Décrété amuseur public, il avait raté sa vocation, lui aussi
Dans toutes les bibliothèques ou les discothèques, il y a un "enfer". Les bouquins ou les disques à ne pas mettre entre toutes les mains. Souvent, dans les bibliothèques, ça se mettait dans en hauteur, pour que les enfants ne les voient pas. Histoire d'O ou les livres du divin Marquis ont joué longtemps les recordman en hauteur, à ce jeu-là. Dans ma discothèque de vinyls, il y a le même enfer. J'aime passionnément la musique, le bonne musique, vous le savez, et déteste tout ce qui est variété française : les Carlos, les Fugain, les Lenormand, dont j'ai appris tardivement la terrible histoire, (*) qui explique pas mal son absence régulière de la scène médiatique. Mon enfer personnel se situe donc dans cette catégorie là, avec quelque chose que vous soupçonnez difficilement. Ce sont en effet les albums des... Charlots. Etonnants disques, dont la collecte a commencé complètement par hasard avec "Les Charlots font l'Espagne", comme vinyl, une musique de films, qui arborait la complète : pochette d'une nullité affligeante, contenu plus que léger, rimes lourdes, mais ... la révélation d'une voix, celle d'un gars formidable qui aura raté sa carrière une bonne partie de sa vie, hélas. Les Charlots, ne l'oublions pas, contenaient aussi Louis Rego, dont les sketchs ravageurs demeurent inégalés. Mais ils possédaient aussi une voix en or, celle de Gérard Rinaldi, qui vient de décéder, et pour lequel j'avais une tendresse profonde. L'homme qui a chanté "Paulette, la reine des paupiettes" avait un surperbe timbre de voix, inimitable, auquel on n'a pas visiblement donné toute sa chance. Comme Salvador, dont j'ai conté ici la triste aventure, Rinaldi avait un réel talent et a été avant tout une victime de ce show-biz infernal qui dans les années 70 a draîné le public vers les pires inepties au lieu de l'éduquer un peu : si on lui avait donné sa chance, il aurait pu faire beaucoup mieux. Aujourd'hui, c'est simple, j'aimerai célébrer un autre réel talent, laminé comme Salvador par une société de l'argent, celle qui a transformé un très bon chanteur en simple amuseur public, faute de lui offrir autre chose pour pouvoir manger.
Ah, les "Charlots" : combien de fois, lors de soirées musicales, dès que je sortais mes albums, j'ai pu voir le regard des intellectuels déclarés se noircir et leur tête me signifier "c'est quoi ces conneries" ? Et pourtant : dès que je mettais un titre, tout le monde chantait : ces gars-là s'étaient résolument classés d'eux-mêmes dans une tradition bien française : celle du graveleux chanté, celui des chansons de corps de garde, un monument incontournable en France. Tous mes potes médecins, ces anciens carabins, deviennent vite en effet vulgaires, à se rappeler ce qu'on peut entendre aussi, par exemple, en ce moment, au Carnaval de Dunkerque. Hérigé en momument de culture locale, il professe pourtant lui aussi un répertoire d'une paillardise incroyable et rarement égalée. Tel ce "Ah, Léon" qui me fait tant sourire :
Ah ah ah ah Léon il a dans son kanneçon un joli saucisson Ah ah ah ah Louise elle a dans sa chemise une jolie boîte à prise. |
Dans un registre voisin, mon grand père paternel, chef d'harmonie, chantait aux banquets "Rosalie" d'Allibert (auteur de "Jazz Band partout" !), aux jeux de mots transparents pour un enfant, que l'on a longtemps lié aux modèles de Citroën sortis en même temps que la chanson. Rinaldi rêvant encore récemment de faire une version de "Félicie aussi", chef d'œuvre de rime à tiroirs immortalisé par Fernandel. Un seul avait compris cela en France : Pierre Perret, cet autre monument (voir ici et là) qui a repris il n'y a pas si longtemps tout un répertoire savoureux de chansons de ce type. En radio, j'avais réussi la prouesse de diffuser la Corinne, par