De quoi Sarkozy, Attali, Badiou et les stratèges de l’Otan... sont-ils le symptôme ?

I. De quoi Sarkozy est-il le nom ? Ainsi est intitulé le dernier livre d’Alain Badiou, philosophe confidentiel mais réputé dit-on. Peu importe, en nommant Sarkozy, Badiou entre dans le piège de la « sémantocratie » », néologisme que j’invente, autrement dit, le pouvoir des mots, le pouvoir de dire et d’influencer les psychismes, sauvageons, racaille, rupture, kärcher, voilà pour un vocabulaire de présidentiable, « pétainisme transcendantal », ainsi Badiou entre à son corps défendant dans la « sémantocratie ». De quels symptômes Sarkozy et Badiou sont-ils le signe ? Au minimum, pour commencer, des mots, des maux, tout simplement, et en allant un peu plus loin, des idéaux frelatés, le travailler plus et la culture de l’évaluation d’un côté, le communisme de l’autre. Avec cette hantise d’une croissance bloquée sur fond de peurs généralisées que Badiou impute au seul Sarkozy et sa clique, sans aller chercher les racines de ce mal français et mondial du reste.
II. Sécuriser et non plus coloniser. C’est ce qu’on pourrait penser comme étant la devise de l’Occident tel qu’il est devenu. Rappelons ce titanesque XIXe siècle finissant, avec ses colonisations, la France en première ligne, et devant faire face aux conséquences en plein milieu du XXe siècle, guerre d’Indochine et d’Algérie. Et puis l’Afrique et l’Irak et le Pakistan, nations bâtardes nées de l’accouplement entre des coutumes indigènes et une puissance rationnelle occidentale. Sécuriser et non plus coloniser, c’est ce qui se dessine comme principal objectif des nations avancées qui par l’évolution des tendances mondiales ont décidé que, maintenant, le monde non occidental n’était plus une terre vierge à civiliser, mais un partenaire pas forcément très fiable pour jouer de concert avec les nations du monde, bref, une sorte de monde qu’il faut maîtriser, à l’instar du dément à qui on appose une camisole de force. C’est le plan qui se dessine si on lit un rapport établi par quelques militaires de haut rang appartenant à l’axe occidental et souhaitant promouvoir un Otan le plus large possible. Le tout sur fond d’inquiétudes et de défiance face au monde.
Quelques évolutions récentes
1962-1976. Espoirs sociaux et politiques. Période correspondant à la parenthèse enchantée, formule empruntée à Françoise Giroud, avec la guerre froide, certes, mais les émancipations de tous bords et la contestation des pouvoirs, contre la guerre au Vietnam. Le vrai enchantement est en vérité ailleurs. Il a pour dénominateur commun la consommation et l’hédonisme. La fête, la musique, le sexe, les drogues. Les dates choisies sont symboliques. 1962 voit la crise à Cuba, réglée entre JKF et Nikita, les Stones arrivent sur la scène. 1976, Raymond Barre amène la rigueur économique alors que Maggie Thatcher prononce un discours fameux le 19 janvier à Kensington, accusant les Soviétiques de vouloir dominer le monde. De là se comprend la période qui suit, avec place à la rigueur. Il faut que l’Occident l’emporte sur le bloc de l’Est. Une gestion économique se met en place. Et, pour une partie de la jeunesse, le No future est un signe de ralliement, apporté en 1976 par les Sex Pistols.
1976-1990. Parenthèse sérieuse. La rigueur économique et le sérieux affiché des gouvernements occidentaux appliqués à renforcer leur croissance économique. Cette modernisation est accompagnée par la mise en jachère de terres industrielles. Le Bassin lorrain chez nous et, aux States, des villes entières qui se recomposent, Cleveland, Détroit. Le Japon est l’économie qu’on craint et dont la montée de la bulle financière, autant que les appétits sur quelques zones états-uniennes, par exemple, l’immobilier à Los Angeles (voir le livre de Mike Davis, City in the Quartz). Le sida fait son apparition alors que la musique des eighties ne restera pas un grand cru, excepté quelques sombres perles, Bauhaus, Cure, Killing Joke. A noter que pendant cette période, une frénésie de luxe, ostentation et décadence co-existe avec le rejet d’un nombre croissant de travailleurs vers le non-emploi. Au final, l’Occident aura gagné la partie contre l’Est et le mur de Berlin chute. Mais avec l’Iran et les tendances islamistes, quelques nuages s’annoncent sur l’échiquier géopolitique. Quant au Japon, la bulle financière atteint un record le 29 décembre 1989. Ce qui signe la fin des prétentions « hégécomoniques » du Soleil Levant.
