De quels moyens d’action les GJ disposent-ils ?
Le mercredi 23 janvier, des Gilets jaunes ont remis au lieutenant-colonel David Brion de la base militaire de Neuvy-Pailloux (Indre), une lettre dans laquelle ils réclament l'intervention de l'armée : « Nous réclamons le secours de l’armée. Nous souhaitons que nos soldats et officiers, agissent au mieux de leurs possibilités pour neutraliser ou mettre en fuite Emmanuel Macron et son actuel gouvernement ». Les GJ font état « de faits de guerre et faits économiques qui constituent « une réelle trahison à la Souveraineté du peuple français, à l’indépendance de ses armées et aux valeurs de paix prônées par la République. (...) Une réelle trahison à la Souveraineté du peuple français. (...) Nous allons remettre cette lettre à d’autres colonels, notamment en Aquitaine, en Bretagne et dans le sud-est de la France. (...) Il n’y a pas de révolution sans le concours des corps régaliens. Ce n’est pas un putsch. Nous voulons qu’un gouvernement civil reprenne la main et que les pouvoirs soient confiés provisoirement à Gérard Larcher, président du Sénat ».
Le mouvement des Gilets jaunes qui se voulait transversal, sans chef autoproclamé, apolitique et unitaire, revendications qui en faisaient sa spécificité, s'interroge sur la manière de porter ses revendications. Le mouvement semble dépendant de quelques uns et reste largement assujetti aux réseaux sociaux. La « révolution 2.0 » est dépendante de l'outil, chacun s'interrogeant comment faire entendre ses nombreuses divergences. Faut-il continuer la lutte sur le terrain, diversifier les actions ou créer un parti ! Un des leaders de la première heure envisage, si le gouvernement n'accède pas à ses doléances rapidement, de poursuivre la lutte à partir d'un pays étranger...
Les « Frères jaunes » semblent dépourvus de toute stratégie même si les journalistes de la presse écrite ou télévisuelle n'ont que ce mot à la bouche. Pour mémoire, la stratégie est l'aptitude et la conduite à tenir (CAT) à mettre en œuvre pour atteindre un but final, tandis que la tactique est une combinaison de techniques et pratiques opérationnelles (MRT). La différence entre stratégie et tactique peut être décrite en termes de but à atteindre et de difficultés liées à la planification des résultats souhaités. Il m'a semblé pertinent d'établir une liste, non exhaustive, des moyens d'action non violents pouvant être mise en œuvre par les GJ. Certains lecteurs assimileront cet liste à un inventaire à la Prévert (énumération a priori hétéroclites), d'autres à une litanie ou une réponse à un questionnaire à la Colbert, qu'importe, il s'agit d'une auberge espagnole qui n'en a que le nom. Libre à chacun de la « rebaptiser », de l'enrichir et de faire preuve de créativité.
