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De la médicalisation de la société

D’après l’OCDE, l’activité économique dans la trentaine de pays membres a progressé moins rapidement que les dépenses totales de santé qui représentent en moyenne 9% de leur PIB en 2008 contre 7,8 % en 2000 ; la France enregistrant la progression la plus forte pour ces dépenses de santé après les Etats-Unis (11,2 contre 16% du PIB aux USA). L’inflation importante de ce budget s’accompagne-t-elle d’une amélioration sensible de la santé ? Rien n’est moins sûr.

 

En 1974 déjà, Yvan Illitch reconnaissait dans la Némésis médicale que depuis une dizaine d’années, la médecine rendait malades plus de gens qu’elle n’en guérit. Elle est devenue, de toutes les industries, la plus gaspilleuse, polluante et pathogène pour des populations de plus en plus maladives, masquant les causes profondes de leurs maladies, qui sont sociales, économiques, culturelles et environnementales. Sociologue éclairé, Illitch avançait même qu’à partir d’une certain niveau économique le niveau de santé serait inversement proportionnel au budget de la santé… Selon lui, « les effets pathogènes de la médecine sont, de toutes les épidémies, l’une de celles qui se propagent le plus vite. Les maladies provoquées par les médecins constituent une cause d’aggravation de la morbidité plus importante que les accidents de la circulation ou les activités liées à la guerre. »

L’envahissement médico-pharmaceutique, la médicalisation de la santé, de la maladie, de la grossesse, de la naissance, de la sexualité et de la mort, ont détruit, chez les individus, jusqu’aux fondements ultimes de la santé ; la capacité d’assumer leur condition et de faire face, par eux-mêmes, aux événements et aux épreuves de leur existence biologique.

Pourtant dans la majorité des cas, les malades guérissent (ou peuvent guérir) sans intervention thérapeutique. S’ils peuvent sauver, force est de constater que 60 % des médicaments et 80 à 90 % des antibiotiques sont administrés à tort. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si lors de la grève (qui dura un mois) des hôpitaux israéliens, le taux de mortalité de la population fut plus faible qu’à aucun autre moment. Seules les urgences étaient acceptées, ce qui fit baisser de 85 % le nombre habituel des admissions. Cette même baisse de 85 % fut enregistrée lors de la grève des hôpitaux new-yorkais. Tout se passe comme si la population se portait mieux lorsque les soins médicaux sont limités aux urgences.

En dépistant les signes précoces des maladies sans se préoccuper d’assainir le mode de vie et de travail, la médecine dite préventive tend à accroître le nombre des malades au lieu de le réduire.

L’homme moderne naît ainsi à l’hôpital, il est soigné à l’hôpital quand il est malade, contrôlé à l’hôpital pour voir s’il est bien portant et renvoyé à l’hôpital pour mourir dans les règles ; quiconque ne mourant pas à l’hôpital meurt d’une mort irrégulière qui fera volontiers l’objet d’un contrôle judiciaire ou médico-légal.

Pour Illitch, comme pour les anthropologues ou encore les épidémiologistes, les individus ne sont pas malades seulement de quelque atteinte extérieure et accidentelle, guérissable moyennant des soins techniques : ils sont aussi malades, le plus souvent, de la société, de l’environnement et de la vie qu’ils ont. Une médecine qui prétend traiter les maladies sans se préoccuper de cette globalité, aide les gens malades à continuer leur façon de vivre malsaine, pour le plus grand profit des fabricants de poisons de toute sorte.

Force est de constater que ce constat accablant de la médecine moderne réalisé au début des années soixante-dix et publié dans le Nouvel Observateur en octobre 1974, reste malheureusement toujours d’actualité en dépit d’indéniables progrès, notamment dans la chirurgie d’urgence.