1990-2004. Parenthèse désabusée et désenchantée. Alors que le Japon rame, chômage, immobilier, bulle mettant dix ans à se dégonfler, les Etats-Unis vont connaître une période de prospérité leur permettant entre autres d’engager un dispositif impressionnant en Irak, avec l’aval de l’ONU, alors que la Serbie a subi aussi le châtiment de l’Occident pour ses crimes contre l’humanité perpétrés en Bosnie. La « nouvelle économie » prend son essor, mais une bulle boursière se crève, sans incidence majeure. La chute du mur a plongé les intellectuels européens dans une mélancolique perplexité. Sur fond de grève en décembre 1995, la population française se découvre pessimiste pour l’avenir, surtout celui des jeunes qui n’auront pas le levier pour vivre mieux que leurs géniteurs. Des jeunes qui écoutent Nirvana, emblème de cette jeunesse désabusée. Au Japon, même pessimisme dans les familles. Les nineties ont vu par ailleurs des émeutes se produire en divers lieux, sur fond de crise politique mais surtout, avec comme terreau, la misère sociale de certaines populations. Une simple étincelle a des conséquences dévastatrices. Il suffit de quelques denrées augmentant ou d’un acquittement d’un policier après un tabassage d’un membre d’une communauté noire, avec une vidéo que les médias avaient diffusée largement. Sans oublier et ce n’est pas rien, 800 000 morts au Rwanda en 1994.
2004- Chaocalypse. Peurs sur la planète, finances, terrorismes, misères, réchauffements. Cette année 2004, les Américains prennent conscience d’un enlisement en Irak. Alors que les peuples doutent, frondent en usant de la démocratie, après la fronde des régionales en 2004, TCE refusé par les Français et les Néerlandais. Un nouveau round économique commence, avec la Chine qui, en 2008, devrait afficher un PIB supérieur à celui de l’Allemagne et l’Inde qui suit, autrement dit, deux nouveaux Japon, pire que dans les années 1980. Partout, la peur diffuse et ne conduit pas les hommes vers des résolutions sages. Comme si le pire était à venir. Panique des écologistes, panique des économistes, décoincer la croissance, évaluer, jauger, sécuriser la gestion des services publics ; la politique ne sait plus ou mettre son nez. Les dirigeants ont perdu le bon sens et Badiou aussi, voyant dans l’attitude de Sarkozy une barbarie bien imaginaire. A la mélancolie des intellectuels européens s’ajoute la désorientation. Et puis affolement au moindre éternuement financier. Quant aux généraux de l’Otan, ils entrent aussi dans ce sombre tableau. N’ayant plus vraiment confiance dans les nations non occidentales. Le lecteur en sera convaincu à la lecture de ce document fort instructif.
Ainsi, le symptôme d’une civilisation occidentale en perte de confiance se dessine. Rien de bien nouveau, sauf que cette situation semble s’installer profondément en 2008. Notamment en France, pays aux avant-postes de l’inquiétude. Partout surveiller, sécuriser, enfermer, contrôler, au risque d’altérer les libertés fondamentales et d’installer une société où la police prend l’ascendant sur le droit et la justice. On verra que les tendances dans les politiques intérieures se retrouvent aussi à travers les conclusions de ces généraux et autres stratèges de l’Otan qui ne rejettent pas des solutions extrêmes au lieu de privilégier la négociation, quitte à transgresser certains principes de droit international, notamment ceux décidés après Nuremberg. Ainsi peut-on juger l’éventualité des frappes nucléaires « préemptives » avec leur impact sur les populations civiles. Il faut aller chercher les lieux terroristes et leur foutre une bombe dans la gueule disent les stratèges, il faut aller chercher la croissance dit Sarkozy avec Attali, quitte à défiscaliser des heures sup qui ressemblent à du travail au noir légalisé. Entorse au droit mais, déjà, le CNE, dans le collimateur judiciaire du BIT (à mettre en perspective, en relativisant, avec les principes de Nuremberg et l’idée de frappes nucléaires préemptives). Le marasme voudrait être conjuré par un volontarisme de l’efficace et délais court, devenu le dénominateur commun entre l’économie et la géopolitique. Avec un président qui court le monde, croyant trouver des solutions. Mais quand on est pressé, on fait des bêtises, comme la Société générale qui a voulu liquider des positions rapidement, dans l’urgence de l’inquiétude. Ainsi, le symptôme a un nom. Nous entrons dans l’ère des liquidateurs, y compris Badiou qui voudrait liquider l’Etat en prônant une société égalitaire, en caricaturant, celle qui incarne la sécurité de celui qui ne veut pas qu’une tête dépasse et le menace ! A chacun de méditer cette sentence conclusive. Avec un monde occidental qui, ayant propulsé une certaine civilisation, semble perdre le contrôle d’année en année. Et s’en remet à des vieilles ficelles présentées comme innovations, rapport Attali et les contremaîtres de l’évaluation, contrôler plus, Sarkozy et travailler plus, Otan et menacer plus, Badiou et égaliser plus.
Mais pour ne pas désespérer, sachons reconnaître que la confiance n’a pas de raison d’être liquidé, pour ce qui est de la vie en société. On peut encore conduire une automobile à 90 en croisant avec sûreté d’autres véhicules. On peut encore compter sur une solidarité lorsqu’on se fait renverser par une auto, ou compter sur ses voisins, sa famille et des tas d’autres gens dont les gestes ne font pas la une des journaux. Il existe des zones de résistance et de résilience du genre humain. On ne demande pourquoi ces qualités d’humain ne sont pas mobilisées pour inventer un monde plus vivable ? L’un des plus fulgurants enjeux serait de résister aux liquidateurs. Qui veut faire un rêve ?
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