Décryptage de la novlangue néolibérale n°5
Plusieurs principes forment la Novlangue :
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Celui de faire dire le contraire à un mot : « la guerre c’est la paix » est un slogan en Océania (pays du roman 1984 d’Orwell).
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Celui de simplifier la langue en éliminant des mots pour limiter la capacité de nommer et de penser.
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Celui de nommer les choses gênantes par un néologisme qui atténue le fait litigieux et qui fait disparaître son correspondant sans équivoque. Les anglicismes ou le globish participent pleinement de cette stratégie.
En néolibéralisme, le travail est fondamental puisque c’est la situation dans laquelle l’individu répond le mieux aux besoins du marché : il produit selon ce qu’on lui demande ; et il a le pouvoir d’achat qui lui permet de le dilapider dans les faux besoins que lui créent les marchés. La boucle est bouclée. L’idéal serait que les individus travaillent jusqu’à leur mort, c’est-à-dire, travailler tant qu’ils sont en bonne santé et qu’ils restent le moins possible comme un fardeau pour la société néolibérale, c’est-à-dire, à la retraite. Un retraité n’est utile que pour élire des représentants au service des investisseurs.
Blurring ou brouillage professionnel : celui-ci consiste à effacer, brouiller la frontière entre le domaine privé et le domaine professionnel. Un coup d’œil sur les mails professionnels au petit dèj’, et un SMS du patron à 21 heures, c’est pro. Un coup de fil à ses enfants dans la journée, c’est moins cool, ne vous y avisez pas ! Exigez le droit à la déconnexion à travers une charte de télétravail.
Brown Out ou baisse de tension : affection physique, mal-être du travailleur, souvent placardisé, en perte de repère quant à son engagement, ses missions, ses tâches, et qui finit par sombrer dans la dépression. En 2013, l’anthropologue américain David Graeber dénonçait ce phénomène dans une tribune intitulée « Du phénomène des jobs à la con ». Il évoquait le taux de 20 % à 50 %, voire jusqu’à 60 %, de « jobs à la con » tandis qu’une équipe de chercheurs anglais n’en détectaient que 4,8 % ! Par qui étaient-ils payés ces chercheurs anglais ? Le gros problème avec le brown-out, c’est qu’il n’affecte pas que la carrière, mais aussi la vie personnelle. L’ennui au travail contamine la vie privée qui devient à son tour ennuyeuse. Dès que ce lien est fait, il faut réagir et se mettre en quête d’un vrai travail ou d’une formation pour cesser les jobs à la con. Pour cela, un conseil : partez de ce que vous aimez faire et non de votre diplôme.
Bore Out ou l’ennui professionnel : autre trouble psychologiques qui touche de plus en plus de salariés. Cet ennui profond se caractérise par un mal-être provoqué par le manque d’épanouissement professionnel lié à l’absence de travail. Les signes de cet ennui professionnel lien :
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La démotivation ;
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L’anxiété ;
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La tristesse.
Après avoir détecté les causes de cet ennui, le mieux est de partir. Même conseil que pour le brown out.
Burn Out ou se consumer : L’Organisation mondiale de la santé définit l’épuisement professionnel comme « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». C’est donc tout le contraire du bore out puisqu’il s’agit là d’une surcharge de travail et d’une incapacité à penser à autre chose que le travail.
Les symptômes :
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Dépasser les 70 heures de travail régulièrement ;
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Plus de vie de famille ;
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Malade à répétition et sentiment d’épuisement permanent ;
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Impression d’être dans une spirale sans fin
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Le dernier signe est de ne plus pouvoir supporter la pression. Vous êtes en danger et l’arrêt de travail inévitable n’est pas une partie de plaisir.
Comment s’en sortir ? Le mieux est de réagir dès qu’un symptôme apparaît. Aller voir son hiérarchique a peu d’utilité, car un burn out ne survient qu’à cause d’un management défaillant et souvent intentionnel.
Coworking ou cotravail : présenté comme une organisation du travail consistant à partager un espace de travail pour pratiquer l'échange et l'ouverture et conjurer l’isolement, il est surtout le fait de réduire les coûts immobiliers de bureau. Concrètement, cela se traduit par une location d'espaces partagés entre travailleurs de différences entreprises qui travaillent chacun de leur côté et qui, éventuellement, se retrouvent autour de la machine à café mais pas trop longtemps à cause du blurring ou du burn out.
