Déjeuner secret à l’Elysée : rien de neuf au soleil !
Quoi ? Qu’apprend-on, suite à une indiscrétion du média Politico reprise par la journaliste Eve Roger sur la chaîne France 5 ? A vingt quatre heures de la journée de mobilisation contre la réforme des retraites, l’Élysée aurait organisé en secret un déjeuner entre le chef de l’État et dix éditorialistes des plus influents de la petite presse parisienne. Avec, au menu des réjouissances, une mise en bouche des principaux éléments de langage, étonnamment repris mot à mot par nos perroquets plumitifs de retour dans leurs cages respectives.
« Deux jours avant la journée d'action, la communication de l’Élysée organise une petite rencontre dont elle a le secret, c'est-à-dire un déjeuner avec le président et dix éditorialistes de la presse parisienne, convoqués à peine 24 heures avant. Dans sa newsletter, Politico a souligné que France Inter ou BFM TV avaient glissé un mot sur la lutte du chef de l'Etat contre « l'irresponsabilité », quand Le Figaro avait pris soin de rappeler que la réforme concernait « aussi ceux qui sont exclus » du marché du travail. « Une rencontre en toute discrétion », affirme encore Eve Roger, où auraient été présents les éditorialistes phares de BFM TV, du Monde, de France Télévision, de France Inter, du Figaro, des Échos ou encore de RTL. « L'objectif de l’Élysée, c'est qu'Emmanuel Macron distille la bonne parole, donne lui-même les éléments de langage aux dix journalistes les plus influents de la presse parisienne, afin que la parole présidentielle infuse dans l'opinion et pourquoi pas l'influence », poursuit-elle. « Mais il y a une condition de taille à ce déjeuner : les journalistes ne doivent pas dire qu'ils ont vu Emmanuel Macron, et donc ne peuvent pas le citer », explique la journaliste, provoquant les rires de ses confrères.
On croit rêver, et on se pince sur certaines de nos antennes, où certains de leurs confrères, trop heureux de nous dévoiler les mystères de cette table ronde, semblent avoir découvert la pierre philosophale. Quoi, il y aurait des liens de connivence entre pouvoir exécutif et pouvoir médiatique, feignent-ils de s’indigner, eux qui émargent en toute indépendance à des médias tenus à bout de bras par des milliards d’argent public ? Et de se distraire sourires au lèvres que le secret de ce déjeuner mystère qui n’étonnera qu’eux mêmes ait été si tôt éventé, jetant ainsi l’opprobre sur ces éditorialistes stars qui dans leurs rédactions les écrasent de leur morgue, leur donnant ainsi l’occasion de se parer de plumes vertueuses le temps d’une brève chronique. La condition de participation au déjeuner en question ayant été conditionnée à la promesse de n’en rien dire, voilà nos dix paons couverts de ridicule, et contraints de se faire aussi discrets que possible. Ce qui, quand on les fréquente de près, ne fait guère partie de leurs habitudes.
Il va de soi que pareille indiscrétion ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà depuis des lustres, nous autres qui avons fait fin 2021 de l’adaptation cinématographique des Illusions perdues de Balzac un triomphe. Jouant comme un virtuose sur les ambitions des flagorneurs de métier, notre doux suzerain n’a guère qu’à les convoquer à sa table comme on siffle un chien pour leur distiller entre la poire et le fromage quelques arguments chocs. Et compter sur leur tacite servilité pour qu’à leur tour ils se les mettent en bouche et les diffusent dans leurs gazettes sans nommément le citer. Ce que firent nos dix passe-plats, tous sans exception.
L’on ne pourra blâmer notre aimable roitelet d’user de pareils subterfuges pour en même temps jurer ses grands dieux s’être retranché muet en son château et simultanément soliloquer par ventriloques interposés. Il ne fait, ma foi, que ruser avec les moyens dont il dispose de part la fonction qu’il occupe, et sait bien qu’il n’est point nécessaire d’user de persuasion avec de serviles courtisans faisant la queue dans son antichambre. Issus du même monde, fréquentant les mêmes sphères, s’étant connus dans les mêmes cénacles, partageant d’excellents mets aux mêmes tables : il n’est point utile, avec ces gens-là, d’avoir quelque menu service à demander, les choses vont de soi et se font d’elles mêmes, entre gens bien élevés. Je les fais convier au restaurant du Palais, et les petits marquis me servent la soupe dès potron-minet sans avoir à forcer leur nature au mot près. Rien n’a changé en deux cent ans d’histoire, sinon les noms des protagonistes. La comédie humaine de Balzac, adaptée aux temps modernes.
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