exemple, dans les supermarchés du coin qui diffiusaient mon émission du samedi après midi, "Sanchons sans fraises", à l'indicatif emprunté à l'excellent Bialek, chanteur belge méconnu. J'avais été à la suite de ça interdit trois jours d'antenne : dans le service public, ça ne rigolait pas autant qu'aujourd'hui (et on était en 1982 ! Récidiviste, je le serais à nouveau pour avoir diffusé "On s'en branle", de Font et Val, alors bien différents de ce qu'ils sont devenus après (pas qu'un peu, pour les deux, ce qui là relativise carrière artistique et vie privée, pour le premier). Perret, qui, contrairement à ceux qui ne sont fans que de Brassens, a discuté avec ce dernier d'un album du genre : Perret a enregistré aussi une paillarde de la main de Brassens, Le Petit-fils d’Œdipe. "Il me disait souvent : "Il faut que je fasse un disque avec ces chansons-là, mais avec ma mère, ça va coincer." Peut-être n’a-t-il pas eu le temps, peut-être s’est-il senti prisonnier de son image. Mais, quelques temps après sa mort, le patron de Philips m’a envoyé quelques textes que Brassens n’avait pas eu le temps d’enregistrer : "Le Grand vicaire", "S’faire enculer", "Le Petit-fils d’Œdipe"… Ce n’était pas dans mes projets, j’avais un disque sur le feu, j’ai dit qu’on verrait plus tard... Pour ce disque, j’ai mis en musique Le Petit-fils d’Œdipe que, en toute bonne fois, je croyais complètement de Georges. Et tout récemment, en recherchant d’autres chansons paillardes dans un livre que je ne connaissais pas, j’ai trouvé une chanson qui raconte exactement la même histoire. En fait, il avait arrangé cette chanson comme moi j’en ai arrangé d’autres. " Retour de manivelle au passage sur la dernière esclandre qui s'est terminée par la victoire par KO de l'ami Perret devant une maigrelette journaliste sans biscuits véritables.
Les Charlots m'ont donc servi pendant des années à relativiser le mot culture : tous ceux à qui je faisais entendre ça me disaient les détester, les traiter de "ringards", mais tous se précipitaient sur mes pochettes pour se marrer, et tous chantaient à tue-tête deux minutes après. Le Carnaval de Dunkerque, où tous se lâchent, on peut le faire chez soi (ça devient une "chapelle" alors !). Car tous connaissaient par cœur leurs chansons ! J'en ai fait, aussi, des mariages en tant qu'invité, (ou de témoin !) avec à la fin de la soirée ce genre de titre égrillard destiné à émoustiller le jeune couple, sans doute. A chaque fois c'étaient invariablement les Charlots qui revenaient : ils sont au vinyl ce qu'à été la série de la 7eme compagnie pour le cinéma. Le "j'ai glissé chef" de Pithiviers est devenu culte, pour les cinéphiles, et "Les paupiettes" de "Paulette" aussi pour les adorateurs du vinyl. Historiquement, il convient de comprendre pourquoi ça marchera autant cette chanson somme toute dérisoire. En France, les opérettes de Francis Lopez, depuis le chanteur de Mexico, avec Luis Mariano, étaient dans tous les esprits. Et Lopez, en 1967 encore, vient juste de monter au Châtelet "Le Prince de Madrid,"opérette hispanisante à qui s'adresse directement la charge des Charlots (elle tiendra deux ans et Luis Mariano disparaîtra un an après). Constater qu'on mettait encore en scène ce genre de choses permet aussi d'expliquer en partie le goût du rock'n'roll chez les jeunes : ça n'avait pas changé d'un poil depuis 1951.. (et ça revient régulièrement comme ici avec l'audomarois qui a failli devenir curé ! **) Les Charlots ayant fait aussi dans le genre militaire, avec un "Bidasses s'en vont en guerre" qui ne doit pas être loin du pire film jamais réalisé, juste derrière "l'Invasion des tomates tueuses " (où un figurant nommé George Clooney faisait sa première apparition), premier toutes catégories depuis plusieurs décennies (avant que Tarantino n'arrive, il est vrai).
