceux qu’il prétend représenter. Il manque à sa mission citoyenne.
 
Je pense ne pas dire de contre-vérité en affirmant que la plupart des textes de lois sont difficilement accessibles au point de vue du sens par le commun des mortels. Il convient dès lors de s’interroger sur les motivations des juristes et autres hommes de loi qui les poussent à entretenir cette opacité lexicale et syntaxique dans les documents qui prennent forment sous leur plume.
 
Je ne pense pas que cela soit imputable à un manque de maîtrise de la langue française. Ayant souvent suivi des cursus universitaires très poussés, ces hommes de loi ont un certain bagage culturel, écrivent et s’expriment en général dans un français plus que correct. Si ce manque de clarté des documents nés sous leur plume n’est pas involontaire, s’ils maîtrisent la langue de Molière correctement, on peut donc penser que ce "flou", cette opacité syntaxique et lexicale est de leur fait. C’est un choix opéré sciemment. Dès lors, on peut se demander pourquoi ?
 
Et c’est là, à mon sens, que le bât blesse. Condorcet avançait l’idée qu’aucun citoyen ne devait être ignorant d’un savoir au point de devoir s’en remettre à un tiers maîtrisant ce savoir. Sinon, cela créerait une situation de dépendance aveugle. Le profane deviendrait l’objet de l’érudit. On devine aisément ce qu’il adviendrait si les intentions du second étaient machiavéliques.
C’est, sans tomber dans la paranoïa et dans la théorie du complot, ce vers quoi tend la justice à mesure que le temps passe.
 
Nous assistons à l’émergence d’une caste, les juristes, qui, maîtres d’un savoir inaccessible à l’individu, oeuvrent à préserver un voile sur l’action qu’ils mènent. Travail de sape, ils organisent la déconstruction de la société dans le sens où ils affaiblissent le citoyen dans son quotidien.
Ainsi, les juristes d’entreprises sont-ils payés pour aider ceux qui les paient à contourner la loi en tout légalité, bien souvent aux dépens des salariés. Ils étudient les moindres failles d’un texte à portée juridique et les exploitent pour protéger les intérêts de leur employeurs.
 
Sur le plan constitutionnel, la ratification du traité de Lisbonne par voie parlementaire est un bon exemple de la mainmise des juristes sur ce qui régit pourtant le quotidien de millions de citoyens européens :
 
En droit et dans une république démocratique, le peuple est souverain. Par conséquent, toute décision du peuple, s’il est consulté par référendum, est irrévocable.
Le peuple français, a rejeté l’adoption du traité. Il était alors impossible pour le gouvernement de l’adopter en l’espèce. Dès lors, juristes et hommes de loi, ont entrepris une réécriture dudit traité (traité simplifié). À aucun moment, les parlementaires, flanqués de juristes spécialisés en droit européen et en droit constitutionnel, n’ont songé à redéfinir, à repenser les principes mêmes du traité. Le seul travail opéré a consisté en des modifications syntaxiques. Le résultat : un traité encore plus abscons que le précédent. (Je précise que j’ai lu - pardon : que j’ai tenté de déchiffrer -le traité, je n’ai pas réussi faute de connaissances suffisantes dans le domaine. Mais au moins j’ai essayé, je ne parle pas dans le vide même si je fais sûrement des erreurs).
Une fois la deuxième version rédigée, il ne restait plus qu’à trouver le moyen de permettre l’adoption du fameux et fumeux traité. Sachant pertinemment que le peuple français rejetterait à nouveau toute nouvelle version, le gouvernement a choisi de l’adopter par voix parlementaire.
 
On voit ici toute la magie du droit français : un texte rejeté par le peuple et dans lequel on a modifié trois virgules (c’est une image...) est finalement adopté par voie parlementaire. D’un point de vue moral ou éthique, c’est un déni de démocratie, un scandale comme disait feu G. Marchais... (je trouve par ailleurs assez marrant qu’un texte destiné aux citoyens européens ne soient pas compréhensibles par ceux-ci... c’est tout de même paradoxal)
Du point de vue juridique, c’est tout à fait valable et légal, puisque le texte soumis n’est pas le même que le précédent. Les douces subtilités du droit ou comment celui-ci permet de violer la loi de manière indirecte...
Les juristes réfuteront en insistant sur les termes. C’est de bonne guerre. Mais les faits sont là, tenaces :
 
les parlementaires, représentants du peuple, mandatés par lui, ont adopté un traité que le peuple avait massivement rejeté.
 
Cela pose donc la question de la légitimité du droit et surtout de ses représentants. Quand des juristes représentants des intérêts privés (et payés pas des groupes privés accessoirement...) façonnent les lois qui régissent le quotidien des citoyens, je maintiens qu’il y a là conflit d’intérêt et anticonstitutionnalité. Je prétends que les intérêts privés (lobbies) priment sur l’intérêt public et donc sur le peuple. De fait, il me semble qu’il serait louable de redéfinir le champ d’action de la justice, le rôle de ses acteurs et les applications du droit. Cela n’est possible que via une simplification du jargon juridique, des textes de lois (à la fois en nombre, en densité et en technicité).
 