 

Yvan ILLITCH reconnaissait que « la santé est devenue une marchandise dans une économie de croissance. Cette transformation de la santé en produit de consommation sociale s’est reflétée dans l’importance donnée aux statistiques médicales. Mais les résultats statistiques sur lesquels se fonde de plus en plus le prestige de la profession médicale ne sont pas, pour l’essentiel, le fruit de ses activités. La réduction souvent spectaculaire de la morbidité et de la mortalité est due surtout aux transformations de l’habitat et du régime alimentaire, et à l’adoption de certaines règles d’hygiène toutes simples. Les égouts, le traitement au chlore de l’eau, l’attrape-mouches, l’asepsie et les certificats de non-contamination exigés du voyageur ou des prostituées ont eu une influence bénéfique bien plus forte que l’ensemble des « méthodes » de traitements spécialisés très complexes » (La convivialité, Le seuil, 1973).

 

Proche de la retraite, Henry Gadsen, dirigeant de Merck confiait déjà au magazine Fortune, il y a une trentaine d’années, son désespoir de voir le marché potentiel de sa société confiné aux seuls malades.

Pour vendre des médicaments, il suffit en effet d’inventer des maladies. Ce que font les grandes firmes pharmaceutiques avec la contraception pour tous, la « prévention » de l’ostéoporose, du syndrome pré-menstruel, les modifications des paramètres de la tension artérielle, du cholestérol ou encore de la glycémie, les sautes d’humeur qui deviennent des troubles mentaux….

C’est le « disease mongering » - ou le façonnage, la fabrication de maladies - qu’ont décrit Moynihan et Cassels, dans « Selling Sickness ».

Au moyen de campagnes de promotion publicitaires agressives et mensongères, l’industrie pharmaceutique, qui pèse quelque 500 milliards de dollars, exploite nos peurs les plus profondes, méthode avait fait la fortune du docteur Knock de Jules Romains : chaque bien-portant entrant dans son cabinet en ressortait malade, et prêt à débourser sans compter pour être guéri.

Les laboratoires dépensent ainsi 60 000 dollars par personne chaque année aux USA et leur chiffre d’affaires ne cesse de progresser alors que sur les 500 nouvelles molécules qui sortent chaque année, seules quelques-unes sont réellement innovantes.

 

Dr Marc VERCOUTERE

[email protected]

 

 

Références :

  • La Némésis Médicale et de la Convivialité d’Yvan Illitch
  • Le Monde diplomatique, mai 2006
  • How the word’s biggest pharmaceutical companies are turning us all into patients : Selling Sickness. Ray Moynihan et Alan Cassels.

 


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3 réactions à cet article    


  • Krokodilo Krokodilo 5 janvier 2013 14:49

    Cet article est une véritable bouillie, qui mêle notions vraies et connues (l’eftet primordial de l’hygiène sur la santé publique, le comportement des labos inventant des maladies et poussant à la surconsommation) avec des choses mal comprises, plus de véritables erreurs et bêtises.

    Il faudrait tout réécrire ; quelques exemples :

    « Tout se passe comme si la population se portait mieux lorsque les soins médicaux sont limités aux urgences. »
    Une chaude-pisse ou une syphilis ne relèvent pas des urgences, et pourtant si ça vous arrive, vous serez ravi de profiter de la médicalisation de la vie !

    « Pourtant dans la majorité des cas, les malades guérissent (ou peuvent guérir) sans intervention thérapeutique. »
    Les maladies virales courantes oui, mais pas l’hypertension (qui n’est pas une simple modification d’un paramètre mais se répercute sur le bien-être) ou le diabète, les grandes maladies chroniques des pays riches. De plus, les soins en se limitent pas à guérir mais aussi à soulager, atténuer les symptômes : durant l’épidémies de chikungunia à la Réunion, le seul traitement donné fut je crois du paracétamol agissant à la fois sur la fièvre et sur les douleurs (violentes). Vous auriez préféré souffrir, vous ? Et les caries, faut les supporter, souffrir pour gagner le paradis ? 