Rinaldi, là dedans, c'était d'abord une "tronche", une belle tête d'allumé, comme on peut le voir sur ce cliché que je vous ai retrouvé mis au début de cet article. Un sourcil gauche relevé, un sourire extrêmement moqueur, sinon franchement narquois, sa marque de fabrique, montrait d'emblée un homme de caractère, fait pour être mis en avant, ce que son groupe, au départ simple accompagnateur du chanteur Antoine, a vite compris en en faisant le leader inconstesté. La carrière d'Antoine avait commencé comme un gag : il ne savait manifestement pas chanter, mais il surfait sur la mode des hippies, qui ont beaucoup aidé les publicitaires à renouveler leur stock de vêtements. Gérard Rinaldi était apparu pour la première fois en évidence dans l'émission d'Albert Raisner, dans laquelle il moquait... de Johnny Hallyday, qui s'était permis de constester en musique la chanson originale d'Antoine. Dans un ring virtuel, il était apparu avec son micro LEM (associé au célèbre Nagra), un bazar qui résistait à tout et que l'on trouvera pendant plus de vingt ans sur le marché (j'en utiliserai encore un en 1985 !). Une entrée remarquée, même si à l'époque sa voix ne semblait pas encore très assurée.
Le groupe ("Les Problèmes") monté à la hâte par l'équipe derrière Antoine (celle de Christian Fechner et des disques Vogue) se montrait ce jour-là groupe complet, avec un chanteur... bien meilleur que celui qu'il devait accompagner. Le producteur Christian Fechner, qui aménera dans le groupe son propre frère, Jean-Guy Fechner, comme batteur en remplacement du premier, Donald Rieubon. Les membres du groupe expliqueront un jour à François Jouffa comment ils sont passés des "Problèmes" aux "Charlots. En fait les "Problèmes" en raison de la chanson sur Rego étaient boycottés par les radios, au service alors du pouvoir qui ne voulait pas froisser Salazar : « On était donc accompagnateurs d'Antoine, et pour cette émission de radio qui avait lieu en direct dans le club du Milord's Mod, il était prévu de chanter les chansons du hit parade. Et, dans ce hit parade figuraient plusieurs chansons d'Antoine. Comme celui-ci ne voulait pas les chanter toutes, il nous en a fait chanter une. On ne désirait pas la chanter normalement. On a modifié les paroles. Il s'agissait de « Je Dis Ce Que Je Pense Et Je Vis Comme Je Veux ». Cela nous avait amusés de faire ça, et Christian avait pensé qu'on pouvait l'enregistrer avant de partir en tournée avec Antoine au mois de juin. Comme on avait tout de même un peu honte, on n'a voulu mettre ni le nom des Problèmes, ni notre photo sur la pochette. Nous avons uniquement mis « Les Charlots ». Et voilà qu'alors• que les disques des Problèmes ne passaient pas en radio, on n'arrêtait pas d'entendre celui des Charlots. A la rentrée, on s'est tout de même demandé ce qu'il fallait faire (***) »
Antoine était élève-ingénieur de Centrale, et à l'époque, ça détonait : un autre, mathématicien celui-là, appelé "Evariste" (le pseudo de Joël Sternheimer, docteur en physique théorique à 23 ans) fera une carrière plus météoritique (un autre, plus talentueux musicalement restera davantage dans les mémoires). Détonait, car ces "Elucubrations", copie plutôt palichonne du "Subterranean Homesick Blues" de Dylan, qui semblaient si légères étaient en fait le symptôme éclatant d'une rupture de la jeunesse d'avec le monde des adultes qui l'entourait et lui imposait un véritable carcan, notamment dans le domaine sexuel, comme dans le domaine vestimentaire (d'où les chemises à fleurs, contre les cols-cravates). Antoine avait osé s'attaquer, en prime à un pilier de la chanson yéyé naissante qui remplissait les tiroirs caisse avec son couplet vengeur "tout devrait changer tout le temps le monde serait bien plus amusant, on verrait des avions dans les couloirs du métro et Johnny Hallyday en cage à Medrano" qui préfigurait les grandes tournées des années 80 de l'idole des jeunes, qui deviendront de véritables cirques ambulants. Antoine était il pour autant un révolutionnaire ? A l'époque il choquait beaucoup le pouvoir gaulliste : ça paraît surprenant, aujour'hui, mais c'était vrai : "huit ans avant les réformes de Giscard, Antoine osait défier "la loi de 1920" et demander la pilule en vente dans les monoprix", précise Alain Jouffa (***). Mais Antoine ne savait pas chanter et ne saura jamais chanter correctement... et ses accompagnateurs, qui assuraient plus qu'il ne fallait ses tournées désastreuses, se mirent progressivement à l'idée qu'ils pourraient bien faire sans lui. A la télévision, plusieurs le moquèrent ouvertement, dont un soir un trio composé de Richard Anthony, Claude François... et Henri Salvador ! Le show-biz l'avait vite rejeté : il avait trop d'idées sur l'avenir. Et entrait en concurrence directe avec les policiticiens, pas prêts pour deux sous à faire comme lui pour demeurer libres.
