• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > De Voltaire à Ernest-Antoine Seillière, ex-patron du MEDEF

De Voltaire à Ernest-Antoine Seillière, ex-patron du MEDEF

 À diverses reprises, et notamment ces jours-ci, j’ai évoqué l’implication directe de Voltaire dans les guerres des deux premiers tiers du XVIIIème siècle en Europe.
 Ce monde-là n’est pas si lointain de nous qu’il ne lui soit pas possible d’entretenir les liens les plus directs avec certains de nos contemporains, et d’une façon parfois presque stupéfiante. Ce sera le cas pour le premier président de ce qui s’appelle toujours le MEDEF : Ernest-Antoine Seillière, dont le patronyme complet est Seillière de Laborde

 Laborde, qu’est-ce donc ?

 Sous ce nom, c’est effectivement la seconde moitié du XVIIIème siècle qui se rappelle à nous avec ce petit supplément qui vient soudain prendre la forme d’un définitif point de chute : le 29 germinal an II (18 avril 1794), le couperet de la guillotine s’abattait sur le cou de Jean-Joseph de Laborde, ex-banquier de la cour du mal-aimé Louis XV.

 La scène se passe à six générations d’Ernest-Antoine. Elle n’a vraisemblablement rien perdu pour lui de sa cruauté. Peut-être même ne lui laisse-t-elle pas le choix d’être autre que ce qu’il est : un homme né de l’histoire dont on va suivre ici quelques développements.

 Quand il fut brisé par les terribles remous de la Terreur, Jean-Joseph de Laborde tombait de haut, de très haut. À prendre la mesure de sa chute, nous ressentons nous-mêmes une sorte de vertige. Pourtant les noms sont ce qu’ils sont, de même que les chiffres. Pour les premiers, nous retiendrons d’abord Mme de Pompadour, Choiseul et Voltaire. Nous laisserons ensuite à ce dernier le soin de nous mettre le pied à l’étrier des grandes affaires d’une époque particulièrement mouvementée.

 Le 6 décembre 1771, le patriarche de Ferney (77 ans) écrivait à Jean-Joseph de Laborde  :
 « Cette colonie va périr si je ne lui donne de nouveaux secours. Pouvez-vous avoir la bonté de me faire vendre cent mille francs de contrats ? Je ne disputerai par sur les prix […]. »

 Nous non plus. Mais nous aimerions tout de même savoir de quels contrats il s’agissait et ce que représenteraient aujourd’hui ces 100.000 francs qu’on nous jette au visage.

 La meilleure façon de répondre sur ce dernier point, c’est de considérer avec la plupart des spécialistes que la comparaison ne peut être que très approximative - pour ne pas dire totalement absurde -, et d’ajouter, avec au front le rouge de la plus extrême confusion, que l’hypothèse d’un salaire ouvrier moyen d’un franc par journée de travail n’est pas éloignée de pouvoir nous servir de boussole. Ainsi la modique somme de 100.000 francs évoquée par celui dont la bourgeoisie s’empresserait de porter les cendres au Panthéon dès 1791 représenterait aujourd’hui, en tout et pour tout, 100.000 journées de travail payées au SMIC.

 Un petit calcul achèvera de fixer les idées. En cinquante années d’un travail effectué pour le franc quotidien, et suspendu les dimanches seulement, le manouvrier aura recueilli environ le sixième de cette somme : loin de pouvoir l’économiser, comme avait fait Voltaire, il l’aura dépensée au jour le jour pour à peine permettre à sa famille et à lui de survivre.

 Ce brave Voltaire a donc en mains six vies entières de travail, ce qui n’est encore que l’un des fruits de son dur labeur. Mais ces 100.000 francs, il ne les a malheureusement que sous forme de contrats. Que veut dire cela ? Reprenons-le une vingtaine de mois plus tôt, alors qu’il écrivait à son ami le duc de Choiseul (12 mars 1770) :
 « Si monsieur le contrôleur général voulait me rendre l’argent comptant qu’il m’a pris dans la caisse de M. de Laborde, sans que j’en aie prié, je pourrais commencer un gros commerce et attirer beaucoup d’ouvriers de Genève. S’il a voulu économiser, pourquoi n’a-t-il pas pris quatre millions cinq cent mille livres qu’il paie tous les ans aux Genevois ? Pourquoi n’a-t-il pas suspendu d’un ou deux ans le paiement des rentes sur lesquelles ils ont tant gagné ? Pourquoi me prendre à moi mon argent comptant qui m’appartient, et sur lequel je n’ai rien gagné du tout ? »

 Comme cela se sent aussitôt : nous voici entrés dans la grande politique. À ce moment, en effet, le contrôleur général - le ministre des Finances - n’était autre que l’abbé Terray, un sous-marin introduit dans son propre Conseil par Louis XV pour préparer la disgrâce de celui qui était à la tête des affaires du royaume depuis bientôt douze ans, Étienne-François de Choiseul-Stainville.

