Délinquance : pour un constat indiscutable
Chaque année, le ministre de l’Intérieur fait dans les médias un rapport d’activité illustré par quelques chiffres tirés des statistiques de la police et de la gendarmerie. Un exercice d’autosatisfaction que contredisent très largement le sentiment d’insécurité de nos concitoyens et les analyses des experts indépendants...

Que fait une entreprise de service lorsqu’elle veut masquer des résultats médiocres à sa clientèle ? Elle met en place des contre-feux sous la forme de leurres destinés à enfumer sa clientèle via une communication manipulatrice. Cela va du simple slogan du type « Notre volonté : mettre le client au centre de notre action » à l’ambitieuse « démarche qualité » en passant bien évidemment par l’incontournable « charte qualité » qui, comme toutes les chartes, ne sert strictement à rien, mais est censée faire un excellent effet sur la clientèle dans les agences et autres locaux accessibles au public où elle est affichée en bonne place.
Plus ou moins ambitieuse, la « démarche qualité » peut s’appuyer sur le recours à la certification ISO – un processus long, contraignant et coûteux –, et la plupart des entreprises qui ont une réelle volonté de progresser dans la satisfaction de leur clientèle s’engagent, malgré les embûches, dans cette voie. Les autres, celles qui ne veulent en aucun cas se remettre en cause mais faire prendre à leurs clients les vessies pour des lanternes se contentent de définir un processus maison basé sur un certain nombre d’indicateurs savamment travaillés en trompe l’œil et destinés à être médiatisés pour démontrer à tous l’excellence de leur action.
En matière de sécurité, on est exactement dans ce type de leurre avec les déclarations volontaires du politique, les chartes placardées ici et là dans certains locaux de police, les statistiques de la délinquance et les indicateurs d’activité du système judiciaire : tout concourt à diminuer le nombre et la gravité des faits, au besoin en mélangeant ici et là les choux et les navets ou en ramenant telle atteinte aux biens ou aux personnes de la plainte qui devra être transmise au parquet à la simple inscription sur la main-courante qui échappe à toute transmission aux services du procureur et n’entre dans aucune statistique.
Il y a cependant un os pour les experts de la gomme et du crayon du ministère de l’Intérieur : impossible de faire disparaître les atteintes graves aux personnes que, la mort dans l’âme, les OPJ (officiers de police judiciaire) ont bien dû enregistrer sous la forme de plaintes en bonne et due forme. Or, pas de chance, ce nombre de faits délictueux, le plus souvent graves, ne cesse d’augmenter. Qu’à cela ne tienne, le moment venu, on globalise les actes de délinquance en amalgamant les vols de portables avec les coups et blessures (les choux et les navets !) et s’il n’y avait pas, ici et là, quelques journalistes tatillons pour mettre en lumière le détail peu reluisant des statistiques, le bon peuple n’y verrait que du feu. L’Observatoire national de la délinquance, dont le Conseil d’orientation est piloté par le criminologue Alain Bauer ne dit pas autre chose en pointant du doigt les chiffres qui fâchent, mais sans bénéficier d’un relais médiatique suffisant.
Que manque-t-il, au-delà de la volonté de transparence des pouvoirs publics, pour que le public dispose chaque année, en complément des statistiques détaillées de la délinquance et de la criminalité, d’une photographie instantanée de l’insécurité ? En réalité, peu de chose : un indicateur simple, fiable et pérennisé qui fasse ressortir clairement la tendance par rapport aux exercices précédents en prenant en compte la gravité des faits. Un indicateur qualitatif indiscutable.
Facile à réaliser, cet indicateur annuel pourrait prendre la forme d’un simple taux calculé en deux étapes :
1° addition de tous les crimes et délits après affectation d’un coefficient de gravité ;
2° pourcentage du total de l’année n par rapport à celui de l’année n-1.
Exemple (très) simplifié de nomenclature d’affectation des coefficients :
Coef / Nature du délit
10 : meurtre, viol sur mineur de – 15 ans
8 : viol, attaque à main armée, coups et blessures ayant entraîné une invalidité
……
2 : vol sans violence ni effraction, grivèlerie, exhibitionnisme
1 : injures sans caractère raciste, rébellion sans violence
Illustration de ce processus très simple :
Année 2010 : 1000000 de crimes et délits, soit un nombre total de 3000000 après affectation des coefficients.
Hypothèse 1 :
Année 2011 : 1000000 de crimes et délits, soit un nombre total de 3150000 après affectation des coefficients.
Hypothèse 2 :
Année 2011 : 1000000 de crimes et délits, soit un nombre total de 2850000 après affectation des coefficients.
Calcul du taux d’évolution de la délinquance :
Hypothèse 1 : 3150000 / 3000000 = 1.05, soit un taux d’augmentation de 5% de la gravité des crimes et délits.
Hypothèse 2 : 2850000 / 3000000 = 0.95, soit un taux de diminution de 5% de la gravité des crimes et délits.
Comme chacun peut le constater, on disposerait là d’un indicateur qualitatif clair, pertinent et instantanément compréhensible par tous.
L’intérêt de la création d’un tel indicateur est évident : il deviendrait impossible, dans la donnée statistique générale présentée par le ministre de l’Intérieur, de noyer les faits graves en les amalgamant avec des délits mineurs. Impossible du même coup de dégager une fausse tendance. Actuellement, un meurtre = un vol de bicyclette, un viol = un chèque sans provision. C’en serait définitivement terminé de cette présentation manipulatrice des statistiques qui ne vise qu’à enfumer nos concitoyens et à leur masquer la réalité de l’insécurité qui règne en France.
Sans doute l’illusion est-elle grande de croire qu’un tel outil de transparence puisse voir le jour, et le très opaque pouvoir sarkozyste se prête encore moins qu’un autre à une telle innovation. Mais il n’est pas interdit de rêver, non ?
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