De Victor Jara à Guantanamo : la même CIA (5)
Dans l’épisode précédent, nous avons vu que la CIA avait pratiqué au Viet-Nam l’assassinat ciblé d’opposants ou d’adversaires. Or, cette pratique n’a pas été limitée aux opérations extérieures. Sur le territoire américain aussi des gens ont été supprimés dans un supposé intérêt supérieur de la nation. Mais plus étonnant encore, parfois ces personnes étaient elles-mêmes membres de la CIA. Désireuses de la quitter ou en rupture avec l’idéologie sous-jacente à ce qu’on leur demandait de faire, en rupture de ban avec l’administration où ils avaient fait carrière, on ne leur a pas laissé beaucoup le choix pour en sortir. A défaut de sortir par la grande porte, elles sont le plus souvent sorties par une fenêtre ou sont tombées d’un toit. « Accident » ou « suicide », bien entendu, selon la CIA. Parmi ces pestiférés, le cas de l’un d’entre eux a reçu notre attention. Sa famille s’est battue pendant plus de vingt années pour le réhabiliter. Et a fini par obtenir gain de cause : ce n’était pas un suicide mais bien un assassinat, conçu et perpétré par la CIA sur un de ses employés !

Parmi les cas les plus significatifs de cette ère d’assassinats ciblés, le cas de Frank Olson est exemplaire, et rappelle par bien des aspects d’étranges similitudes avec d’autres histoires récentes, car Olson n’était ni un homme politique ni un homme d’état : c’était tout bonnement un employé de la CIA retrouvé un jour "suicidé", comme beaucoup d’autres. Lui est mort en 1953, après avoir fait partie d’un programme d’absorption de drogues intitulé opération Artichoke, devenu plus tard programme MKultra, qui consistait à absorber du LSD, notamment, pour voir ce que ça donnerait chez les civils (qui l’ont utilisé en rock and roll, ce qui en a azimuté plus d’un !). Selon la version officielle, devenu fou, il se serait défenestré de son hôtel New-Yorkais, l’hôtel Statler, où il était descendu chambre 1018, une chute qui avait causé sa mort, selon la version officielle. Il faudra plus de 40 ans à sa famille pour prouver le contraire : l’exhumation de ses restes en 1994 démontrait qu’avant de sauter par la fenêtre, il avait reçu un très violent coup sur la tête. Un homicide, avait conclu le légiste, preuves photographiques du crâne du squelette à l’appui.
Olson travaillait déjà en 1953 sur des programmes d’armes bactériologiques, programmes qui ne se sont en fait jamais arrêtés à la CIA. Parmi les gens avec qui il travaillait figurait Kurt Blome, ancien nazi, tortionnaire à Dachau, qui avait été emmené à la libération lors de l’opération Paperclip, qui avait soustrait des scientifiques tels que Von Braun aux vues des soviétiques. Encore en Allemagne en 1950, Olson avait assisté à quelques interrogatoires musclés tenus par Blome... passé "entraîneur" des interrogateurs de la CIA... Ecœuré, il songeait alors à quitter la CIA et ses méthodes qu’il n’appréciait pas. Une historienne, Kathryn Olmstead, avait trouvé dès 2002 des documents intéressant datant de l’ère Ford, à son égard, époque où le secrétaire du Président s’appelait Donald Rumsfeld. Lui et un assistant de la Maison Blanche, Dick Cheney, s’étaient beaucoup démenés pour que les circonstances exactes de la mort d’Olson ne puissent jamais voir le jour. Ce que craignait avant tout Cheney, c’est qu’on découvre qui payait Olson et sur quoi il travaillait exactement (*1). Les parents d’Olson avaient finalement négocié 750000 dollars pour n’en rien révéler. En Amérique, tout se négocie semble-t-il. Mais ils n’avaient pu empêcher les journalistes de révéler le décès d’Olson, bel et bien "suicidé" de force. Or Olson, avant de tâter du LSD avait aussi travaillé sur la dissémination de bactéries dangereuses, dont l’anthrax. Le "secret" d’Olson, comme l’ont écrit justement certains, aurait pu détruire la CIA en s’attaquant à ses fondements, à savoir la manipulation de citoyens américains à l’aide de drogues et l’assassinat pur et simple d’agents dissidents. Le site Internet créé par son propre fils est très émouvant et raconte la longue lutte de la famille pour retrouver l’honneur du père assassiné.
