De Victor Jara à Guantanamo (60) : le scandale Carilles, 35 ans que ça dure !
La nouvelle est passée inaperçue, et elle est tout bonnement scandaleuse. L'une des pires personnes existantes en ce bas monde, auteur d'actes terroristes avérés, Luis Posada Carriles, vient d'être totalement absous de ses crimes par un tribunal d'El Paso (avec jury populaire !), qui ne le jugeait même pas pour ces pires crimes, à vrai dire, mais pour des accusations bien plus légères portant sur "l'obstruction de la justice", des "infractions aux lois sur l'immigration" ainsi que pour "parjure," et de "fraude". C'était pourtant le moment de revenir sur ces crimes, une fois incarcéré, pensaient certains, avec les plaintes déposées contre lui depuis...35 ans ! Carriles, celui qui avait fait sauter un DC-8 en 1976 du vol 455 des Cubana Airlines, provoquant la mort de 76 personnes est ressorti libre du tribunal, prouvant par la même occasion que 35 ans après les faits, il bénéficiait toujours de soutiens évidents au sein du pouvoir des Etats-Unis, et au sein surtout de la CIA qui avait monté avec lui toute l'opération. Cela fait plus de dix ans maintenant qu'on nous bassine avec Al-Qaida et ses actes terroristes : là, les Etats-Unis en tenaient un, de terroriste notoire : ils l'ont laissé partir libre, après l'avoir protégé tout ce temps ! Ce n'était pas son premier procès pourtant ! C'est déroutant et dégoûtant à la fois : cet homme est une ordure véritable, il ne peut y avoir d'autre mot pour le caractériser, grand âge (83 ans !) ou pas.
Luis Posada Cariles est l'un des pires exécutants qu'a pu utiliser la CIA en toute connaissance de cause : c'est elle qui l'a formé à Fort Branning. A l'école du meurtre, il semble avoir été fort assidu. L'un des ses premiers faits d'armes était en effet un crime : l'assassinat d'Orlando Letelier, commis à Washington. Letelier, ministre d'Allende, ancien ambassadeur à Washington, qui avait fait beaucoup pour les relations entre les deux pays, arrêté par Pinochet et torturé (au camp de concentration de Ritoque), fut exécuté le 21 septembre 1976, en pleine capitale américaine, par l'explosion de sa voiture, en compagnie de son assistante Ronni Moffitt. Pinochet n'avait pas supporté qu'il reprenne le flambeau d'Allende et devienne surtout le principal opposant expatrié au régime. Qui plus est dans un pays stratégique pour le dictateur sanguinaire, qui avait besoin du soutien US (et les USA du cuivre chilien). Tué par une explosion survenue sous la voiture, survenue à l'angle de Sheridan Circle dans l'Embassy Row à 9h35 du matin. D'une telle violence qu'elle ne laissait aucune chance aux occupants du véhicule : du travail de pro. Seul le mari de Ronni Moffitt réussit à s'extraire de la voiture, sévèrement blessé. La bombe avait été fixée par des fils de cuivre ou des aimants sous le véhicule, à l'emplacement même du pilote : ce dernier ne pouvait en sortir vivant. Les photos de l'attentat en attestent. C'est le journaliste canadien Jean-Guy Allard qui fera la meilleure enquête sur le sujet, concluant à l'implication directe de Carriles dans l'explosion. Il n'était pas le seul responsable : avec lui figurait Orlando Bosch (qui vit toujours tranquille à Miami et qui sera lui aussi impliqué dans le sabotage de l'avion cubain), mais aussi une poignée d'exilés anticastristes tels que José Dionisio Suárez, Virgilio Paz Romero, Alvin Ross Díaz, ainsi que les frères Guillermo et Ignacio Novo Sampoll. Les deux premiers exilés cités n'étaient autre que des officiers de la DNA de Pinochet. Les deux frères Novo seront envoyés en 1992 en Espagne pour assassiner Fidel Castro : une énième tentative, Castro étant de loin le recordman des tentatives d'assassinat contre des chefs d'état : ceux qui ne comprennent pas ce qui semble chez lui un entêtement contre les USA n'ont aucun souvenir historique de la traque qu'il a pu subir de la part de la CIA.