 Sur Voltaire, je vous en dis plus ici : https://youtu.be/-Pb4o-Hm5qg
 Quant à Ernest-Antoine Seillière, je ne dispose que de ceci :
http://www.livres-de-mjcuny-fpetitdemange.com/#accueil.A/s0c/Tous


Moyenne des avis sur cet article :  4.25/5   (32 votes)




Réagissez à l'article

11 réactions à cet article    


  • Séraphin Lampion P-Troll 18 mars 2015 12:16

    La révolution reste à faire !

    La confiscation du pouvoir par une bourgeoisie qui a mandaté aussitôt Napoléon pour créer une nouvelle aristocratie (industrielle et financière et non plus foncière), cette confication, donc, n’a abouti quà faire violemment en France ce que les Anglais avaient fait en douceur : organiser l’économie pour passer de l’âge agricole à l’âge industriel.

    Mais ne parlons pas de démocratie, ou même de république !
    Cest mots ne sont que des outils de manipulation.

    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 18 mars 2015 13:39

      @P-Troll

      Merci à vous.

      Pour aller dans votre sens, je citerai ce bref passage de l’ouvrage que Françoise Petitdemange, Christine Cuny et moi-même avons publié en 2004 :
      « En effet, présent lors de la création de la Banque de France en 1800, Nicolas Seillière fondera officiellement en 1808 la banque Seillière qui bénéficiera dès 1836 du concours de Charles-Adolphe Demachy dont le nom apparaîtra vingt et un ans plus tard dans la raison sociale de la banque et dont la petite fille, Germaine Demachy, épousera le futur grand-père d’Ernest-Antoine Seillière. » (Ernest-Antoine Seillière - Quand le capitalisme français dit son nom", pages 181-182)

      Or, le schéma d’organisation de la future Banque de France avait été procuré par le flls aîné de Jean-Joseph de Laborde, François Laborde de Méréville, dans son discours à l’Assemblée constituante le 5 décembre 1789...


    • Séraphin Lampion P-Troll 18 mars 2015 14:16

      @Michel J. Cuny


      eh oui
      à part ça, je voudrais bien savoir pourquoi y en a qui moinssent !

    • devphil30 devphil30 18 mars 2015 14:42

      @P-Troll


      La prise du pouvoir par la bourgeoisie en lieu et place de l’ancien régime.
      La prise du pouvoir par le peuple qui ensuite s’est vu retiré le peu de liberté acquise par le sang.

      Rien n’a changé aujourd’hui ( Tunisie , Egypte ) ....

      Philippe 

    • cedricx cedricx 18 mars 2015 17:09

      Il vous échappe ce que toute personne informée sait sur les Sellière : ces derniers doivent leur fortune au pillage lors de la prise d’Alger en 1830, un épisode peu ragoutant que les membres de la famille se chuchotent de génération en génération !


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 18 mars 2015 18:18

      @cedricx

      Merci, mais vous allez un peu vite en besogne. J’ai commencé par présenter Jean-Joseph de Laborde, personnage important pour l’histoire de France puisque, banquier lui-même de la Cour du roi Louis XV, il avait épousé la fille de la banquière de l’impératrice d’Autriche, Marie-Thérèse, ce qui l’a rangé, avec Voltaire, parmi les promoteurs de l’effroyable guerre de Sept Ans. Il faut noter ceci qui est essentiel... Jean-Joseph de Laborde a connu Marie-Antoinette alors qu’elle était encore une petite fille et c’est lui qui est venu l’accueillir à la frontière lorsqu’elle est entrée en France pour préparer son mariage avec le futur Louis XVI.

      Par ailleurs, ainsi que Françoise Petitdemange, Christine Cuny et moi-même l’avons écrit à la page 288 de l’ouvrage que nous avons publié en 2004, l’affaire d’Alger commence, pour les Seillière, bien avant le franchissement de la Méditerranée. Ils ont dû d’être à la tête de la préparation de cette expédition à leur longue expérience.