- barrages pédestre, routier, fluvial, filtrant ou bloquant ;
- obstruction de la voie publique, opération escargot, interdire une zone ou un bâtiment lors d'un congrès international ou corporatiste par exemple ;
- tintamarre, concert de casseroles, de klaxon, sifflets, corne de brume, pétards, déclenchement des sirènes, des alarmes incendie des bâtiments, des VL (un choc sur la carrosserie suffit), mégaphone, silence « assourdissant » ;
- caravanes, mouvement de population ou de véhicules le long d'un parcours, marche « en serpent » sur un parcours non déclaré ;
- chaîne humaine, lie-in, sit-in, enchainement à un point fixe ;
- entartage d'élus, de personnalités politiques ou économiques ;
- pétition en ligne, livre blanc ou noir, manifeste, saisie d'organisations internationales, enquêtes parlementaires ;
- soutien aux " frères jaunes " détenus, négociations, occupation des locaux ;
- réappropriation d'un lieu, d'un symbole, d'une tenue, d'un chant (celui des GM ou CRS par exemple ;-)) ;
- veillée nocturne, Nuit debout, Nuit jaune, réveil d'un élu au milieu de la nuit ;
- interruption de services d'utilité publique : gaz, électricité, eau, blocage des canalisations d'eaux usées ;
- démontage, déplacement, modification, remplacement d'un symbole ;
- désobéissance civile : insoumission, insubordination, transgression des lois, non participation, séquestration, confrontation, provocation, soulèvement spontané ;
- communication : envahissement plateaux TV, scène de théâtre ou concert, studio Radio, direct, imposture (fausse nouvelle, se faire passer pour un personnage connu), affiches, street art, flyers, graffiti, détournement d'une pub ou d'un symbole fort, dossier presse bidon, slogan, mots d'ordre, créer le buzz, apparaitre lors d'une action concurrente, créer son média, monter sa Web TV, station radio pirate, dramatiser, calicots au dessus des voies ferrées, des autoroutes, sous les ponts ou tendus entre des immeubles, pirater les panneaux électroniques d'affichage, usage de désherbant pour tracer un slogan sur des pelouses ou dans des champs, de fluorescéine pour colorer un fleuve ;
- harcèlement téléphonique, sur les réseaux sociaux, annonce d'une distribution de crème chocolatée gratuite... ;
- opérations psychologiques, « guerre des nerfs », rumeurs, contradictions volontaires ;
- gréve du travail, du zèle, de la faim, des loyers, perlée, générale, arrêt maladie ;
- observateurs qui filment les actions et les diffusent en direct ;
- site miroir, copie d'un site pour le détourner (logiciel libre), etc.
La liberté de manifester est un droit au même titre que la liberté de circulation (Gilets bleus et Foulards rouges). Tout rassemblement sur la voie publique doit cependant être déclaré (Préfecture ou à la Mairie) plusieurs jours avant l'évènement : nature de la manifestation - date, heure, durée - statique ou dynamique - noms et adresses de trois responsables - présence de personnalités - itinéraire prévu. Les préfets et les maires (Paris excepté) peuvent interdire l'événement si la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, mais l'arrêté doit être justifié. Le refus peut faire l'objet d'un recours devant un tribunal administratif. En cas de désobéissances civiles ou de troubles à l'ordre public, les signataires pourront être poursuivis pour fausse déclaration ! Une responsabilité civile est conseillée... ainsi que la présence d'un service d'ordre (SO). Des éléments précurseurs sont détachés avant que le cortège ne s'élance afin d'éclairer le parcours et retenir la circulation le temps strictement nécessaire. A l'heure prévue, les organisateurs doivent appeler à la dispersion, leur responsabilité est alors désengagée.
A partir du moment où les autorités (préfet, maire ou OPJ) ont enjoint les manifestants à se disperser, le rassemblement devient un attroupement, ses organisateurs encourent une peine de 6 mois d'emprisonnement et 7.500 euros d'amende. La participation à une manifestation illicite ne constitue pas un délit, mais une contravention. Que le rassemblement soit autorisé ou non, l'autorité confrontée à des troubles civils peut appeler à sa dispersion (Nuit jaune). L'autorité visible et identifiable sans ambiguïté pour l’ensemble des manifestants (écharpe tricolore ou brassard tricolore) procède aux sommations « Obéissance à la loi, dispersez-vous ! Première sommation : on va faire usage de la force ! deuxième sommation, on va faire usage de la force ». La participation volontaire à un attroupement après sommations est réprimé par l'article 431-4 et 431-5 du CP (un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende).