En fait, c'est la maison de disques qui poussera à le faire : pour éviter le ridicule du direct, elle confinera Antoine à une carrière de studio, ce que lui transformera adroitement en contrat de villégiature éternel, ne rentrant de ces îles préférées (c'est un vrai navigateur et un très bon marin sur son Om, une goélette en acier de 14 m, puis son sloop en aluminium épais Strongall (ici) à doite) et enfin son volumineux "cata" Banana Split", vu ici à Bora Bora) que pour enregistrer quelques chansons (dont une ode au départ qui en influencera quelques uns). Antoine, en deux ans à peine, a déjà fait le tour de ce show-biz qui broie tout le monde à la moulinette du pire-disant (aujourd'hui un site pour ados le présente comme le "clone français de Bob Dylan", comme quoi le distingo entre génie et faiseur n'est pas encore compris partout). Il se casse alors dans les îles du Pacifique, et laisse avant de partir une chanson testament "Ramenez-moi chez moi", dans laquelle cet éternel solitaire (par périodes) déguisé en fermier du dimanche, règlait des comptes. Sur la pochette du LP, qu'il conçoit, et qui est plutôt hideuse, il s'amuse à caricaturer Polnareff ! Intelligent, il a compris que les tentatives pour en faire un phénomène de foire musicale (on l'embarquera même dans une opérette !) ne mènent à rien d'autre qu'à la fortune de sa firme de disques. Adroit, il a négocié un contrat dans lequel il peut se permettre de devenir un rentier de la mer, et ne revenir que de temps en temps en studio alimentaire. Plus tard, il vivra de ses livres et de ses films : Antoine n'est en rien intéressé par le vedettariat : jeune routard, il s'était fixé d'en vivre un jour et continue à y réussir, avec femme et enfants (il en a trois). Ceci, avant qu'une firme d'optique lui propose un second jackpot qui lui va comme un gant : dedans, il n'a même pas à chanter ! (il fera une reprise-mise à jour plutôt réussie de son tube- Elucubrations 2003, où il propose un zoo complet à Hallyday à la place d'un cirque) !