      Reprenant les termes de Jean-Louis Beaucarnot, nous apportions ces précisions : « L’année suivante, avec l’expédition française en Algérie, revient le temps des grands contrats de fournitures. Seillière l’emporte et, cette fois-ci, on ne lui confie pas seulement l’habillement des troupes, mais aussi les munitions et plus généralement toute l’intendance. »

      Mais, là encore, il s’agit d’une anticipation. Il faut auparavant dire d’où venait cette expérience : elle est issue du fait que les Seillière ont été fournisseurs aux armées pendant les guerres menées par le général Bonaparte, ce qui leur a valu d’être parmi les principaux banquiers qui sont entrés dans le capital de la Banque de France dès 1801.

      Enfin, votre anticipation est terriblement décalée si l’on songe que, par sa mère, Ernest-Antoine Seillière est un descendant, en ligne directe, de la branche principale des Wendel dont la fortune remonte à la fin du moyen âge.

      Par contre, si vous détenez des informations appuyés sur des preuves à propos de ce qui « se chuchote » dans la famille Seillière sur l’affaire d’Alger, je suis preneur. Mais Pierre Péan s’est déjà attelé aux dessous de cette affaire.

       


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 18 mars 2015 19:16

      @Alex

      Bravo pour votre courage, pseudonyme Alex.


    • devphil30 devphil30 18 mars 2015 19:47

      @cedricx
      L’information circule mal en ce moment sur Agora.
      Dire la vérité dérange ?
      Ou s’agit ’il d’une invasion de mécréants droitier avide de défendre leur riches dominants....

      Philippe


    • cedricx cedricx 19 mars 2015 14:29

      @Michel J. Cuny


      Pensez-vous que chez ces gens là le fait d’être déjà bien pourvus, matériellement, les auraient empêché de grappiller dans les trésors volés de la ville d’Alger ? J’ai vu monsieur Seillière interpellé sur la question lors d’une émission TV par son interlocuteur (je cherche son nom) qui relatait ces faits dans un livre qu’il venait de publier et mettait au défit monsieur le Baron de l’attaquer en diffamation. Je ne manquerais pas de vous transmettre les coordonnées nécessaires.
      Merci pour votre article. 

    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 19 mars 2015 15:02

      @cedricx

      Merci à vous.
      Je partage votre avis, bien sûr.
      Sauf erreur, la personne que vous avez vue en présence d’Ernest-Antoine Seillière était le journaliste Pierre Péan.
      Françoise Petitdemange et moi connaissons celui-ci pour l’avoir vu au café de Flore à Paris où il nous avait rejoint(e) dans le cadre de la préparation d’une émission sur France-Culture (Staccato d’Antoine Spire). L’enregistrement radiophonique de la discussion que j’ai eue à cette occasion avec le grand résistant Serge Ravanel est accessible ici (première image à droite) :

      http://www.cunypetitdemange.sitew.com/#Enregistrements_sonores.A

      Au-delà de 1830, les Seillière ont été partie prenante de l’indemnité que la Ville de Paris a dû verser à Bismarck après la Commune, et pour le dédommager de la résistance du peuple parisien... C’est-à-dire que les Seillière ont fait partie du groupe de banquiers (internationaux pour la plupart) qui ont payé l’indemnité immédiatement à l’Allemagne unifiée, tout en se faisant rembourser (plus intérêts), dans les années suivantes, par les contribuables français.

      Je ne pense pas qu’il soit possible de ranger cela sous l’angle de l’immoralité, de la cupidité, etc...
      Il s’agit tout simplement de l’exploitation de l’être humain par l’être humain, sur laquelle se trouve fondée l’appropriation privée des moyens de production, et toutes les institutions bourgeoises.

      Il ne s’agit donc pas d’abord, pour les bourgeois, de consommer la richesse acquise, mais de la transformer en capitaux... D’où l’émergence d’une classe dominante, qui ne vit plus que pour dominer. Ce qui se justifie si jamais la population travailleuse se laisse effectivement faire.

      Bien à vous


    • jako jako 18 mars 2015 12:49

      ah le baron,quel homme ! citation : la morale et l’éthique n’ont rien à faire dans l’entreprise...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité




Palmarès



Publicité