Débattre et s’accorder pour parer à la catastrophe qui vient ?
L’harmonie interconfessionnelle dont jouit la Réunion pourrait-elle être menacée par quelque catastrophe ? Si oui, comment s'y préparer ?
La Réunion est connue pour son « vivre ensemble » affirmé avant tout par un respect mutuel et un dialogue ouvert entre les différentes confessions religieuses.
Nous pouvons assurément nous en féliciter mais ne devons-nous pas aussi nous demander jusqu’à quel point cette fragile harmonie pourra résister au tumulte d’un monde qui, depuis le 11 septembre 2001, s’est continuellement enfoncé dans la violence de guerres hybrides au milieu desquelles des nations, des peuples, des ethnies, des confessions n’ont eu de cesse de s’affronter mortellement en usant de tout le spectre des moyens militaires, de la désinformation au terrorisme ?
Le philosophe polytechnicien Jean-Pierre Dupuy est un spécialiste des catastrophes qui, depuis deux décennies, martèle l’idée que seuls ceux qui croient qu’une catastrophe va arriver sont capables de la prévenir.
Alors, demandons-nous : l’harmonie interconfessionnelle dont jouit la Réunion pourrait-elle être menacée par quelque catastrophe ? Se poser la question, c’est y répondre, car nous avons tous pu observer que d’une marche pour la paix à l’autre, le monde s’enfonce toujours davantage dans ce qu’on appelle le « choc des civilisations ».
Observons, par exemple, qu’en Nouvelle-Zélande, les 50 musulmans qui ont été assassinés dans leurs mosquées ne l’ont pas été à Auckland, Wellington ou Nelson, mais dans la ville appelée Eglise du Christ (Christchurch). Ce télescopage est peut-être le fruit du hasard mais voudrait-on mettre de l’huile sur le feu qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas extravagant de penser que, de par le monde, des forces concourrent à la mise en place d’un véritable choc des civilisations entre un Occident façonné par la chrétienté et une immigration musulmane d’origine africaine ou moyen-orientale qui s’efforce de perpétuer sa religion et plus généralement, sa culture et/ou ses traditions
Comme chacun sait, ce refus de l’assimilation et donc la cohabitation de ces deux cultures ne va pas sans susciter ici et là des tensions, des ressentiments, voire des violences de sorte qu’une forme d’antagonisme culturel s’est installé et s’est trouvé renforcé années après années par l’immigration de masse, le différentiel de natalité comme la permanence des conflits que l’Occident suscite au Moyen-Orient — sans parler des attentats terroristes ou des innombrables persécutions anti-chrétiennes en terre d’Islam. Au point qu’on peut légitimement se demander comment tout cela va finir.
Alors que l’Europe se targue d’avoir établi un record de paix... entre ses membres, tout se passe comme si une guerre civile était sur l’horizon. La chose paraît tellement sérieuse que dans son livre « Un président ne devrait pas dire ça », François Hollande envisageait carrément une partition du territoire national. [1]
N’y a-t-il pas là de quoi assommer tout citoyen normalement constitué ? Alors que la question de l’immigration a toujours été mise à l’écart du débat national (comme ce fut encore le cas pour le récent Grand débat), n’est-il pas hallucinant de constater que nos élus — à qui la Constitution donne pourtant mission de protéger l’unité nationale — songent à quelque chose d’aussi radical qu’une partition du pays ? Qui ne voit que cette « solution » est celle qu’habituellement les vaincus se voient infliger ? Pense-t-on que les français deviendront des « vaincus » sans s’insurger ?
Pour le dire clairement, avec la froide lucidité que Jean-Pierre Dupuy nous adjure de faire nôtre face aux périls qui menacent, les réunionnais doivent se demander ce qu’il adviendra de leur vivre ensemble si, par malheur et pour les raisons évoquées plus haut, une forme de guerre civile devait s’instaurer progressivement ou éclater en métropole.
Ils ne pourront résister à cette catastrophe absolue et à la contagion de la violence que suscite les solidarités communautaires que s’ils se savent toujours-déjà engagés et protégés par une « union sacrée » qui assurera à chacun le sentiment d’appartenance à une seule et même famille réunionnaise au sein de laquelle, au-delà de la diversité apparente, tous se reconnaîtront comme des frères et sœurs bien décidés à se faire confiance, à se défendre mutuellement et à s’assurer de rester en paix à tout prix, quels que soient les affiliations, les intérêts, les obligations morales ou légales qui pourraient les rendre sensibles ou, carrément soumis, aux sirènes des conflits à l’entour.
D’aucuns pourraient juger ces considérations aussi inutiles que surréalistes tant la Réunion peut sembler à l’écart des dangers évoqués, d’abord en raison de son éloignement géographique, ensuite en raison de l’adhésion ancienne de sa communauté musulmane au principe de laïcité ainsi que de l’absence, chez elle, de toute posture victimaire au regard d’un passé colonial qui suscite encore du ressentiment chez nombre de musulmans d’origine nord‑africaine ou subsaharienne. Mais, comme y insiste Jean-Pierre Dupuy, se raconter que la catastrophe ne peut pas arriver est justement ce qui garantit qu’elle va arriver...
Nous voulons tous la paix, mais elle a un prix. Celui des efforts et des sacrifices à accomplir pour être prêts lorsque la catastrophe viendra sous une forme ou sous une autre.
Cette « union sacrée » nous devons la réaliser maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Le sursaut citoyen impulsé par les Gilets Jaunes pourrait en être l’occasion. Chacun aura pu constater que le débat citoyen n’a pas encore eu l’ampleur et la profondeur nécessaires pour changer véritablement l’ordre des choses même si l’instauration conseil citoyen et d’un RIC régional ouvre des perspectives encourageantes.
Bref, ce débat, il nous faut le prolonger car l’actualité fait qu’il devient urgent d’amener les réunionnais à se pencher sur les grandes questions, celles qu’on préfèrerait ne pas voir, celles qui fâchent : les questions de guerre et de paix, les questions de vie ou de mort.
Il me semble que le moment est venu de comprendre que l’appartenance à la République Française une et indivisible ne nous dispense pas d’œuvrer à l’édification d’une conscience collective réunionnaise résolument tournée vers des accords et des pratiques de paix et de solidarité qui nous assurerons que l’union sacrée prévaudra au sein de la population lorsque viendra le temps des grandes tribulations.
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