Deauvillissime le festival du cinéma américain
Le festival a fermé ses portes avec son cortège de prix et de récompenses dont le Grand prix attribué à "In the summers" de Alessandra Lacorazza Samudio, le prix du jury attribué à "The Knife" de Nnamdi Asomugha.
Ce festival avec une nouvelle directrice, avec des polémiques avant ouverture, concernant l'ancien directeur, le trompettiste Ibrahim Maalouf, Maïwenn, a fêté cette année son 50 ème anniversaire avec des personnalités emblématiques au démarrage (Mickael Douglas honoré sur scène pour la totalité de son immense carrière ), au final (Françis Ford Coppola le vendredi, Natalie Portman le samedi pour 1 Deauville Talent Award). Le film "Lee Miller" interprété par Kate Winslet, proposé hors compétition en ouverture du festival, augurait avec force du déroulement de la semaine cinématographique. Lee Miller étant la photographe de guerre américaine qui publia les premières photos de la libération des camps de concentrations nazis. Lee Miller ignorée à tort du grand public.
50 anciens films américains ont été projetés, "films qui ont changé nos regards sur le monde". Et à la découverte sur les écrans du 6 septembre au 15 septembre les films nouveaux de la Compétition, des Premières, les Docs de l'oncle Sam.
Les festivals sont importants : "Plus encore que des rituels, les festivals sont des écosystèmes cruciaux dans le parcours des films et de véritables plateformes d'échanges culturels qu'il est important de préserver en tant que tels" (Isabelle Huppert).
Et Deauville a été le lieu privilégié de rencontres (James Gray, Sebastian Stan pour ne nommer qu'eux), d'échanges et de visionnage de films d'une qualité grand public rare. Avec cette année une programmation qui, si elle a pu paraitre sombre par les sujets de société évoqués, n'en a pas moins attiré un large public amateur de cinéma reflétant et se nourrissant de la complexité de nos sociétés, au travers d'histoires personnelles passionnantes. Le narratif y a été intense, sans caricature, l'image valorisée ( avec notamment quelques films en noir et blanc d'un esthétisme ravageur, rehaussant les personnages en mettant au second plan ce qui peut perturber notre perception des histoires racontées). Un participant du festival avait d'emblée posé les jalons de la philosophie générale de la programmation : "Tous les hommes ont quelque chose en commun, leur diversité".
Pour preuves quelques films à voir absolument lors de leurs sorties sur les écrans de France.
"LA COCINA" prix du 50 ème anniversaire, long métrage annoncé comme "drame USA-Mexique", a pour cadre la cuisine du "Grill" restaurant très animé de Manhattan Time square. Le réalisateur Alonso Ruizpalacios nous fait pénétrer dans les coulisses, au mileu des brigades de cuisiniers et cuisinières venant d' Amérique du sud, d'Europe, d'Inde. Le patron a l'habitude de poser aux nouveaux cette question : "Tu as une allumette. Tu as une cheminée, une lampe à huile , une bougie. Tu allumes quoi en premier ? A ceux qui répondent la bougie, il rétorque : "Et non l'allumette ! ". Avec les rires de l'assistance des anciens qui savent. Il promet à ces étrangers depuis longtemps dans la place des papiers et la régularisation. Beaucoup redoutent le retour forcé au pays. Une somme est volée dans l'une des caisses du restaurant, ce qui donne droit à une investigation maison qui fait apparaitre bien des non-dits, des secrets. Pedro qui fait embaucher Estella membre de sa propre famille, est soupçonné d'avoir volé la somme pour permettre l'avortement de sa copine. Dures conditions de travail. Quasiment travail à la chaine, dans un univers en tension permanente. Dans ce restaurant, on y sert du homard pour les plus riches alors qu'il y a quelques décennies le homard ," poulet de la mer" était consommé par les pauvres. La statue de la liberté, "la grande dame à la couronne et à la flamme",symbole pour les migrants de changement de vie et progrès dans leur vie, est souvent là en contrepoint. Pedro, face à sa vie cahotique, perd le contrôle de lui-même, entraine une pagaille généralisée, entre les plans de travail. Le patron intervient : "Tu es bien payé, tu manges bien et tu n'es pas content".