L'un des autres responsables, avec Carriles s'appelait Michael Townley, un homme de la terrible DINA, la police politique de Pinochet, qui avait déjà travaillé quelques années auparavant pour la CIA et sera également un membre actif de l'Opération Condor. Le procés aux USA de l'exécution sera vite réglé : les lampistes écoperont du maximum (Guillermo Novo et Díaz seront condamnés à vie, Ignacio Novo à 8 années d'emprisonnement) et Townley, citoyen américain, bénéficiera de la liberté pour avoir révélé les détails des préparatifs, selon le Witness Protection Program. Il vit toujours des jours tranquille aux USA. Carriles, lui, ne sera pas davantage inquiété ! D'autres n'auront pas cette chance : le général Manuel Contreras, qui fut à la tête de la DINA, et Pedro Espinoza Bravo, ancien de la DINA seront condamnés plus tardivement au Chili à 7 et 6 ans de prison pour ce crime le 12 novembre 1993, Carriles, lui, échappant à toute poursuite. Comme à son habitude, pouvait-on déjà conclure. "Espinoza" étant Pedro Espinosa, le chef des opérations tordues du général Pinochet. En 2006 encore, Guillermo Novo pourtant condamné deux fois à perpétuité était toujours en liberté... Bosch fera cinq ans de prison aux Etats-Unis pour avoir attaqué (au bazooka !) un bateau polonais, le Polanika, ancré à Miami en 1968. La même année sera envoyé par le fond le Santurce, un bateau espagnol, miné par des hommes grenouilles du groupe de Bosch : à l'époque l'Espagne s'était beaucoup rapproché de Fidel Castro, ce que ses extrémistes de droite du groupe n'avaient pas supporté. Un diplomate espagnol sera également assassiné en 1976, après avoir visiblement été détenu dans la maison même de Townley, à Via Naranja près de Lo Curro, après avoir été torturé : Townly l'avouera en 1992. On le voit, toute cette équipe de tueurs véritables a vécu après leurs forfaits sous un régime de totale impunité, protégés par des lois faites pour les criminels au service d'un état... criminel. Qu avait pourtant décrété depuis la commission Church tenue en 1976, justement, qu'il interdisait les assassinats à l'étranger...
Deux semaines à peine après avoir éliminé sur ordre l'ancien ministre d'Allende, ses véritables tueurs allaient commettre pire encore. Un crime ignoble dont des décennies après, les familles demandent toujours réparation, ou au minimum la reconnaissance de la responsabilité (établie) de Carriles. Un avion volant entre les Barbades à la Jamaïque (c'était un vol de Guyana à Cuba) emportera en effet une première bombe qui explosera (déposée à bord dans les toilettes) l'équipage tentant de sauver l'appareil en perdition (on a gardé trace des enregistrements radio du pilote tentant de sauver son appareil !), puis une seconde, cette fois située à l'avant, tuant équipage et passagers. Deux bombes, la trace encore une fois du travail de professionnels du terrorisme, formés... militairement ! Très vite l'enquête repérera deux passagers portés manquants : Freddy Lugo et Hernan Ricardo Lozano, deux vénézueliens montés à bord à Trinidad avec des tickets pour Cuba mais qui étaient descendus entretemps aux Barbades. Les supposés coupables parfaits. Arrêtés, ils livreront très vite les noms des deux orchestrateurs de l'attentat : ce sont comme par hasard Luis Posada Carriles et Orlando Bosch...Les mêmes individus que précédemment ! Le 14 octobre 1976 tous deux sont arrêtés : chez Carriles on trouve tout ce qu'il faut pour commettre ce genre d'attentats : explosifs, transmetteur radios, etc. Son implication ne peut faire de doute, d'autant plus que les deux arrêtés le chargent à mort. Les deux hommes sont livrés non pas à la justice mais à la police militaire à la mi-77. Trois ans plus tard, un tribunal (militaire) les libère sans autre forme... l'attendu de libération sera... surréaliste : le juge affirmant qu'il ne peut pas les juger, car ce sont des civils ! Cinq ans plus tard, pourtant, un tribunal civil décide de les rejuger. Bosch y est alors acquitté, Posada ne peut-être jugé : il s'est évadé la veille du procès ! Bosch est libéré en 1987. Posada, lui, s'est déjà envolé pour le Panama. Où il va trouver refuge chez des gens qui vont le soutenir de bien étrange façon : ce sont des groupes d'évangélistes ou de catholiques, chez qui il a fait jouer la fibre du parfait repenti. Bosh, revenu aux USA sera ignominieusement absous par Bush-père le 18 juin 1990 : faire partie de la CIA aide à se refaire une vie, visiblement (Bush père ayant lui-même dirigé la CIA, ne l'oublions pas !).
