Avez-vous remarqué toutes ces attaques contre les gauchistes, la distribution équitable de la richesse, les services publics ? On en veut beaucoup à la solidarité. Pourquoi ce recul d’une société qui semblait avoir appris à partager ? Normal, on est à passer au tertiaire…
Sans solidarité, il n’y a pas de société. Dans toute société, on oscille entre une lutte des classes plus ou moins ouverte et une union sacrée plus ou moins assumée, selon les circonstances ; mais une certaine solidarité est toujours nécessaire. La solidarité, qui demande un partage, entraîne toujours des récriminations.
Il y a une tolérance à la récrimination, comme il y a une tolérance à l’injustice, mais une société doit se maintenir dans la zone des tolérances. C’est dans cette zone que se situe la « péréquation » dans son sens étymologique de rendre égaux. Un objectif de notre société depuis des lustres. Pourquoi la péréquation prend-elle un sens nouveau dans une économie tertiaire ? Parce que la prolifération des services permet des actions de solidarité qui ont un effet secondaire de péréquation qui inquiète. C’est cette péréquation circonstancielle qui apparaît menaçante.
Cette péréquation circonstancielle semble devenir insupportable, parce qu’elle veut distribuer des services et que, au contraire des biens, les services ne sont pas produits en masse. Dans l’industrie, quand l’investissement initial en machines est consenti, s’il y en a pour trois, il y en a pour quatre.
Quand il s’agit de services, chaque service rendu, à quelques économies d’échelle près, a un coût/travail qui demeure constant. Le dernier service qu’on donne à un « pauvre », quel que soit ce service, a exigé autant de travail – et coûte donc tout autant, en termes réels – que le premier service de même nature qui a été vendu à un « riche ». Les services que la solidarité nous impose de donner ont un coût REEL élevé.
Circonstance aggravante, contrairement à ce qui était le cas pour les biens industriels, les services les plus essentiels ne sont pas nécessairement les moins chers ; c’est souvent le contraire. Les nouveaux services que la science et la technologie rendent un à un disponibles ne viennent pas seulement ajouter un avantage additionnel aux services existants ; parfois, ils apportent enfin la réponse à un besoin qui n’avait jamais été satisfait auparavant, une réponse qui rend désuètes toutes les quasi-solutions antérieures. Ces nouveaux services peuvent être essentiels, vitaux quand il s’agit de santé.
La demande pour ces nouveaux services étant maximale lorsqu’ils apparaissent – et les ressources pour les fournir, étant alors toujours insuffisantes – ils sont toujours rares. Le coût du travail qu’ils exigent est gonflé et le prix en est donc élevé. Parfois, il apparaît trop élevé.
Dans une société industrielle, il était à l’avantage de tous d’optimiser le revenu de consommation pour maintenir la production en marche ; le bien général se confondait ainsi avec le bien particulier des défavorisés, auxquels il était avantageux que soit donné le nécessaire et même plus.
Dans une économie de services, la demande pour les services excède l’offre. Il n’y a pas une surabondance de services, comme il y a un surplus de produits industriels, il n’y a jamais, au contraire, assez de services pour satisfaire pleinement tout le monde. Dans un univers de technologies en expansion, des trous noirs de pénurie de services apparaissent constamment.
Dans une économie tertiaire, il ne s’agit donc plus, comme dans la société industrielle mature, de répartir des surplus ; il s’agit de rendre équitable le partage de ces denrées rares que sont les compétences. On constate vite qu’il ne s’agit plus de laisser les miettes à Lazare sous la table, alors qu’on est déjà soi-même repu, mais de se priver d’une part de ce dont on a soi-même grand besoin.
La solidarité exige tout à coup un vrai sacrifice. Il ne s’agit plus de donner libre accès à sa poubelle ; il faut, comme Saint-Martin, donner la moitié de son manteau. Il n’est pas sûr que tous les sociétaires – ou même une majorité d’entre eux – veuillent donner la moitié de leur manteau. Et la baleine de la Sécu commence à peine à émerger.