À mon sens, la technicité du droit (on retrouve cela en économie), sert à tenir éloigné le citoyen des affaires de la justice. En maintenant ce jargon, les hommes de lois établissent un lien de dépendance du citoyen à leur égard. Puisque le juriste est le seul à comprendre ce dont il s’agit, il est normal que lui soit confiée la mission de penser et de définir la loi. Supprimer cette technicité artificielle, c’est donner à chacun les outils pour se défendre, les moyens de faire valoir ses droits. Dès lors, tout avilissement au nom de la loi devient plus difficile. La plupart des citoyens ne sont pas au fait des recours possibles en cas de litige avec un employeur, avec un opérateur téléphonique, il est impossible de comprendre un simple contrat de téléphonie mobile.
Les cas sont légions où le citoyen ne sait pas ce qu’il signe. Et je refuse de croire que cela est dû à un manque d’intelligence. Le droit organise et entretient méticuleusement cet état d’ignorance grâce à une trop grande complexité. Et de fait, aujourd’hui, nul n’est censé connaître la loi. Car sinon, cela est bien trop dangereux. Car il faut des inégalités pour que vive une société dite civilisée.
 
Et m’est avis que cela n’ira que de mal en pis à mesure que la société de loi cède le pas à une société de contrats où tout se joue directement entre deux acteurs qui n’ont ni le même accès aux connaissances juridiques, ni les mêmes moyens pour défendre leurs intérêts.
 
Selon que vous serez puissant ou misérable. L’adage de La Fontaine me semble bien plus adéquate pour définir ce qu’est la justice et le droit dans notre pays à l’heure actuelle.
 

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6 réactions à cet article    


  • Cartman 17 novembre 2009 16:37

    La première conséquence de cet état de fait, c’est l’impossibilité de se présenter devant un tribunal sans être assisté d’un avocat, que ce soit en tant que plaignant ou prévenu.

    Je comprend que vous vous protégiez par avance des accusations de « complotiste ». Il n’empêche que :
    - Les textes de loi incompréhensibles pour le français moyen profitent financièrement aux avocats.
    - La profession la plus fréquente parmi les parlementaires est celle d’avocat (sans compter les juges, procureurs, et autres spécialistes juridiques).


    • zelectron zelectron 17 novembre 2009 18:13

      Ceci étant, j’ignore la loi dans certains cas : par exemple, je préfère être un vivant illégal, qu’un mort légal !
      Quand aux avocats, en privé, ils n’ont pour la plupart aucun amour immodéré pour la LOI...ils savent très bien qu’elle est beaucoup trop souvent immorale puisqu’elle puise dans le texte et pas dans la recherche de la vérité.
      Le système est devenu si pervers que c’est la partie financière qui est devenue prépondérante pour les professions de justice au point que plus le temps s’écoule plus les salaires sont versés et plus les demandes d’avances sur honoraires « honorées ».


      • King Al Batar Albatar 18 novembre 2009 12:53

        Je pense sincérement qu’un refonte de la justice occidentale est nécéssaire. C’est l’objet d’un essai sur lequel je travaille depuis des années et que je publierai forcément un jour...

        Le principe est de démontrer que si nous avons tous les mêmes loies, nous ne bénéficions pas de la même défense (avocat), puisqu’elle est privée et par conséquent de la même justice. Et donc de tendre vers la conclusion suivante : une inégalité au regard de la justice est une injustice.

        En effet, lorsque l’on se rend compte que les moyens de se défendre sont fonction de notre capacité financière on comprend pourquoi certaines personnes supportent des peines plus lourdes que d’autres. A délit égal et circonstances similaires, la sanction doit être identique. Mais dans les faits, il n’y pas cette égalité. Il n’y a qu’a constater combien à pris, par exemple, Bertrand Cantat et combien prendrai un prolo dans le même cas... Les crimes qui sont le plus commis par la population sont l’homicide involontaire et le crime passionnel, dans l’un comme dans l’autre des cas les sanctions sont très disparates, en fonction des revenus de l’accusé. Et je ne parle même pas des escroqueries ou des abus de biens divers et variés ou le petit entrepreneur qui a volé un oeuf, prendra plus que le voleur de boeuf, bien plus fortuné.

        La profession d’avocat doit, et c’est impératif, devenir publique, au même titre que les magistrats qui se voit atribuer des dossiers en fonction de leur compétences. L’avocat doit également etre chargé d’une affaire en fonction de ses compétences dans le domaine de l’affaire en question et non pas en fonction des moyens financiers de l’une ou l’autre des parties.
        Bien évidemment tout cela est irréalisable aujourd’hui, car de nombreux politiciens sont avocats, car les syndicats des avocats ne trouverai pas cette idée plaisante, et surtout parce que je ne suis personne. Mais ce livre sera écrit et je ne souhaite pas spécialement connaite le moindre succés avec. Même mort, je rêverai simplement que l’idée soit aplloquée pour un peu plus de justice et un peu moins d’avidité....