Le documentaire "LES DISPARUES" dans la catégorie des "Docs de l'Oncle Sam" de Sabrina Van Tassel est lui aussi très représentatif du traitement des hantises d'une partie du peuple américain, concernant cette fois-çi les traitements infligés aux amérindiens, indiens, autochtones, dans les réserves imposées par les blancs . Dans la réserve indienne de Tulalip état de Washington, les "Natives" femmes sont violées, disparaissent. Et la justice fédérale ne s'occupe absolument pas de ces cas douloureux. Pas d'enquête. Les médias se désintéressent. Toutes les vies n'ont pas la même valeur. La justice tribale ne peut pas intervenir au- delà de la réserve. Or ce sont des blancs ( parmi eux,ouvriers agricoles, pêcheurs) qui violent, tuent, enterrent dans les forêts environnantes leurs proies, en toute impunité. Les enfants sont retirés,par les services sociaux, à leurs mères qui souvent maltraitées sont addictes à drogues et alcools. Ces enfants dans le passé ont connu des pensionnats indigents, dangereux et nocifs,dans lesquels on veut en faire des fermiers, des ouvriers, des domestiques.. Ou ont été confiés à des familles blanches maltraitantes. La violence c'est normal", dit , face caméra, une des nombreuses femmes interrogées par la réalisatrice. Avocat en droit des peuples autochtones, femmes groupées en associations, s'expriment. Des manifestations ont eu lieu. La secrétaire à l'Intérieur des USA, membre du cabinet présidentiel, Deb Haaland a rendu visite à cette population discriminée et menacée et a annoncé des mesures pour que les drames s'arrêtent.
Le cinéma américain indépendant s'est donc depuis plusieurs années emparé des sujets et thèmes qui fracturent la société, place des immigrés, des minorités mais aussi au travers de parcours humains qui nous amènent à nous pencher sur les laissés-pour compte, les oubliés, sur nos insuffisances, nos béances plus ou moins profondes, nos erreurs, nos aberrations.
"COLOR BOOK" de David Fortune, avec Will Catlett et Jeremiah Alexander, prix de la critique, illustre formidablement un parcours exigeant d'un père qui élève seul son fils trisomique, après la mort de sa femme. Combat au jour le jour : témoignage de joie et d'amour, de parentalité, malgré les difficultés, les embûches.Chanson du final :" Every loves the sunshine". Le réalisateur- producteur filme aussi sa ville Atlanta, qu'il aime, en N-B, ce qui fait qu'on se rapproche des personnages en n'étant pas distrait par le paysage, cadre de la vie des 2 protagonistes. L'humain, l'humanité sont là quelque soit la couleur de la peau, le pays, le groupe social. 2 jeunes productrices, essentielles pour le casting, le matériel ( caméra numérique noir et blanc peu usitée, qui permettrait, si l'on faisait des arrêts sur images,d'obtenir des photos magnifiques, instantanés délicats à encadrer).Un film d'équipe, comme un village réuni.
Dans le monde de la boxe, des "fighters" combattants boxeurs, "BANG BANG" de Vincent Grashaw avec le profond Tim Blake Nelson. Un film sobre, solide, crépusculaire. Un ancien boxeur cherche à initier son petit fils dans une Amérique déshéritée. Vincent Grashaw nous montre l'après gloire ou l'après-gloriole, la boxe et ses conséquences dramatiques sur la vie, la santé des boxeurs issus des familles pauvres. "Que dire quand tu apprends que le père Noël est en taule". " La vie c'est des choix sauf la famille et le cancer".
"THE SCHOOL DUEL", prix Canal+ spécial 50ème anniversaire, de Todd Wiseman Jr avec le très jeune talentueux Kue Lawrence et Christina Brucato. Scénario : dans le futur, l'état indépendant de Floride organise une compétition mortelle, entre jeunes, après avoir aboli le contrôle des armes à feu. Le réalisateur nous dit sa colère contre l'utilisation meurtrière des armes dans son "pays, qui doit se reprendre en mains" et éradiquer l'idéologie extrêmiste. Film d'anticipation en N et B totalement réussi, talentueux. Description d'un futur possible ?