Une société, apprivoisée depuis des générations à une solidarité qui se manifestait par le partage facile des biens primaires et industriels toujours excédentaires, continue, pour un temps du moins, à générer un consensus social fort pour un partage similaire des services. A mesure que les factures des services arrivent et que l’on prend conscience du coût de ce partage, toutefois, celui-ci apparaît à beaucoup comme trop exigeant.
La réalité d’une offre de services systématiquement inférieure à la demande nous ramène donc aux règles d’un « jeu à somme nulle » … et ce ne sont pas des règles qui incitent à la solidarité. Il ne faut donc plus espérer obtenir facilement un consensus solide pour le type de péréquation tous azimuts que justifiait l’abondance des biens industriels.
Pour une péréquation des services, il faut revenir à une gestion prudente des ressources ; la même gestion de pénurie qui prévalait pour tous les biens avant la révolution industrielle. Ce qui apparaît comme un retour en arrière sur la spirale de l’enrichissement laisse pressentir le même égoïsme qui prévalait avant que la révolution industrielle n’ait apporté l’abondance.
Dans une économie tertiaire, le consensus social pour le partage du coût des services vit donc des phases de rejet de plus en plus fréquentes. Ce qui crée un dilemme et conduit à un mensonge.
Le dilemme, c’est que, d’une part, le consensus pour la prise en charge par l’État du coût des services essentiels se lézarde, mais que, d’autre part, nous devenons chaque jour de plus en plus interdépendants. Toute mansuétude mise à part, ce n’est pas parce que le coût de la solidarité n’est plus dérisoire qu’on peut se passer de la solidarité.
Le mensonge, c’est que, confrontés à cette nécessaire solidarité – et à une population qui consent en principe au partage, mais se rebiffe quant elle en vit les conséquences et doit payer la note – les gouvernements choisissent aujourd’hui de tenir un discours de solidarité, mais de ne pas y donner suite. ON MENT !
Les apparences remplacent la réalité et, dans ce contexte de maquillage, même les services que l’on devrait pouvoir rendre sans grands sacrifices ni discussions risquent de ne plus être rendus ! Un risque paradoxal, à l’opposé de ce que devrait apporter le passage à une économie tertiaire. La gouvernance et tous les partis politique de quelqu’importance ont aujourd’hui cessé de parler de solidarité. Pourtant, sans solidarité, cette société mourra.
Pierre JC Allard
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Je le relis à la lumière de votre remarque et vous avez raison. Comme j’ai une information que vous n’avez pas, je pense que je puis même vous dire pourquoi. Cet article est un extrait d’une série d’articles qui traite le problème plus vaste de le redistribution de la richesse. (voir le lien).
Le rythme n’est pas le même que celui d’un article qui doit se suffire à lui-même. C’est une expérience que je ne tenterai plus. Merci de me l’avoir souligné.
C’est vrai que ça manque d’exemples.... Mais même le tertiaire contient une part d’automatisation qui fait qu’avec une plus grande demande on réduit le coût de la demande unitaire. C’est juste moins flagrant que l’industrie...
Même remarque qu’à JL. La réduction des coûts par le volume s’applique dans le volet « programmable » du tertiaire, mais la tendance est naturellement vers l’inprogrammable, puisque chaque programmation, par définiton, chasse la main-d’oeuvre vers le segment qui n’a pas été programmé
Merci. Je pense néanmoins que JL et SZ ont raison. Ce texte est trop didactique et je n’aurais pas dû le soumettre pour publication sur Avox. Si le concept vous intéresse, je vous invite à voir la série dont je donne le lien dans ma réponse à JL
Hengxi j’ai peur qu’il ni ai pas besoin d’un siècle pour en
arriver là. La religion d’état est l’individualisme, son échelle de valeur le
niveau de votre compte en banque et sa devise chacun pour soi.