Les "Problèmes", eux, en possèdent un en interne, de "problème" : c'est Luis Rego, portugais d'origine échappé à 17 ans de son pays alors sous la dictature pour ne pas faire son service militaire (c'était direction l'Angola, et on y mourait tous les jours). Il avait été arrêté pour désertion et emprisonné avant de réussir à s'enfuir : c'était bien un réfugié politique ! Résultat, sous couvert d'un disque à décoincer les zygomatiques, ils arrivent à faire prendre conscience au public de ce qui se passe sous Salazar (il sera destitué en 1968), grâce à un titre dont la mise en vidéo ratée montre combien chanter en playback était impossible pour le leader des Problèmes. Rinaldi, hélas, n'aura pas la même chance qu'Antoine, vite perdu pour le showbiz et déjà à bord de son premier bateau. Car ce dernier va aussitôt fondre sur l'équipe restante, la rebaptiser "Les Charlots" et lui faire chanter tout ce qui peut se vendre à l'époque où le hard-rock n'a pas encore réduit à l'état de miettes le petit quarteron de vrais rockers français. Dans le genre, la période "Charlots" sera assez dantesque. Graphiquement, ils parodieront tout : les Beatles, voire les Rolling Stones (la coupe de douilles de Rego !). En réalité, ils singeaient visiblement les Rutles, la copie version Monthy Python des Beatles (c'est Eric Idle derrière). Mais aussi les orchestres de "baluche" (ici en "live" avec un Rinaldi dans la verve d'un titi parisien, dans une chanson entendue dans toutes les entreprises !), avec leurs costumes voyants, les "Mods", rivaux des rockers, les films-culte (ici un remake de l'Equipée Sauvage de Brando, mais en mobylette) ceux que l'on disait alors "dans le vent" ; les fims de James Bond (raconté ici avec verve) ou plutôt d'OSS 117, façon Dujardin, ou l'arrivée des émirs lors du premier choc pétrolier, l'armée, les années 30 (rebelote ici) les Pierrafeu, leurs collègues du show-bizz (ils vendront presque autant leur version que l'originale) la campagne berrichone, à la musique empruntée à Raoul de Godewarsvelde (aidé par Eddy Mitchell), les films d'horreur, encore une moquerie (de Dutronc, avec les "Plays Bois"), l'institution des impôts, un grand classique en France, les scouts, les films de cape et d'épée, le football, et feront un "Live" à l'Olympia très "fab four" (à part qu'ils étaient cinq !). Chaque prise de vue de studio étant l'occasion de grands n'importe quoi et de grands fou-rires surtout. Le sommet de cette période étant... d'avoir fait, on se demande encore comment, la première partie des Rolling Stones à l'Olympia en juin 1966 !Leur filmographie est plus simple à résumer. C'est un gigantesque potager : dedans, il n'y a en effet que des navets. Pas un légume pour sauver l'autre.
Comment, dans un tel bordel de carrière, étaient-ils parvenus à faire un film avec Francis Blanche ? Le hasard, nous dit "Rico" : "Leur arrivée au cinéma se fait un peu par hasard. Le masseur de la femme d'un de leurs musiciens d'accompagnement connaît un producteur de cinéma, Michel Ardan, qui apprécie les performances des Charlots (ils font rire ses enfants !) et aimerait les avoir pour un film. Après s'être rencontrés, le courant passe et le projet « La Grande Java » se met en place. Très vite, sous l'impulsion de Christian Fechner qui flaire le bon filon, la participation des Charlots évolue : au départ limités à un numéro musical, il apparaît vite que leur personnalité en font les co-vedettes obligées aux côtés de Francis Blanche. Pour finaliser le projet se met en place un genre de dream team : le débutant Claude Zidi au scénario et rien moins que Philippe Clair à la réalisation. Ce dernier est d'ailleurs décrit par Jean Sarrus dans ses mémoires comme une sorte de bulldozer cinématographique totalement incontrôlable mais tellement chaleureux et sûr de son fait qu'on ne pouvait rien lui refuser. Le résultat est un Philippe Clair pur jus, film délirant et outrancier où tout le monde est en roue libre mais où finalement les Charlots sont parfaitement à leur place." Un navet, pour résumer.
Mais les films de Zidi cartonnent (les "Bidasses en folie" feront 7 millions d'entrées en France et 5 millions de spectateurs à l'étranger !), et, comme Salvador avec ses amusettes, on confinera donc Rinaldi dans des rôles de comique, et comme lui, en chansons ce sera pareil : on lui fera faire par exemple la Chanson du Quadrille, dans le dessin animé Lucky Luke (Zorro ou Minnie petite souris n'est pas loin), avec son accent "berrichon".... emprunté, ça s'entend fort, à l'ineffable Ricet Barrier. Il fera également le générique de la nouvelle version des Muppets (comprenez pourquoi je l'apprécie !). Dans les années 80, les polissonnades filmées commencent à user. Le public en a assez des films en forme de banquets de comices agricole : même De Funès ne fait plus autant recette. Le groupe musical, trop pris par sa carrière cinématographique ne tourne plus... résultat il faut se recycler, et de tous, c'est Rinaldi qui s'en sortira le mieux (avec Rego qui squattera la radio à faire pleurer de rire chaque jour avec son "Tribunal des flagrants délires" (ici le le28 septembre 1982, ou officiait aussi Desproges). Repéré par les producteurs de télévision, notre Gérard de "Merci Patron" se recycle dans la fiction télévisée, où son élégance naturelle (regardez-le se mouvoir, c'est un régal !) est gage de bonnes audiences. Adroit musicalement, il réalise aussi des génériques, tel celui d'une autre série télévisée française, Marie Pervenche.