        La réelle question est de savoir si les citoyens sont prêt à financer les frais de défense d’un criminel, en sachant que si ils leur arrive le même problème ils seront défendus. Mais ce que j’ai envie de dire, et je ne vais pas vous ecrire tout le contenu de mon livre, c’est qu’il faut raisonner autrement que de se dire : le COUT de la défense. La défense est un droit pour tous, et surtout son tarif n’est estimé que parce qu’il a aujourd’hui une valeur marchande. Si il devient public, son cout ne deviendra alors que le salaire de l’avocat, estimé en fonction de son ancienneté ou de ses compétences, mais pas dans un cadre commercial.

         Néanmoins, à l’heure ou on nous parle d’identité nationale, donc de liberté, égalité et fraternité. A l’heure ou la fraternité n’est plus, car il n’y a plus d’égalité (comme demontré plus haut), et que la liberté (de consommer surtout, et de vivre aussi) n’appartient qu’aux classes les plus élevèes ; il serait bon de se demandé si les hommes naissent vraiment libres et égaux (surtout en droit !) et si on peut etre fier d’un pays dont les riches chient sur la devise et ne comprennent pas nos mécontentement....


        • MChiphopotamus 18 novembre 2009 13:17

          Merci d’avoir lu l’article. Je suis d’accord avec vous et trouve salutaire et louable votre idée d’écrire un livre sur le sujet. J’y avais pensé mais ai renoncé devant l’ampleur de la tâche.

          Pour compléter votre propos, je pense que l’aspect mercantile de la profession que vous dénoncez à juste titre et qui résulte de la privatisation de la profession, est aussi une conséquence de la technicité artificielle que les castes de juristes s’acharnent à maintenir corps et âme. 
          Le savoir est complexe donc je le monnaye cher. La collusion entre politiques et professionnels de la justice est aussi un obstacle comme vous le soulignez. L’affaire Tapie est un cas d’école. Tout le monde « sait » que Tapie n’est pas innocent dans le sens où l’on connaît le personnage, qu’il est coutumier des procédures juridiques. On le sais instinctivement et pourtant le droit empêche que justice soit rendue. Au final, le droit tel qu’il est pensé aujourd’hui, beaucoup trop procédurier et pas assez moral, accentue l’injustice et celui qui, vraisemblablement, est coupable de quelque chose, se retrouve indemnisé. C’est d’un cynisme absolu. 
          Et les juristes et professionnels du droit, me répondront, qu’on ne condamne pas sur des ressentis, sur une réputation etc... Ils ont entièrement raison. Encore faudrait-il que ces mêmes juristes ne s’évertuent pas à dresser des obstacles sur la route de la justice. (appels téléphoniques pour prévenir une perquisition à venir : HLM de paris, juge Halphen, ralentissement volontaire des procédures (Caisse noire de l’IUMM : signalée par Tracfin en 2001 et bloquée jusqu’en 2005, cf livre de Gérard Filoche sur le sujet, rejet d’une pièce à conviction sous couvert d’une excuse faussement juridique et bien plus idéologique : Affaire ELF, Eva Joly...)
          Car aujourd’hui, et c’est bien là que se cache le vice, les juristes des puissants sont payés pour exploiter les failles de la justice afin que leurs clients ne soient pas redevable de leurs méfaits.

        • Cyrille999 18 novembre 2009 18:54

          Un bon article. Le « nul n’est censé ignorer la loi » effectivement ne peut plus se trouver pertinent avec la complexité des lois et des codes.

          Contrairement à des articles scientifiques, les lois renvoient sous à « des autres lois » dès le début de celle-ci ; Ca donne une certaine opacité.... je ne sais si c’est voulu, mais c’est l’effet que ça donne !

          Tout comme toi, j’ai cherché à lire l’ancien « constitution européenne » par notre ancien président (le fameux qui a dit en quittant la présidence « Je suis venu. Je n’ai pas vu. J’ai été vaincu ») malgré la taille, tout comme toi, j’ai abandonné par cette lecture indigeste....

          Et comme toi, je ne pense pas manquer d’intelligence.... Même si je considère qu’un « non spécialiste » n’est pas nécessairement armé par rapport à un texte spécialisé, est-ce qu’il ne serait pas nécessaire de définir dans notre constitution d’un principe de « lisibilité des lois » ?

          448 articles notre « traité »....Ca fait peur ! Avec un tas d’exceptions pour chaque pays, je me demande où peut se trouver un « idéal de valeurs européens »...

          D’ailleurs, peu de pays se sont risqués à demander l’avis du peuple.....


          • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 17 mars 2010 11:37

            Effectivement. Dans ma modeste expérience de syndicaliste, habitué à utiliser uniquement les textes qui concernent ma profession et ma corporation, le droit (administratif le plus souvent) m’apparaît déjà comme un inextricable maquis ; tout y est à peu près aussi clair que du jus de chaussette. L’avalanche de textes est telle que j’oublie généralement tout lorsque je passe d’un dossier à l’autre. Misère ! Et c’est bien fait exprès pour qu’on ne s’y retrouve plus...

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