La France, heureusement pour elle, n’est certes pas la Belgique, que bien des esprits chagrins voient déjà, un peu trop hâtivement, s’évaporer lentement mais sûrement, au grand dam de Brel lui-même, sous la récente poussée de fièvre flamingante. Et, pourtant, c’est cette même épithète par laquelle, en 1860 déjà, le grand Charles Baudelaire, effaré par la médiocrité ambiante, stigmatisa la Belgique qui, au vu de ce piètre spectacle que nous offre aujourd’hui la France, depuis le jargon banlieusard de Sarkozy jusqu’à la récente trivialité des Bleus, me vient aujourd’hui à l’esprit pour qualifier, cent cinquante ans après, son propre pays : Pauvre France !
Car, enfin, pourquoi tant s’étonner, en y ajoutant l’indignation, des insultes proférées par un vulgaire (c’est le cas de le dire !) joueur de football (Anelka) à un sélectionneur manifestement incompétent (Domenech), et ce aussi inacceptable soit certes ce genre de comportement, lorsque son président même (Sarkozy), pourtant censé être un modèle incontestable pour la nation en même temps qu’en représenter l’autorité suprême, se permet de lancer publiquement à la face de l’un de ses propres concitoyens (Monsieur X), devant une jeunesse aussi atterrée qu’amusée, un tout aussi trivial et inadmissible « casse-toi, pauv’ con » ? Car ce jour-là, ce n’est pas seulement ce Français moyen que Sarkozy aura ainsi injurié et humilié de la manière la plus vile qui soit ; c’est la France tout entière et, avec elle, un peu de la civilisation qu’elle engendra, de séculaire et glorieuse mémoire, au cœur de l’Europe.
Morale de l’histoire ? De ce langage incroyablement châtié, c’est Sarkozy en personne qui en a donné, le premier, le ton. L’élève, lui, n’a jamais fait, en l’occurrence, que dépasser le maître !
Aussi cette hypocrite et surtout amnésique France ne se rend-elle donc pas compte, par-delà son apparent et bien tardif traumatisme d’aujourd’hui, qu’Anelka ne fait jamais là qu’emprunter, paré de la même et insupportable arrogance, mais croyant erronément là à une identique impunité, les voies toutes tracées de son cher Président, lequel, amateur de slang et champion du bling bling, n’est d’ailleurs pas, lui non plus, à un mauvais goût ni à une frime près ?
Pis : comment s’offusquer que la France footballistique soit désormais la risée du monde entier lorsque la France médiatique, sans honte ni pudeur, continue, par exemple, d’élever au rang de « philosophe national », malgré les ricanements planétaires qui s’abattent sur lui depuis le scandale de l’ « affaire Botul », un Bernard-Henri Lévy, lequel, du reste, n’a jamais fait illusion, ni ne jouit du moindre crédit intellectuel, en dehors des frontières de l’Hexagone ?
C’est dire si, pour boucler la boucle, L’Express a raison de titrer, dans un de ses blogs du 18 juin dernier, jour de l’appel d’un certain De Gaulle que la France entière semble plus que jamais regretter à raison aujourd’hui, que « Domenech est au football ce que BHL est au monde intellectuel ». Consternant ! Affligeant !
Il n’y aura décidément eu que cette clinquante et par trop friquée « société du spectacle », dérisoire mais efficace miroir aux alouettes que s’en allait déjà dénonçant très justement Guy Debord, pour nous faire oublier, substituant constamment pour cela le mirage et autres faux-semblants au réel, cette navrante mais si contemporaine vérité.
Car cette débâcle du foot français n’est jamais qu’à l’image, tel son symptôme le plus pathétique et visible à la fois, du déclin de la culture française elle-même : indifférente à son immense et prestigieux héritage, méprisant sa langue tout autant que sa pensée, irrespectueuse de ses valeurs les plus nobles, baignant dans l’outrecuidance dont elle se gausse sans plus de raison, individualiste au possible, nombriliste au point d’en devenir provinciale, gonflée d’égos hypertrophiés et s’auréolant d’une vanité souvent mal placée, à la hauteur de son propre et seul narcissisme. Bref : indigne, depuis trop longtemps déjà, de ses illustres aînés.
Chronique d’un désastre annoncé. Le fameux et non moins légendaire rationalisme cartésien s’est soudain transformé en un psychodrame national aux allures d’asile de fous. Davantage : une sordide affaire d’Etat où il n’est pas jusqu’au sens du protocole, à défaut d’étiquette, qui ne parte, lui aussi, à vau-l’eau ! Que Voltaire et Chateaubriand, Stendhal et même ce poète bandit-maudit de Rimbaud sont donc loin, désormais, au pays de Sarko et de Ségo, de BHL et de BHV, de Diam’s et de Nique Ta Mère (rappeurs encapuchonnés, pour les profanes), d’Anelka et autre Evra, pour qui seule la chasse à un hypothétique « traître » au sein du clan s’avère à présent, de surcroît, le stupide et obsessionnel lieu de ses frustrations les plus inavouables, sinon de fantasmes vaguement, à entendre pareil langage, mafieux. La philosophie dans le footoir : Sade dépassé par Ribéry. Le comble !
Le crétinisme, doublé de l’abrutissement, serait-il donc devenu, à travers ses joueurs de football et autres stars médiatiques, le nouveau critère d’orgueil de la France du XXIe siècle ? Sans même parler de Zidane, qui ne trouva rien de mieux à faire, pour terminer en beauté son Mondial 2006 et passer ainsi à la postérité, d’asséner un violent coup de boule à un adversaire italien qui s’en était malencontreusement pris à l’honneur de sa sœur.
Et dire que nos écrans de télévision abreuvent nos enfants, quotidiennement et sans relâche, à titre d’exemples à suivre même, des prétendus exploits de ces voyous payés, qui plus est, à coups de millions d’euros et parfois, lorsque les sponsors écœurés se débinent, sur notre dos !
Quant à ce rapport liant de façon aussi incongrue - hélas pour la Vème République - Sarkozy à la France, pays que les gens cultivés pensaient dotée d’un esprit à nul autre pareil depuis le Siècle des Lumières, c’est là que se trouve, paradoxalement, ce que cet autre géant des lettres que fut Victor Hugo aurait très certainement appelé, à propos des émules (style Anelka précisément) de ce petit empereur (que d’aucuns ont affublé du cruel sobriquet de « Naboléon »), la véritable Bérézina.