Question cinéma, ça s'est effondré, car ils ont été victimes de leur... attaché de presse/factotum tourquennois, André Bézu, né en 1943 (celui de la scie musicale de patronage "À la queuleuleu" , sorti en 1987...), le grand copain de l'accordéoniste nordiste Michel Pruvot. Ils avaient en effet celui qui se fera plus tard appeler "Bézu" tout court et qui fera aussi dans le potache, ne sachant faire que cela dans la vie. L'homme deviendra leur mauvais génie : "le cas le plus incroyable c'est Bézu qui, d'après Sarrus, était défoncé et ivre mort du matin au soir. Les gens venus négocier des contrats le trouvaient nu et stone, effondré dans le living room. S'ils l'appréciaient humainement et s'ils sont restés amis même après l'avoir viré, il les a tout de même poussés à se fâcher avec Fechner et à planter des projets extrêmement intéressants (notamment un film avec Bertrand Blier et un autre avec Jean-Jacques Beineix) pour préférer la facilité de petits films comiques. En fait, Sarrus laisse entendre qu'il était devenu leur dealer attitré et que c'est surtout à ce titre qu'il s'était mis à régenter la vie des Charlots." Le show-biz, et sa tare habituelle, la drogue, d'une certaine manière, les aura aussi tués. Antoine leur avait pourtant bien dit de s'en méfier ! Quand leurs films repasseront sur TF1, ils ne toucheront rien : c'est en effet Fechner qui en avait les droits intégraux !
Doué d'un faciès fort expressif (son célèbre sourcil gauche !), plutôt élégant (après sa période "vétérinaire" avec cheveux en touffe droite sur la tête) sachant jouer tous les registres, il va se retrouver dans un grand nombre de feuilletons, où sa présence peu commune fait oublier qu'il a pu être un jour le chanteur des Charlots. Seuls ceux qui le connaissent reconnaissent d'emblée son beau timbre de voix. Devenu comédien, il fera une longue carrière, surtout à la télévision, assumant sans complexe tous les rôles, y compris celui d'assassin... ici devant Bernard Tapie, ex "Commissaire Valence" ! On le retrouvera dans le même rôle dans "Commissaire Bastille" (avec Smaïn), dans un autre rôle de salaud : il savait aussi visiblement jouer juste ! Mais comme il le dira récemment (chez Drucker) la chanson qu'il avait abandonnée définitivement en 1986, au dernier split du groupe, devenu trio, lui manquait énormément. Logique, c'était avant tout un très bon chanteur. Mais c'est avec un autre feuilleton qu'il se fera un nouveau nom (le sien !) : en 1987, Rinaldi il joue en effet le rôle principal de Marc et Sophie, couple de médecins qui prête à quiprroquos : l'une est médecin, l'autre est vétérinaire. Une série télévisée qui durera quatre ans, un beau record, avec 220 épisodes au compteur au final. Dans la lignée des prime-time amusants US. Mais c'est aussi sa voix qui va lui permettre de vivre : comédien possédait une fort jolie voix, qui était recherchée pour les doublages. Il fera ainsi notamment Warden Robert Muldoon, le garde chasse de Jurassik Park, ou le présentateur dans "Sauvé par le gong", etc. Dès 1990, il devient la voix de Dingo chez Disney, atterrit ensuire dans la série "New York Police Blues" (pour doubler Sipowicz), se retrouver derrière celle du commandant Sinclair dans "Babylon 5", ou encore plus récemment celle de Tobias Fornell (Joe Spano) dans "NCIS : Enquêtes spéciales". En 2008, il remplace Michel Modo, décédé, pour faire la voix de Crusty le clown chez les Simpson. Il faisait déjà Montgomery Burns, le patron aigri de la centrale nucléaire où bosse Bart (qui ne dit "Merci Patron !"). Au cinéma, on l'a croisé également dans "La Vie dissolue de Gérard Floque" de Georges Lautner, du téléfilm "Notable donc coupable" de Francis Girod sur l'affaire Alègre, de "Funny Boy" de Christian le Hémonet, et aux côtés de Patrick Timsit pour "Quelqu'un de bien". A chaque fois des seconds rôles : ceux qui, s'ils sont bien faits, font tenir debout une production. A tous ses collègues de scène, il laisse le souvenir d'un être extrêmement gentil et très attentionné.
