Dégagez, Moubarak, Ben Ali et les autres, les peuples n’ont plus confiance !
Les historiens choisiront sans doute cet impératif, « dégage ! », pour tracer le portait d’une décennie 2010 qui a commencé par deux processus historiques caractéristiques en Tunisie et en Egypte. La colère du peuple n’est exprimée dans la rue. Les Tunisiens étaient exaspérés d’avoir été spoliés des richesses par une oligarchie qui faisait régner la terreur et le silence. La peur une fois envolée, le régime a sauté, enfin, disons que quelques têtes s’en sont allées vers d’autres cieux sans qu’on puisse vraiment être certain d’une transition vers plus de démocratie et surtout, vers une gouvernance plus équitable pour les populations. Un clan, celui de Ben Ali, a cristallisé les haines. En Egypte, tout autre était la situation, avec un président Moubarak dont le bilan n’est pas forcément mauvais si on jauge son action depuis son arrivée au pouvoir. Hélas, les puissants s’accrochent au pouvoir et y restent. C’est le cas notamment dans les pays arabes, au Maghreb, au Proche-Orient, mais aussi en Afrique noire. La Côte d’Ivoire ne démentira pas ce constat. Les démocraties étant absentes de ces pays, ou alors mal ficelées, les chefs et les clans peuvent se maintenir alors que dans les pays où les urnes s’expriment après des débats politiques, les chefs d’Etat usés par le pouvoir sont débarqués au profit d’une équipe nouvelle qui, les peuples en sont persuadés, assure la transition et mène une politique toute autre.
Le phénomène insurrectionnel en Egypte a surpris les observateurs. L’anticipation et la prudence des pays occidentaux ne s’expliquent que par le précédent de la Tunisie. Personne ne pouvait imaginer que Moubarak puisse en 2011 être poussé vers la sortie par une révolte populaire associant plusieurs couches de la société. Une haine soudaine s’est emparée du peuple, une haine qu’on ne peut pas juger d’un œil positif, malgré le côté sympathique et révolutionnaire qu’un occidental peut apprécier. Cette haine revêt un élément irrationnel mais profondément humain. René Girard y verrait sans doute une illustration de sa thèse du bouc émissaire, constatant l’unité du mouvement, la solidarité des populations, la parole libérée et surtout, quelques rapprochements inattendus entre gens de confessions chrétienne et musulman qui, dans certains quartier, se parlent à l’occasion de cette gigantesque fronde menée contre un homme. Quant à Peter Sloterdijk, il y verrait le débit soudain d’une banque de la colère qui, créditée d’année en année, se devait de libérer cette tension accumulée avec ses frustrations et ses sourdes détestations du régime. Les peuples n’en peuvent plus. Ils ont épuisé leur capacité de résilience. Et la crise galopante des denrées de base ne fait qu’aggraver une situation marquée par la haine des populations envers les régimes qui ne satisfont pas à leurs yeux aux nécessités aussi basiques que l’accès au manger, à un toit et pour la jeunesse, à un travail sans lequel leur vie reste morne, désœuvrée et sans perspectivisme autre que d’aller zoner au café du coin ou taper un ballon dans la rocaille. L’homme vit non seulement de pain mais aussi d’espérance.
Dégage Ben Ali, dégage Moubarak ! Voilà ce qu’on a pu lire sur les pancartes dans les manifestations de rue. Curieusement, des mots d’ordre de même facture ont parsemé les récentes manifestations contre la réforme des retraites. On a pu voir les « casse-toi pov’con » fleurir en illustration d’un portait de notre président. Bien évidemment, nulle révolution en France mais simplement une comédie de la rue dont le sentiment est exposé avec des slogans griffonnés signifiant que le peuple n’aime pas le régime actuel et que son désir le plus immédiat est de pousser Sarkozy vers la sortie. Un désir qu’il sait pertinemment être déraisonnable et même tyrannique. Les urnes ayant parlé et, sous couvert de la Constitution, le président a encore beaucoup de mois pour gouverner. Les urnes règleront l’affaire en 2012. Dégage ! Comment ne pas faire le rapprochement avec ce livre écrit par un Jean-Luc Mélenchon adressant ce message aux gouvernants : « qu’ils s’en aillent tous ! » Si le livre était paru après les événements de Tunisie, il aurait été intitulé : « dégagez, vous tous ! » En Europe aussi, une sourde haine monte au sein de populations fatiguées et incommodées par les régimes actuels qui peinent à masquer leur impuissance tout en donnant le sentiment d’être coupé des réalités sociales. En Irlande, en France, en Italie, en Belgique et sans doute dans d’autres pays, les populations montrent des signes d’agacement, de colère mais pas autant que dans les pays arabes. Le point commun étant sans doute la perte de confiance généralisée envers les dirigeants et l’avenir. Certes, ce sentiment est loin d’être partagé car nombreux disposent d’une situation sécurisée, mais le peuple inquiet et défiant ne cesse de s’accroître. En transposant l’image de Sloterdijk on pourrait dire que si la banque de la colère est créditée, la banque de la confiance est débitée de mois en mois.
Il y a tout lieu de s’inquiéter de cette perte de confiance qui mine les sociétés, y compris aux Etats-Unis où la défiance et la haine envers le président Obama atteint des sommets. En France et ailleurs en Europe, la confiance se délite et ce n’est pas très bon pour l’avenir car la confiance est un liant puissant autant qu’un rouage essentiel permettant à une société de fonctionner sans friction et avec détermination. La confiance, c’est le produit de la vertu nous dirait Montesquieu qui verrait dans cette tendance à la défiance la cause d’un lent délitement de la république. Les observateurs en sont certains, les Français sont inquiets et pessimistes et cette inquiétude n’est pas seulement causée par la crise. Elle vient d’une perte de confiance dans la société. L’autre tend à devenir un individu indifférent, les services essentiels donnent le sentiment qu’on ne peut plus compter sur eux, pour éduquer ses enfants, se soigner, finir sa vie, être en sécurité financière ou physique. Quant aux politiques, ils ont péché par bien des légèretés et les récentes affaires, qu’il s’agisse de fric et d’indulgences fiscales avec Woerth, ou des voyages de ministre, en jet officiel ou privé comme pour MAM, ne facilitent pas l’instauration d’une marque de confiance. Il devient urgent de restaurer cette confiance sinon le pays risque de sombrer dans un marasme dont on n’ose pas imaginer les contours. Au vu de la situation budgétaire de la France, de la montée des corporatismes et défenses d’intérêts privés, de la conjoncture économique, on ne voit pas comment notre pays pourra traverser la décennie sans qu’une révolte ne se dessine. La comédie médiatique n’y fera rien, y compris en se donnant quelque vertu en suivant de près le procès Chirac comme si ce vieil homme devait servir d’exutoire au marasme contemporain.
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