Ma these étant que c’est le coût de la solidarité qui a augmenté, mais il est clair que toute la relation sociale a changé et il est bien difficile de savoir ce qui est une conséquence de ce facteur et une pure détérioration du rapport humain lui-même, par simple "fatigue’ de notre civilisation.
« Dans une économie de services, la demande pour les services excède l’offre. » on ne dit plus économie de service mais de servage, en effet, les esclaves en besoin de travailler et prêts à se plier sous le joug de leurs maitres sont plus nombreux en période de chômage de masse et cela commence par les cuisines des grandes brasseries de la rue de la Grande Armée où étaient embauché au noir des sans papiers travaillant à toute heure pour trois fois rien. La bulle immobilière et l’impôt sur les grandes fortunes ont coûté leur patrimoine à quantité de français pourtant propriétaires de belle demeures à leur nom ; Ce sont les spéculateurs et les nantis qui ont mis la main dessus, et je suis prêt à parier quel le métier le plus prisé dès demain, est : Femme de chambre et plus si affinités ou pas d’ailleurs ! Le but du NOM, est de diminuer l’emploi de moitié et seules les femmes y trouveront leur compte
« Il n’y a pas une surabondance de services, » exact, par contre il va y avoir surabondance d’excès des corvéables et des actes non déclarés, et comme ce sont les é&lites qui ont le plus besoin des services, ils ont la loi pour eux et s’assoient sur les déclarations officielles.
Si tout comme ils veulent, l’esclavage sera légalisé jusqu’à la prochaine révolution.
Dans un passage accéléré au tertiaire, les travailleurs sont chassés de l’industrie plus vite que le systme ne trouve avantage a répondre à la demande pour des services de haute qualité. Il en résulte un gonflement de la main-d’oeuvre dans un tertiaire de ’petits boulots’ qui n’est pas porteur de libération sociale. Je pense, toutefois, que ce phénoménese résorbera ( avec le travail au noir) quand on modifiera notre vision de l’assistana.
On veut bien optimiser le revenu de consommation, mais ce n’est plus essentiel comme dans une production a forte intensité de capital où, en l’absence au moins d’une apparence de demande, c’est le capital fixe qui ne vaut plus que son prix en ferraille. Quand c’est la compétence qui est le facteur rare, on ne peut plus « produire pour produire »
Merci de faire entendre votre voix, originale et incitant à la réflexion.
En effet, la tertiairisation pose de nouveaux problèmes :
- le coût constant du service qu’il faut produire à chaque utilisation - la disparition du service au cours de son utilisation - les biens industriels surtout durables sont achetés ponctuellement - les services sont constamment rachetés, par des usagers uniques
Le service est le produit qui correspond bien à la société individualiste : chacun seul face au (gros) diffuseur de service, en situation de monopole ou quasi monopole.
Alors, pourquoi pas optimiser la production de services ?
Cela a déjà été fait autant que possible, mais on se heurte au problème de base souligné par PJCA. Le problème supplémentaire est la volonté de profit qui pousse à maintenir haut le prix desservices, voire à les augmenter surtout s’ils ont un caractère incontournable (ce qui est presque toujours le cas). La volonté de maximiser le profit est celle du monopole PRIVE qui évacue les profits vers les « actionnaires » de préférence dans des zones fiscalement avantageuses.
Le monopole d’Etat est pertinent quand il s’agit de péréquation, d’accès égal de tous à un service standardisé à un coût modique qui n’a pas besoin d’intégrer la voracité des grands groupes et leurs top-managers surpayés.
La nationalisation du crédit ET des services de masse serait la voie à suivre, a l’opposé certes du libéralisme qu’on nous vend comme une fatalité depuis 30 ans et qui ne laisse à l’Etat QUE les centres de coûts et pertes.
Il est clair que nous suivons des raisonnements similaires. Rien à ajouter, sauf peut etre ce lien vers la nationaiisation du crédit, à laquelle la crise financière actuelle nous conduira peut être plus vite qu’on ne l’aurait cru. Mais c’est un tout autre sujet.