Rinaldi savait en effet chanter, au contraire de beaucoup d'autres de sa génération : chantant ici une version très jazzy du "Piano de la plage", il charmait encore à près de 70 balais. Intelligemment conduite, sa carrière aurait très bien pu en faire un Dean Martin à la française. Pourquoi ne lui a-t-on pas offert la chance de faire carrière dans le genre ? Trenet lui allait à la perfection, et le jazz aussi. Un seul autre jusqu'ici avait montré d'aussi bonnes dispositions : un autre fan de jazz, Guy Marchand, auteur d'un des meilleurs blues français jamais enregistré ("Taxi de nuit"). Pourquoi l'a-t-on aussi longtemps confiné dans un registre qui n'était pas le sien ? Pour quoi donc ce show-biz français l'a-t-il broyé, comme il a broyé un Salvador, qui avait hérité lui d'une reconnaissance unanime... à 90 balais seulement (un peu avant à vrai dire). En comparaison avec Salvador, on s'aperçoit avec regret depuis ce matin que ce très attachant chanteur aura manqué d'une dizaine d'années le rendez-vous avec la reconnaissance d'interprète de chanson à texte ou de jazz qui l'attendait. A 68 ans, Gérard Rinaldi, finalement vaincu par un lymphome, part bien trop tôt. Une période disparaît avec lui : juste avant son décès, on apprenait celui du leader des Monkees, qui avaient fait comme lui les hit-parade, notamment en 1966. L'une des "idoles proprettes des jeunes américains dans les années 1966-1968" note à son propos, avec beaucoup de justesse, Paris-Match qui a immortalisé toute la période. Demain, hélas, les journaux vont titrer à propos de celui qui aurait pu avoir une belle carrière de crooner "mort d'un Charlot". Il était beaucoup plus que ça, pourtant, ce Gérard-là...
(*) une terrible histoire : il aura passé toute son enfance a être repoussé par sa mère et maltraité. Il n'apprendra qu'en 1981 pourquoi : né en 1945, en Normandie, c'est un "fils de boche" comme on on a dit longtemps, ces enfants nés de soldats allemands. Toute sa vie est un immense désert affectif. Dans son livre, Gérard Lenorman nous livre son mal-être : "Les secrets de famille – on le sait – sont des fardeaux dont on ne guérit jamais. Né en 1945 dans un village de Normandie, Gérard Lenorman est un « fils de boche », comme on disait après-guerre. Il l’ignore. Comment le saurait-il puisque sa mère lui ment ? Pire, elle méprise cet enfant de la honte qui lui rappelle à chaque minute la faute commise. « J’étais programmé pour ne pas exister », confie-t-il. D’instinct, il se fait discret, rase les murs car il sent qu’il est de trop. Seule la musique – toutes les musiques – diffusée à la radio comble un désert affectif qui a bien failli avoir sa peau. L’année de ses dix ans, son cœur se met à battre et son imagination fertile s’envole : sa mère se marie et il va enfin goûter aux joies de la famille… Elle m’interdira d’appeler ce brave homme papa."
(**) En 2006, il enregistrera "Hommage à Francis Lopez", qui se retrouvera disque d'or !
(***) source documentaire : "Idoles Story François Jouffa (1978).
et le site "nanarland"
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