Déchéance du PCF ou sursaut républicain ?
D'abord pour donner un peu de contexte, j'ai largement critiqué en 2015 la montée des thèmes sociétaux et la multiplicité des luttes, rendant complexe l'union des prolétaires derrière un seul et même drapeau. Néanmoins, de l'eau a coulé sous les ponts, et j'ai changé d'avis sur la posture à adopter vis-à-vis de ce mouvement structurel, au vu de l'élection présidentielle et des législatives qui viennent, ainsi que l’évolution du paysage politique. J'émets dans cet article une série d'observations sur le changement de ligne du PCF sur des sujets clivants, et vais essayer de démontrer en quoi ce n'est pas pertinent au vu de son histoire mais également de ses perspectives.
- Le sandwich merguez de la discorde
Fabien Roussel est l'archétype du communiste français "à l'ancienne" : homme bedonnant, populaire, picard au franc-parler, il a cette gouaille appréciable dans un monde politique aseptisé, et dans une élection sous l'aumône de la radicalité.
Le PCF a toujours fait passer les idées et le bien-être prolétaire avant les places de ses élus dans les collectivités, ce qui lui a valu très cher dans l'histoire. Devenu un parti de témoignage, il ne présentait plus de candidats au niveau national depuis deux élections. Cette fois-ci c'est différent.
Une candidature du PCF est intéressante, mais sur quels créneaux ? Avec quel cœur de cible ? Le PC ne se posait pas ces questions auparavant. Désormais, animé d'une volonté d’exister et de retrouver sa gloire d’antan, les calculs politiques se font. La gauche de gouvernement est sous l'égide du Macronisme et majoritaire. La gauche radicale, woke & écologiste se range derrière Mélenchon et Jadot. Le leader de la LFI a laissé quelque peu de côté ses allégations récurrentes à la patrie en 2017, pour parler de créolisation. Bingo, le PCF tenait son logos.
Avoir une stratégie politique permettant un positionnement tenable, c'est bien. Le faire aux dépens de ses racines idéologiques, de manière à cliver la gauche plus qu'elle ne l'est déjà et se mettre à dos une éventuelle base militante pour flatter les centristes identitaires du printemps républicain, c'est moins bien.
- Se mettre à dos ses enfants politiques ?
La jeunesse éveillée est naturellement caricaturale. C'est normal, la radicalité prime à ces âges, dans la théorie comme dans les actes, choquant les générations suivantes qui connaissent mieux la vie réelle et les problématiques qui la composent. Ce mouvement compte également des libéraux n'étant pas dans l'obsession sociale mais bien plus sociétale ou raciale. Toutefois, ils sont minoritaires, et, nous avons plus à gagner de parlementer avec eux qu'avec Valls, Naulleau et leurs affidés libéraux-identitaires.
Qui était en tête de pont lors des manifestations pour les cheminots ? Qui allait au front faire face aux centaines de CRS lors de l'opposition à la loi de sécurité globale ? Ce n'était pas Amine El Khatmi, mais bien Taha Bouhafs & Anasse Kazib. Qui continue la lutte décoloniale qui a toujours été un des fers de lance du parti ? Les deux mêmes larrons.
Qui alimente largement les rangs de la fête de l'humanité ? Ces mêmes éveillés, jeunesse radicale, engagées sur les questions climatiques, de discrimination mais également de lutte sociale.
Quel intérêt d'être opposé aux ayatollahs woke ? Quid de la logique d'être en accord avec des "retournés" ? D'obtenir quelques ronds de serviette sur Cnews ? L'adoubement de l'innommable Manuel Valls, qui n'a que le mot gauche à la bouche mais qui est l'opportunisme incarné ? Les félicitations de Naulleau, éditeur multimillionnaire copain comme cochon avec Zemmour, tête de pont de l'empire Bolloré ?
Proposer de donner accès à une gastronomie de qualité au peuple suit la tradition matérialiste et productiviste du parti. Néanmoins, tenter d'assimiler cette jeunesse wokiste avec le vin ou la viande me semble complexe et non-constructive. Qu'on l'appelle grand remplacement ou créolisation, l'évolution du peuple français est désormais révélée aux yeux de tous. Il faut apprendre à composer avec cette multiplicité de persona sociaux et culturels qui n'existait pas à l'époque des grandes heures du communisme. Que cette sortie ait pu "choquer" est normal. Un prof végétarien ne sera pas en phase. Un musulman livreur deliveroo s'étonnera de cette insistance à faire boire la population. Pour faire oublier les inégalités sociales ? Aussi, d'un point de vue économique, cette réaction, et son contexte, peuvent être remises en cause, à juste titre.
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Le productivisme du PCF, le tout-industrie et son ecologico-scepticisme face à ses contradictions
Le déclenchement de cette sortie qui a tant fait parler, vient d'une allégation de la journaliste comme quoi Macron était vendu au lobby vinicole. La force de l’agro-industrie en France est indéniable. De là, Roussel éructe et défend le président sur un positionnement pro-industrie agroalimentaire française. Il est certain que la gastronomie dans son ensemble unit tous les français. Un moment de partage, de débat, de rires et parfois de pleurs que l'on connaît tous. Dans le fond, il n'y a aucun problème à valoriser nos savoirs, rivalisés dans le monde entier. Néanmoins, que signifie cette prise de position ? En quoi est-elle dangereuse ?
La FNSEA, syndicat agroalimentaire majoritaire (+ de 50% des agriculteurs y adhèrent), sera ravie d'utiliser ces 10 milliards proposés par Roussel pour produire français et faire manger de la viande à l'ensemble de nos concitoyens. Néanmoins, sous quelle forme ? Est-ce que l'idée est de créer un Lidl à la française ? Ou bien de financer les fermes en permacultures produisant sainement sans mettre en péril nos paysages ? Le PCF doit accepter que les effets écologiques d'une démocratisation de la viande sans contreparties seraient catastrophiques.
Notre gastronomie nationale est référencée à l’UNESCO et se doit d'être défendue. Néanmoins, le modèle assimilationniste qu'il y a notamment derrière cette sortie est destructeur et peut ajouter des oppositions là où la gauche n'en a pas besoin. Afin de se démarquer et d'avoir des tribunes dans l'Opinion, Le Figaro ou intervenir sur CNEWS, Roussel et le PCF mettent l'accent sur une certaine forme d 'identitarisme démagogue. D’autant plus que, dans les faits, ce propos n’est pas tenable.
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Quel avenir pour le Parti ?
Le quinquennat qui s'annonce comprendra une série de réformes anti-sociales n'ayant pu être réalisées lors du précédent, sous couvert d'un COVID devenu endémique. Même en étant optimiste sur une éventuelle présence au second tour d'un candidat de gauche radicale, il faut se faire à l'idée d’années de luttes sociales à venir, sur la retraite, les cotisations sociales, le mieux-vivre…Dans cette configuration, il me paraît alors pertinent que les communistes traditionalistes attachés au marxisme fondamental et les composantes du mouvement woke néo-prolétaires arrivent à s’entendre sur des compromis entendables par les deux parties. Cela permettra un front uni face aux dérives que l’ordolibéralisme veut nous imposer. Une entente cordiale avec les centristes identitaires affidés à Franc-Tireur ne mènera qu’à la zizanie au sein de la classe opprimée.
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