    « quiconque ne mourant pas à l’hôpital meurt d’une mort irrégulière qui fera volontiers l’objet d’un contrôle judiciaire ou médico-légal. »
    Encore faux : un décès « attendu » à domicile, avec une famille avertie, sans signes suspects ne fera l’objet que d’un certificat de décès par le médecin traitant ou le médecin de garde, pas un médecin légiste.

    Le « journalisme-citoyen » a encore du chemin à faire pour trouver sa voie...

    • VERCOUTERE 6 janvier 2013 15:35

       

      A messieurs les critiqueurs :

       

      Je tiens à signaler une erreur au dernier paragraphe : ce n’est pas 60 000 dollars par personne mais par médecin. Pour votre gouverne, en France, les labos dépensent plus 40 000 euros par médecin chaque année.

       

      Pour le reste, je réponds aux critiques qui se retranchent derrière le trop commode anonymat

      Le constat dressé par Yvan Illitch remonte à plus de 35 ans. Tout ce qu’il dit – et je n’ai jamais dit le contraire de ses propos – ne s’est pas forcément vérifié, mais dans l’ensemble, il faut reconnaître qu’il a le plus souvent raison.

       

      Ainsi, « Les effets pathogènes de la médecine, écrit Illich, sont, de toutes les épidémies, l’une de celles qui se propagent le plus vite. Les maladies provoquées par les médecins constituent une cause d’aggravation de la morbidité plus importante que les accidents de la circulation ou les activités liées à la guerre. » Exagération ? Jugez-en à partir de ces quelques exemples. S’ils sont, pour la plupart, tirés d’études américaines, ce n’est pas que les hôpitaux soient plus mauvais aux Etats-Unis mais seulement que la mise en question et l’examen du système sanitaire y sont plus francs et plus critiques.

       

      Lors de la grève (qui dura un mois) des hôpitaux israéliens, le taux de mortalité de la population fut plus faible qu’à aucun autre moment. Seules les urgences étaient acceptées, ce qui fit baisser de 85 % le nombre habituel des admissions. Cette même baisse de 85 % fut enregistrée lors de la grève des hôpitaux new-yorkais. Tout se passe comme si la population se portait mieux lorsque les soins médicaux sont limités aux urgences.

       

      En citant, le Chikungunia, vous oubliez les remarquables résultats obtenus avec le Chlorure de magnésium. Quant à l’hypertension ou le diabète et les carries, je n’ai jamais prétendu que la médecine allopathique devait être rejetée.

      L’antibiotique a son intérêt. Il rend service, mais l’accroissement des résistances observées répond à des prescription parfois abusives.

      Votre faîtes un procès d’intention qui n’a pas lieu d’être.

      En prescrivant un traitement chimique, le médecin doit tenir compte du terrain et ne pas oublier le « primum non nocere », ce qui ne signifie pas que ce traitement chimique doit être systématiquement écarté.

      Illitch a parfaitement raison en déclarant que les individus ne sont pas malades seulement de quelque atteinte extérieure et accidentelle, guérissable moyennant des soins techniques : ils sont aussi malades, le plus souvent, de la société, de l’environnement et de la vie qu’ils ont. Une médecine qui prétend traiter les maladies sans se préoccuper de cette globalité, aide les gens malades à continuer leur façon de vivre malsaine, pour le plus grand profit des fabricants de poisons de toute sorte.

       

      Mon seul intérêt est celui du malade et non celui des indices boursiers comme trop souvent de nos jours. Il faut savoir raison garder….

       

       

      Marc VERCOUTERE

       


    • ZEN ZEN 5 janvier 2013 16:51

      Tout à fait Kroko
      Je n’aurais pas mieux dit
      Et pourtant je suis très critique vis à vis du big pharma
      Et l’auteur fait dire à Yvan Illitch ce qu’il n’a pas dit
      Quels intérêts défend-il ?

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