La contestation va-t-elle se durcir et la situation se tendre chaque jour un peu plus ? « Encore un œil de crevé, un de trop. Une des figures du mouvement Jérôme Rodrigues a été transporté dans un état grave comme un nombre important l’ont été depuis le 17 novembre. (...) Nous dénonçons certains agents des autorités qui ne respectent pas les conditions d’utilisations de leurs armes et s’en servent avec la volonté de briser des vies. (...) Ainsi nous déclarons l’état d’urgence du peuple. Cela nécessite des mesures exceptionnelles. Nous appelons à un soulèvement sans précédent par tous les moyens utiles et nécessaires pour que plus personne ne soit victime de ces blessures de guerre. (...) Amis Gilets Jaunes, organisez-vous plus que jamais, laissez vos querelles de côté, un combat ne se joue pas, il se gagne. Continuons plus motivés que jamais. Ne lâchons rien pour l’avenir de nos enfants. Des enfants dont certains parents sont désormais mutilés à vie, nous ne l’oublierons et ne le pardonnerons jamais. Citoyens, formez vos bataillons ». Éric Drouet ne dit pas quels moyens il sous entend...
Avec 9 228 tirs de LDB depuis le début du mouvement, le moment ne semble pas à l'apaisement : nouvelles commandes de LBD - reconstitution des stocks des munitions consommées - LBD multi-coups - utilisation de munitions « Bean bags » lors de l’acte IX ! Le 12 janvier, la BRI de Montpellier a fait usage de fusil à pompe tirant une munition renfermant 40 grammes de plombs ou billes CPV ensachés dans un sac de toile, lui même enroulé dans la cartouche. Lors du tir, le sachet est expulsé à 85 m/s et se déploie comme une « crêpe » qui présente, en théorie, un diamètre à l'impact de 26 cm2 capable de délivrer une énergie de 130 joules (munition TM-12). L'impact est comparable à celui d'une balle de basse-ball, mais il arrive que le sachet se déploie incorrectement et qu'il entraîne une blessure perforante ou que le sachet se déchire et projette son contenu ! Cette arme utilisée aux USA et en Israël, létale à moins de trois mètres, a déjà causé des morts par pénétration intrathoracique ! Cette munition qui a remplacé le « Gomm cogne » en 2011 et qui existe en calibre 37 et 40 mm ! est dérivée de la « Shock defense » calibre .357 ou .38. Le projectile renferme un sac de toile fine contenant 4,7 grammes de grenaille de plomb, diamètre 2,2 mm projeté par une charge de 260 mg de poudre à 370 m/s. Le projectile, surface d'impact de 28 mm de diamètre, traverse une tôle de 0,5 mm ou une planche de 8 mm, distance pratique de tir 4 à 12 mètres !
Le Conseil d'État doit rendre sa décision prochainement sur la suspension du LBD suite à une demande déposée par la CGT, la Ligue des Droits de l'Homme et la recommandation du défenseur des droits. Le LBD n'est qu'un « outil » entre les mains des FDO qui parlent entre-elles de « lance-patates » ! Cette appellation n'est-elle pas de nature à minorer le pouvoir vulnérant de l'arme, de contribuer à refouler l'acte de tirer sur son prochain, voire lui dénier toute humanité en le réduisant à une vulgaire cible ? Les manifestants vont-ils construire des « patators » afin de se livrer à des jeux entre lanceurs de patates des deux équipes ? Un policier appartenant à la CSI intervenue place de la Bastille est revenu sur sa déclaration initiale. Il a reconnu avoir tiré dans le créneau horaire correspondant à la blessure de Jérôme Rodrigues...
Selon un sondage, 55 % éprouvent de la sympathie pour le mouvement GJ, et 24 % des personnes interrogées ne désapprouvent pas la violence ni sa radicalisation. Des soutiens historiques d’Emmanuel Macron désapprouvent la gestion de crise : « Quand on est, comme moi, un démocrate de gauche, on ne manifeste pas contre un mouvement social : on le traite et on le résout. (...) Au-delà de son côté erratique et parfois violent, le mouvement des gilets jaunes est un mouvement social, porté par des Français peu favorisés qui s’interrogent sur leurs conditions de salaires et sur les inégalités territoriales. On ne doit pas faire comme l’empereur de Perse qui faisait battre la mer par ses soldats parce qu’elle a coulé ses navires » (Tribune signée par Jean-Pierre Mignard, Joël Roman, Aurélien Taché et Paul Marsauche).
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