Digital Mentoring ou mentorat numérique : Les mentors n'ont pas besoin d'attendre pour échanger des informations en personne. Ils peuvent, à la place, communiquer par e-mail ou messagerie vocale, intranet ou Internet. Ils peuvent également utiliser le téléphone portable pour les appels d'urgence afin de fournir des conseils. Derrière cette présentation innovante, se cache un cabinet conseil qui pense que la communication électronique peut être aussi efficace que la communication en face à face. Il coache ainsi à partir de son terrain de golf, un type rétif au numérique. Le digital mentoring peut être une fausse solution à un bore out en formation.
Ghosting, de l’anglais ghost, fantôme : à l’heure où le face-à-face ne vaut pas mieux qu’une bonne réunion en visio, et où les relations interpersonnelles se coupent de certains sens qui complètent une véritable rencontre (tactile, olfactive), il devient plus simple de mettre un terme à un contact en le coupant purement et simplement. Chômeurs, considérez que vous envoyez la plupart de vos courriers à des fantômes. Ça n’est pas un problème de Poste ou de facteur ni même de serveur.
Hackathon, marathon de programmation ou programmathon : il s’agit d’une réunion de développeurs durant laquelle, pendant une période de temps donnée, ils travaillent sur des projets de programmation informatique de manière collaborative. De ce travail on attend la révolution. En général, il n’en sort rien d’autre que du stress pour sortir un prototype qui en restera là.
Intrapreneurship ou intrapreneuriat ou autoentrepreneur en entreprise : l’entrepreneuriat est le statut idéal du travailleur en néolibéralisme. Il est corvéable à merci, n’est pas protégé et est isolé. En entreprise c’est autre chose puisqu’il est salarié et non isolé. Du moins, a priori. L’intrapreneur est, en fait, un type qui a des idées mais qui ne se résout pas à se mettre à son compte pour les exploiter. Le chef d’entreprise, pas fou, exploite ses idées en le faisant mousser, le valorisant en lui donnant un statut particulier pour en tirer ainsi les idées qui permettraient à son employé de se faire beaucoup de fric s’il était à son compte mais dont il va profiter à peu de frais. L’intrapreneur est le parfait larbin tant qu’on lui fait croire qu’il est génial.
Lean management ou gestion allégée : système d'organisation du travail qui vise à améliorer la qualité et à rentabiliser la production d'une entreprise en évitant au maximum le gaspillage de ses ressources. Il s’agit donc d’éliminer les activités dites de gaspillages.
Il existe 8 sortes de gaspillage lien :
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Le défaut
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Le rework
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Le transport
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L’étape inutile
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Le geste inutile
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Le stock
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La surproduction
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La compétence sous-exploitée
Tout est donc centré sur la production et non sur la personne. Il n’y est question que des ressources de la société, de l'efficacité opérationnelle, de la rentabilité de l'entreprise, de la qualité des produits et d'amélioration continue. Bien entendu, le l’accomplissement de soi ne concerne que ceux qui managent cet allègement. Pour les autres, on les retrouve un jour ou l’autre en burn out, la fameuse maladie du néolibéralisme, dite moderne.
Onboarding ou embarquement : en fait, il s’agit de l’intégration des nouveaux salariés. Alors pourquoi ne pas parler d’intégration ? Parce qu’il s’agit de réduire le turn-over et d’optimiser les recrutements afin de ne pas les multiplier. L’intégration est codifiée : livret d’accueil, poste de travail préparé, visite des locaux, visite de sécurité et présentation aux collègues. Avec l’onboarding, selon le grade du salarié, on ajoutera un entretien approfondi avec le manager afin qu’il soit briefé sur ses missions, voire un moment d’échange informel et bienveillant avec le patron. Enfin, on peut aussi lui adjoindre un mentor durant la période d’essai.
Open innovation ou innovation ouverte : il s’agit, pour une entreprise, d’envisager l’innovation et la R&D, en intégrant des collaborations extérieures au service voire avec d’autres entreprises ou partenaires. L’objectif de l’open innovation est de faire du business à plusieurs. À l’intérieur de cette superbe idée, se cache la perversité de la collaboration qui n’est pas la coopération, la première étant avant tout une posture dissimulant l’esprit concurrentiel et les coups bas au contraire de la seconde.