Son passage au Panama, marqué lui aussi par une tentative d'attentat, une de plus, c'est ce que raconte de façon fort amère le Miami New Times du 5 décembre 2002, en se permettant une comparaison à l'époque assez osée (l'attentat du 11 septembre n'a qu'un an alors) : "Que se passerait-il à ce stade de notre guerre contre le terrorisme si un groupe de clercs, qui prétend représenter tous les membres de sa communauté ethnique, appelait publiquement à la libération des suspects emprisonnés pour avoir tenté de faire sauter une tête de l'empire du mal ? Ils seraient aussitôt renvoyés à l'âge de pierre par des avions militaires sophistiqués, non ? Et si ces chefs spirituels, au contraire, n'étaient pas de mèche avec Al-Qaïda, n'étaient pas basés Tora Bora, mais ont tout simplement vécu et prêché ici dans une les faubourgs de Miami ? Des Agents du FBI et la de CIA auraitent sans doute formé un essaim autour d'eux pour les interroger, non ? Probablement, à moins que ce soient les vingt personnes faisant partie des guides spirituels du "groupe de travail des Cubains en exil" (Grupo deTrabajo de Guías Espirituales en Exilio).
On le voit, le journal de Miami sait très bien à qui il a affaire : à des gens... protégés, qui ne risquent pas grand chose dans ce énième procès les concernants. L'allusion à Al-Qaida est pendable en effet : "Plus tôt dans l'année, ces guides ont tranquillement supplié le président du Panama de pardonner à quatre hommes qui sont incarcérés et en attente de jugement dans ce pays. Les quatre suspects- Luis Posada Carriles, Pedro Remon, Guillermo Novo et Gaspar Jimenez - sont accusés de complot à l'explosifs (du C-4) dans un lieu public à Panama City en Décembre 2000. Selon l'accusation, leur plan prévoyait que la détonation devait atteindre un "empereur du mal", Fidel Castro. Castro se rendait alor au Panama pour assister au Sommet ibéro-américain de l'époque. Comme la plupart des gens le savent, le C-4, l'explosif de choix pour les kamikazes palestiniens et les terroristes d'Al-Qaïda qui ont réussi le premier attentat du World Trade Center en 1993, n'est pas un outil de précision. A moins d'un miracle, une telle explosion aurait mutilé de nombreux civils en plus de la barbe d' El Comandante . Le procès est prévu pour démarrer le 5 Décembre (2002)" indique le journal... sans trop se faire d'illusion sur la possible condamnation de Carriles et des mêmes individus que cités précédemment, sortis ou échappés de prison pour recommencer ailleurs ce qu'ils avaient déjà fait dans les années 80...
Carriles, encore une fois condamné, était rentré tranquillement à Miami en 2004, car il avait à nouveau échappé à sa condamnation de façon extraordinaire : "Amnistié « pour raisons humanitaires » par la présidente panaméenne Mireya Moscoso, le 26 août 2004, dernier jour de son mandat, il rentre clandestinement aux Etats-Unis, en mars 2005, depuis le Yucatán (Mexique), à bord du bateau Santrina, propriété de M. Santiago Álvarez, l’un des principaux leaders des groupes anticastristes violents de Miami" nous rappelle si justement Le Monde Diplomatique. Des témoins le confirment sans peine. Un énième scandale de plus.
