De quelle souris va bien pouvoir accoucher la mission Olivennes ?
J’avoue que je me questionne beaucoup sur l’intérêt de cette « mission sur la lutte contre le téléchargement illicite et pour le développement des offres légales d’oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématograhiques », confiée par le gouvernement au PDG de la Fnac Denis Olivennes. Au point de ne me pencher qu’aujourd’hui sur les quelques dépêches et articles de presse parus sur le sujet.
Je ne connais pas M. Olivennes, je ne l’ai rencontré qu’une fois, au siège de l’UMP, lors d’une réunion organisée par Nicolas Sarkozy pendant l’examen du projet de loi DADVSI à l’Assemblée, mais nous n’avons pas causé. Et surtout, je n’ai pas lu son récent ouvrage assez maladroitement intitulé : La gratuité, c’est le vol. Drôle d’idée, si vous me permettez un petit aparté, car si c’est gratuit, c’est donc que ça ne peut être volé ! Enfin, passons...
Le dossier me paraît tellement ennuyeux, redondant, radoteur, racoleur, bien pensant, pétris de bonne intentions et dénué d’imagination que j’en bâille, au sens propre comme au figuré. Aussi, pourrez-vous me reprocher, au terme de ce billet, de ne m’attacher qu’à des pécadilles. Mais il y a tellement peu à croûter dans cette affaire, que ce sont les pécadilles qui m’interpellent, d’autant que certaines ont quand même une dimension symbolique forte, même si c’est finalement pour n’habiller que des ambitions assez peu "couillues".
Par exemple, ce "Grenelle de la gratuité" qu’on nous promet. Ben voyons ! Encore une référence à mai 68, qu’on ne cesse d’enterrer pour mieux s’en réclamer, tel M. Olivennes, qui déclare dans Les Echos être passé "du trotskysme à l’économie de marché, sans perdre ses valeurs". Belle contorsion sémantique !
Parlons-en de ces accords de Grenelle, négociés les 25 et 26 mai 1968 et signés le 27 mai, en pleine crise de mai 68, par les représentants du gouvernement Pompidou, des syndicats et des organisations patronales (merci Wikipedia). Ils finiront par mettre un terme à la crise politique, mais aboutiront surtout à une augmentation du SMIG de 25 % et des salaires réels de 10 % en moyenne, ainsi qu’à une réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures et à la création de la section syndicale d’entreprise.
Belles avancées, n’est-ce pas ? Nous en promet-on de semblables dans le traitement des problèmes liés au téléchargement illégal ? Vous me permettrez d’en douter. On est en pleine figuration, au firmament de la société du spectacle. Peu importe le fond pourvu qu’on habille joliment la forme.
Sur le constat de base, rien à redire. "Un milliard de fichiers piratés - films et musique - ont été échangés dans notre pays en 2006. Le marché du disque s’est effondré de plus de 40 % au cours des cinq dernières années, avec tout ce que cela signifie en termes d’emplois. Ce phénomène s’est encore accentué en 2007, avec une baisse de près de 20 % au cours du premier semestre par rapport à la même période de l’année précédente", a rappelé Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, à l’occasion de la conférence de presse présentant la mission confiée à Denis Olivennes.
"Il y a donc urgence. Nous ne pouvons accepter que les artistes soient privés du revenu de leur travail. Que les industries culturelles, fragilisées, ne soient plus en état de prendre des risques, de lancer, de produire de nouveaux talents", a-t-elle poursuivi.
Mais de quoi parle-t-on ? De la nécessité de servir la soupe à des fonds d’investissement privés anglo-saxons comme Terra Firma (acquéreur d’EMI) ou Thomas H. Lee Partner (principal actionnaire de Warner Music aux côtés du fond Bain Capital) ?
Est-ce que Vivendi, maison mère d’Universal Music, qui se félicite d’enregistrer une croissance à deux chiffres de son résultat opérationnel au premier semestre 2007, est exsangue et nécessite que la nation se mobilise pour sauver ses fesses ?