"THE GLAZER" premier film de Ryan J. Sloane avec sa comédienne coréalisatrice Ariella Mastroianni. Frankie souffre de dyschronométrie. Sa maladie déforme sa perception. Elle est séparée de sa fille, enchaine les emplois. Elle accepte un deal pour le moins hasardeux et...Les réalisateurs aux références cinématographiques fortes, insistent sur l'importance du 16mm pellicule qu'ils ont utilisé au lieu des techniques vidéo numériques habituelles. Ils ont autoproduit leur film, complètement abouti et bluffant, tourné sur 2 ans en mode "guérilla" vus les moyens.
"SING SING" de Greg Kwedar, pour qui "dans les moments sombres on peut s'attacher les uns aux autres et trouver l'espoir", nous offre un grand film humaniste. Avec Colman Domingo, Clarence Maclin et d'ex détenus qui jouent leurs propres rôles liés au programme américain de réinsertion créé par l'état de New-York en 1986. En l'occurrence le théâtre et la comédie.Tourné en prison le film a mis 8 ans à éclore. Le retour en prison pour tourner a été compliqué pour les ex-détenus. L'idée du film est venue pour son réalisateur à la vue d'un détenu enfermé dans sa cellule avec son chien.
"THE STRANGERS'CASE", prix du public,de Brandt Andersen artiste-activiste-réalisateur avec Yahya Mahayni comédien syrien-canadien-français et Omar Sy (qui a signé le rôle il y a 8 ans) nous amène hors des Etats- Unis en Syrie et en Grèce. Standing ovation des 1500 spectateurs présents à la projection, le regard bouleversé. Pour appréhender la situation de ces syriens traumatisés par la dictature et la guerre, quittant leur pays, via la Turquie, pour la Grèce, dans une embarcation pourrie. Le film a été tourné à Amman, avec des réfugiés (artistes, peintres chanteurs...) impliqués. Les matins de tournage ont commencé par un récit vécu, écouté par l'ensemble du plateau. Pas de distributeur pour le film pour le moment. Mais face aux grandes déchirures de l'époque, ne pas oublier :" l'espoir fait notre humanité".
Les relations familiales ne sont pas oubliées et nourrissent les scénarii du film américain.
"EXHIBITING FORGIVENESS" de Titus Kaphar avec André Holland est un beau film autobiographique du réalisateur peintre. La relation en rupture d'un fils et de son père dur au travail certes (" car rien n'est jamais donné aux noirs") mais addict à la drogue d'où les coups qui pleuvent également sur la mère. Pardon ou non après plusieurs années de séparation du père et du fils, artiste peintre toujours blessé par son enfance. André Holland se reconnait dans ce rôle de Tarrell, ému lors des projections du film avec la réminiscence de sa propre enfance elle aussi blessée. Holland a la peinture en partage avec son réalisateur. Il est arrivé qu'Holland et Kaphar s'isolent du plateau pour pleurer pendant le tournage. Le pardon final ne sera ni oubli, ni excuse, mais mise à distance du malheur pour vivre. "Personne ne mérite d'être écarté à tout jamais" nous dit André Holland.
L'amitié enfantine a aussi sa place sur les écrans U.S. et par conséquent à Deauville. Minhal Baig avec "WE GROWN NOW" nous fait pénétrer en 1992 dans le quartier déshérité de Cabrini Green Chicago. 2 gamins amis dans des familles noires ordinaires. Dans ce quartier un "fait divers" sanglant, un gamin est tué. On suit dans leur vie quotidienne les 2 enfants. Ecole, famille, échappée vers le musée municipal où ils découvrent un tableau d'un artiste noir qui a peint une gare avec le départ du train... La vie rêvée hors du quartier ! La situation nouvelle de la mère, qui élève seul son enfant, fait qu'ils vont être séparés. Amitié brisée. Adieux déchirants dans leur banalité. Film sensible, juste, intelligent, avec une direction de jeunes comédiens remarquable par Minhal Baig qui a passé son enfance à Chicago. En final cette phrase pleine de sens :" Nos origines ce sont des gens". Les immeubles de Cabrini Green ont été démolis depuis...
Ainsi on peut voir que le cinéma américain est toujours en tête de gondole, inspirant, se renouvelant sans cesse avec ses stars ou non stars, ses apprentis stars ou non, ses scénaristes inventifs, ses filmmakers audacieux. Le festival de Deauville leur a donné l'occasion de se montrer, de s'exprimer. Quand les talents se rencontrent...
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