Out Placement ou placement extérieur : ce dispositif est de deux sortes :
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L'outplacement individuel qui concerne plus particulièrement les cadres (dirigeants et cadres supérieurs) ayant fait l'objet d'un départ négocié avec leur dernier employeur.
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L'outplacement collectif qui est un dispositif utilisé suite à un licenciement collectif. Il concerne l'ensemble du personnel de la société rentrant dans le cadre du licenciement et quelle que soit leur catégorie professionnelle. Lien
Autant le premier cas est négocié de manière à pouvoir retrouver du travail dans les meilleures conditions. Autant le second est là, bien souvent, pour masquer, par une pseudo-bienveillance, un plan social décidé par les actionnaires qui considèrent les travailleurs comme du capital humain qu’il faut rentabiliser. Et tant pis pour les incidences humaines.
Nudging ou coup de pouce ou manipulation spécifique en néolibéralisme qui part du principe que l’individu n’est pas capable de prendre les bonnes décisions pour répondre aux besoins du marché ou, en entreprise, pour comprendre ce qu’on attend d’eux. En termes positifs, le nudging est présenté comme une « incitation en douceur des collaborateurs à changer leur comportement de manière positive dans leur propre intérêt, mais aussi celui du collectif » Lien ou « inciter subtilement quelqu'un à changer de comportement, sans limiter son choix et sans imposer d'obligations » Lien Tout est donc dans la suggestion : marches musicales pour éviter de prendre l’ascenseur ; mouche au fond de l’urinoir afin d’éviter les éclaboussures ; fumer tue sur les paquets de cigarettes…
Mise en œuvre de l'incitation comportementale :
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Suggérer un choix attrayant.
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Insister subtilement sur les points d'action.
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Rendre visible l’objet à choisir (le nudge)
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Utiliser des messages positifs.
Le nudging est une technique empruntée à l'économie comportementale bien pratique lorsqu’il s’agit d’apprendre les gestes qui minimisent les risques. En dehors de cela, le nudging reste de la manipulation.
Quiet Quitting ou abandon silencieux : phénomène de mode lancé par Tik-tok qui consiste à valoriser le fait d'en faire le minimum au travail, c’est-à-dire, de ne pas en faire plus que ce qui est demandé dans le contrat… mais de ne pas en faire moins. Devant les copains, on se targue de ne pas se fouler. Au travail, on respecte stricto sensu le contrat. Peut-être même un peu plus si le manager s’y prend bien.
Quiet Firing ou tir silencieux ou harcèlement démissionnaire : tactique (sournoise) que mettent en place certains managers pour pousser leurs collaborateurs vers la sortie. Elle consiste à démotiver un employé jusqu’à ce qu’il n’ait pas d’autre choix que de poser sa démission, par ennui ou par frustration. Lien
Exemples de harcèlement silencieux :
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Refuser une augmentation ou une promotion pendant plusieurs années de suite.
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Restreindre le travail à des tâches monotones.
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Retirer des responsabilités.
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Refuser toute demande raisonnable de congés.
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S’attribuer les mérites du salarié visé.
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Mettre en difficulté le salarié par rapport à ses valeurs.
Pour s’en défendre :
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Recadrer son manager avec des mots simples et sans tournure procédurière afin de faire part de son ressenti du moment.
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Dans l’éventualité de saisir les prud'hommes, prendre des notes avec des dates et des informations précises sur la manière dont les événements se sont produits et les personnes présentes.
Shadow comex ou ombre du comité exécutif : comité « inspirationnel » qui n'a pas de pouvoir de décisions mais qui doit inspirer le comité exécutif. Il peut intégrer des clients. Le mieux est d’y placer des millénials pour intégrer les tendances le plus tôt possible, comprendre les mutations à venir et faire émerger des projets innovants lien. En effet, en néolibéralisme, l’innovation est fondamentale : elle permet de créer de nouveaux besoins dont personne ne se souciaient avant leur création afin d’alimenter les marchés et faire tourner la monnaie. Peu importe les conséquences écologiques ou sociétales de cette innovation du moment qu’elle soit rentable. C’est tout ce qu’on leur demande à l’innovation et à ces shadows comex.