Pour parfaire le tout, le 27 juin 2006, des documents classés jusqu’ici secrets révélaient la présence de Blome à Fort Detrick, après être revenu d’Allemagne (*2). Les documents, surnommés les "joyaux de la famille" révélaient aussi que le criminel nazi Eichman, en fuite, avait aussi été protégé par la CIA (*3). En 2006, à mi terme du second mandat, l’Amérique apprenait dans l’indifférence d’une guerre irakienne, que son service d’espionnage avait hébergé ou protégé des nazis ! Qui, indubitablement, y avaient laissé des traces tangibles sur le fonctionnement de ses services. A avoir vu Abou Ghraib on s’en serait douté, remarquez. Un journaliste, à la vue de ces documents révélateurs avait affirmé "qu’aujourd’hui c’était bien pire" (*4). Et effectivement : en 2001, le congrès, bien manipulé par le 11 septembre avait "automatiquement" ressorti l’assassinat comme arme possible, malgré l’interdiction formulée en 1975 sous Gerald Ford, cet autre pantin présidentiel. La demande de Bush était très claire sur le sujet (*5) . "Libérez la CIA de ses contraintes" demandait-il alors au Congrès. Le sénateur Bob Graham, partisan de la méthode, affirmait alors, pour convaincre les indécis, que "les agents de la CIA n’étaient pas des anges, ou plutôt selon lui pas le genre d’espions qu’on trouve dans les monastères" (*6).
Le 11 septembre a donc aussi comme effet secondaire passé assez inaperçu, de rouvrir la voie royale aux "opérations spéciales", de la CIA, à savoir les assassinats ciblés chers à l’ère Nixon ! Bush a-t-il fait assassiner des opposants ? Très certainement : de tous les présidents, c’est lui qui a les placards de cadavres les plus remplis, pour sûr, on vous en a parlé ici à plusieurs reprises. Le 11 mars 2009, le journaliste Seymour Hersh, lors d’une conférence mémorable, parlait même d’un "executive assassination ring’, lié directement au pouvoir (*7). Hersh mettait ce soir là l’accent sur les opérations à l’étranger : or, il est évident que certaines ont eu lieu aussi sur le territoire américain. Comme au plus beau temps d’Olson. L’affaire Connell, l’homme qui détenait les secrets électoraux de Bush, est bien là pour le prouver.
La disparition en effet sous l’ère Bush d’un autre spécialiste, celui-dit de l’anthrax, déclaré comme Olson "dépressif" a en effet ravivé ces craintes, cinquante années après. La CIA, qui jurait avoir changé de méthodes et s’interdisait désormais les assassinats depuis 1975 et la remise du rapport Olson à Gerald Ford n’a pas beaucoup changée semble-t-il. Olson avait une autre particularité : il travaillait à Fort Detrick, dans le Maryland. L’un des hauts lieux des manipulations et expérimentations médicales militaires. Dans le bâtiment 470, surnommé "Fort Doom" datant des années 50, qui s’est toujours chargé des recherches sur l’anthrax et d’autres bacilles ou virus. Malgré l’interdiction par Nixon du 11 novembre 1969 d’utiliser des armes chimiques (l’agent orage étant appelé simple "défoliant" !) , or ces travaux n’ont jamais cessé à Fort Detrick.
En 2001, Stephen Atfill, chercheur au CV très particulier, qui avait aussi fait un tour dans les années 80 par l’Afrique du Sud auprès des forces spéciales du pays, pas vraiment réputées pour être de gauche (elles étaient plutôt néo-nazies), avant d’intégrer le SAIC, y travaillait aussi. ll y avait accédé en jouant de faux diplômes déclarés véritables et avait donc eu accès à de l’anthrax. Normal aussi qu’il se voyait accusé en 2002 d’être le disséminateur possible de la vague de 2001 : son cas n’ a en fait jamais été entièrement élucidé, Atfill ayant poursuivi ses accusateurs et ayant gagné des procès engagés contre lui, notamment par le NYT. Le gouvernement mis en cause par la presse se tournant lui, comme un contrefeux aux accusations contre Atfill, vers un autre employé, Bruce Edwards Irvins, un microbiologiste lui aussi, chercheur en biodéfense à la United States Army Medical Research Institute of Infectious Diseases (USAMRIID) situé cette fois à Fort Meade. Ses sujets d’étude : le virus ebola, l’anthrax.... et la fièvre porcine... Une enquête était en cours le concernant quand soudain on le retrouve... suicidé. Un de plus.
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