Le journal, justement, égrénant ce qu'avait Carriles depuis son échappée du Venezuéla : " échappé en 1985 ; il a rejoint les opérations anti-communiste de la CIA au Salvador et au Nicaragua. Il a pris part à la planification de six attentats à la bombe dans des hôtels de La Havane et des restaurants en 1997 qui ont tué une personne et fait onze blessés." Sans oublier bien sûr que pour financer ses actions, notamment au Nicaragua, Carriles passait par la case...Mena, à savoir qu'il trafiquait de la cocaïne, chargeant encore un peu plus son portrait fort peu reluisant.... Pour Novo, idem : "en tant que membre du Mouvement des cubains nationalistes, a tiré au bazooka (et a raté son tir !) sur le siège des Nations Unies en1964, au moment même où Che Guevara y parlait. Condamné pour l'attentat à la voiture de Washington, DC, en 1976, qui a tué l'ambassadeur chilien Orlando Letelier et Ronni Moffet. Acquitté en appel, mais il a été enfermé quatre ans pour avoir menti à un grand jury à propos de l'enquête sur le crime". Ou encore "Jimenez Gaspar, 66 ans. En 1977, il a participé au kidnapping du consul de Cuba à Mexico, tuant un fonctionnaire consulaire. Échappé de la prison de Mérida en 1977. Arrêté à Miami et déporté au Mexique en 1981. Après une réduction de peine a été renvoyé à Miami en 1983. Cette année-là, le procureur fédéral de Miami a ouvert un scellé contenant l'acte d'accusation d'un témoin devant un grand jury selon lequel Jimenez était responsable de l'explosion de la bombe attachée à la voiture du journaliste de radio Emilio Milian, qui a détruit ses jambes (Milian a survécu et a continué à dénoncer les exilés cubains intolérants. Il est mort l'an dernier à l'âge de 69 ans)". Sur les images de l'attentat contre Milian... les mêmes aspects que ceux aperçus sur la voiture de Letelier. Un mode opératoire signé. L'équipe de Carriles a encore frappé.
Bref, des tueurs et des terroristes, toujours les mêmes, en prime, une poignée d'extrême droite maniant le semtex ou le bazooka, au même titre que ces terroristes ... d''Al-Qaida, si vitupérés par la presse bushienne de l'époque ! Parmi les hommes visés par l'article de presse de Miami, l'évêque Roman, auquel avait écrit une des veuves de l'attentat aérien, l'archevêque John Favalora n'ayant rien voulu savoir du problème ou n'ayant pas voulu prendre position. L'évêque, il est vrai, il y a vingt ans avait déja déclaré dans le même journal "qu'il y avait une justice, avec la libération d'Orlando Bosch de sa prison de Caracas"... Dieu reconnaissant les siens, sans doute..., c'est bien connu ! Il semble en tout cas que ce soit la même "justice" d'influence divine qui ait sévi le 8 avril dernier, en empêchant sans doute pour la dernière fois un criminel d'être jugé. "La justice américaine une nouvelle fois déshonorée" titre amèrement le Monde Diplomatique. Il faut dire que ce dernier procès de Carriles avait été "tenu" par la juge Kathleen Cardone, "nommée à cette fonction en 2003 par l’ex-président George W. Bush" indique Le Monde Diplo. Un procès grotesque, (à un point !) où elle fera sortir les témoins gênants ou même les jurés, lorsque les personnes appelées chargeaient trop la barque du prévenu ! Or Carriles était pourtant bien un hors la loi selon la justice américaine : quand il a effectué sa demande d'asile en 2003, et quand il a demandé à être naturalisé américain, les autorités lui ont demandé s'il avait de près ou de loin été mêlé à l'attentat d'avion : or il est entré sans problèmes aux USA, naturalisé, alors que la justice US disposait des dépositions de ses accolytes l'ayant accablé !
C'est bien à une parodie de justice de plus à laquelle on a pu assister en ce 8 avril dernier aux USA. En effet, et en définitive, avec ce genre d'individu et ce qu'est réellement la CIA, ça n'a rien de très surprenant. Les USA seraient-il le pays où les ordures fleurissent facilement ? On serait tenté de le penser, à en voir une de la veine de Posada Carriles, qui a traversé jusqu'ici toutes les accusations, malgré des preuves irréfutables de ses meurtres. Ses collègues de virée mafieuse, condamnés à vie, purgent toujours leur peine de prison, à cette heure. Pas lui. On ne peut parler de justice, à ce stade ; c'est une évidence : de faire partie un jour de la CIA, visiblement, protège... à vie.
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