Slasher ou agresseur armé d'un couteau : pourquoi avoir choisi un terme aussi tranchant que celui-ci alors qu’il veut parler d’un phénomène à la mode qui consiste à exercer deux métiers simultanément ? Pour faire bien, on appelle ces travailleurs des multi potentiels plus communément qualifiés de touche-à-tout. Le Larousse 2020, le définit ainsi : « Personne, généralement issue de la génération Y, qui exerce plusieurs emplois et/ou activités à la fois », alors qu’à la Renaissance on parlait déjà du « polymathe », Léonard de Vinci en étant l’un des plus célèbres. Mais en art, on est souvent polymathe. Selon un sondage, la majorité des répondants affirme l’être par choix et non par impératif économique. C’est donc une bonne nouvelle. De mauvaises langues disent que le slasher ne s’épanouit dans aucun de ses métiers. Moins bonne nouvelle. Mais en néolibéralisme, c’est très courant parce que très souvent, le slasher est celui qui court de job en job sous payés. C’est celui de la catégorie B des chômeurs, ceux qu’on ne comptabilise plus en tant que chômeur pour faire plaisir aux statistiques gouvernementales. En fait d’agresseur, le slasher au travail est bien plutôt celui qui reçoit des coups de couteau dans le dos.
Slow management ou gestion lente : « dans un monde où tout va désormais à 100 à l’heure, où l’on prône le « toujours plus » et « toujours plus vite », les tendances « slow » se multiplient. « Slow food », « slow cosmétique », « slow life »… on ne compte plus les courants alternatifs qui proposent de lever le pied » lien. En néolibéralisme, un terme aussi positif est automatiquement repris même si c’est pour le vider de sa substance. En face de cette maladie moderne du néolibéralisme qu’est le burn out, on a donc imaginé le slow management. Autrement dit, si un travailleur fait un burn out alors qu’il bénéficie du slow management, cela relèvera donc de sa responsabilité, donc de sa vie privée. Même s’il a choisi la slow life. L’idée du slow management est de redonner du sens au travail qu’il nous est donné d’accomplir.
La gestion lente doit permettre :
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d’améliorer les conditions de travail pour l’ensemble des salariés ;
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de renforcer la cohésion d’équipe ;
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de réduire, voire d’éliminer les facteurs de stress ;
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de développer des relations de qualité entre salariés.
En fait, rien de nouveau. On a du mal à imaginer un management classique oublier l’une de ces règles / objectifs. Mais slow management, ça fait mieux. Lorsqu’il est appliqué, cela se traduit par marcher dans les couloirs, prendre l’escalier, arriver plus tôt, participer à des ateliers, aller déjeuner à la cafétéria, faire une pause à la machine à café, ne pas courir dans les couloirs, etc. Naturellement, on parle moins de la contrepartie qui est d’augmenter la productivité. Dès lors qu’elle stagne un peu, fini les pauses-café à la cool !
Team Building ou constitution d'équipe : en vogue depuis les années 80, est un moment de partage, de soutien, mais aussi de compréhension de l’autre qui se traduit en exercice ludique, souvent déconnecté du travail, mettant en avant le travail collaboratif. Il permet à l’entreprise et à ses salariés de se créer une vraie valeur d’entreprise qui peut perdurer de manière régulière une fois tous les ans. Bien entendu, outre les facteurs humains, cela permet à l’entreprise de favoriser la productivité de ses salariés tout en les motivant. Lien. La sincérité de tels moments se jauge aux amitiés qui peuvent se forger entre salariés et employeurs.
Work shop ou magasin du travail ou atelier collaboratif ou super team building : recentré sur un thème de l’entreprise, il peut amalgamer des personnes extérieures à celle-ci faire l’objet de plusieurs ateliers afin de les rendre plus ludiques. L’objectif est de construire une réflexion, trouver une idée, partager un savoir particulier, etc. Lien Organisé par l’employeur, cela tourne souvent à de longues réunions souvent interminables et soporifiques.
Vous l’avez compris, pour reprendre la ma^trise de votre vie, éviter d’utiliser les anglicismes car les termes de chez nous mettent souvent à jour une réalité négative.
Cet article m’a été inspiré par ce dossier du Cadre Averti : Novlangue RH : 23 expressions à connaître au travail en 2023
Cet article fait partie d'une série en cours sur la novlangue néolibérale. Vous pouvez retrouver les articles précédents en cliquant sur les liens suivants :
Vous pouvez retrouver mes histoires animales en cliquant sur les liens suivants :
Les idées à la con des milliardaires
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