Est-ce que SonyBMG, filiale de Sony Corp. et de Berstelsmann, qui affiche un bénéfice net de 21 millions de dollars au deuxième trimestre 2007, contre une perte nette de 81 millions de dollars sur la même période l’an dernier, est si "fragilisé" par le piratage que M. Olivennes doive se plier en quatre pour préserver ses intérêts ?
Je crois au contraire que si urgence il y a, elle concerne surtout la sauvegarde des fleurons de notre production et de notre distribution indépendantes, des Naïve, Atmosphériques, Tôt ou Tard, Wagram et consorts, à qui l’on doit sans conteste un véritable renouveau de la scène musicale française, et qui sont loin d’être payés de retour en termes de soutien des pouvoirs publics.
Soyons clair, non seulement le marché du disque s’effondre - à cause
du piratage, certes, mais également pour des raisons structurelles et
parce que le CD n’est plus un format adapté aux usages qui se
développent avec le numérique et aux nouveaux modèles économiques qui
émergent (forfaits, téléchargement, financement par la publicité, etc.)
- , mais les indépendants ont de moins en moins accès aux réseaux de
distribution traditionnels, alors que les nouveaux circuits
dématérialisés ne leur profitent guère et ne sont pas prêts de leur
profiter.
La plupart des distributeurs indépendants ont mis la clé sous la porte, et ceux qui subsistent encore sont à l’agonie. Peut-être M. Olivennes consacrera-t-il un chapître dans son rapport aux difficultés que rencontrent les commerciaux de Mosaic ou de l’Autre distribution pour placer de moins en moins de disques - et pour des périodes de plus en plus courtes - dans les linéaires de plus en plus réduits à la portion congrue de la Fnac ?
C’est plus rentable de vendre des iPod, certes, dont le succès doit beaucoup plus au téléchargement illégal qu’à l’existence d’une offre légale comme iTunes, soit dit en passant. Et en tant que chef d’entreprise, M. Olivennes fait certainement le bon choix. Mais s’il n’est pas "juge et partie", comme nous le jure notre ministre de la Culture, il est cependant assez mal placé pour nous faire la leçon, et nous accuser de mettre en péril la diversité culturelle.
Dès lors, je vais vous dire ce que je crains :
- que l’on consacre beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à faire un peu mieux la police sur les réseaux, en pure perte ;
- que l’on nous serve des offres comme celle de Neuf et d’Universal Music comme étant la quintessence de ce qu’on peut nous proposer sur internet ;
- que multinationales du disque et FAI se satisfassent de ce consensus mou qui leur permettra d’enterrer momentanément la hache de guerre ;
- que l’on se gargarise d’interopérabilité quand on n’aura de cesse d’installer de nouveaux verrous autour des biens culturels et de la propriété intellectuelle ;
- que l’on cherche par tous les moyens à pérenniser un certain nombre de positions dominantes au détriment de l’intérêt général, etc.
Je vais aussi vous dire ce que je souhaiterais :
- que l’on réflechisse aux moyens de monétiser des pratiques déjà très installées, d’échange, de partage, de socialisation de la musique ;
- aux synergies qui peuvent être créées entre support physique et distribution numérique (je n’ai pas souvenir que la Fnac ait constitué une véritable force de proposition dans ce domaine, si ce n’est qu’elle a su faire preuve de suivisme) ;
- aux nouveaux services à valeur ajoutée qui peuvent se développer sur la base d’un accès très étendu à tout le répertoire d’oeuvres musicales enregistrées ;
- aux moyens de favoriser le développement de ce type de services et de faire tomber les barrières à l’entrée pour tous ceux qui innovent dans ce domaine ;
- au soutien qui doit être apporté au développement de tous les outils qui font défaut aujourd’hui pour assurer une gestion des droits efficace et équitable dans l’environnement numérique (watermarking, monitoring, reporting, échanges de données) et à leur standardisation ;
- aux aides que les pouvoirs publics doivent apporter au secteur indépendant pendant toute la phase de transition vers de nouveaux modèles de revenus pérennes, etc.
Mais j’ai le droit de rêver...
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