Demain, clivage droite-gauche ou lutte de générations ?
Une lutte de générations s’esquisse aujourd’hui en France, autrement plus préoccupante que l’hypermédiatique clivage droite-gauche et son cortège de plus en plus nauséabond de querelles partisanes stériles. Vaines gesticulations, comme autant d’aveux d’impuissance publique, l’immobilisme règne, il triomphe, et derrière lui le poids énorme des égoïsmes. Pendant que, de toutes les classes sociales, nos jeunes crient leur malaise, le même désir d’ailleurs qu’ils expriment, selon leurs possibilités, en se lançant sur les chemins de la contestation, de la violence ou de l’exil. Pour nos futurs gouvernants, quels qu’ils soient, un cri, un état des lieux et un souhait.
Un cri
Jeunes en difficulté ? La déréliction familiale, le rejet de la société et la précarité leur volent l’espoir d’étudier et de se bâtir un avenir. Sans qualification ou étudiants surdiplômés ? Ils risquent la même précarité. Dynamiques et entreprenants ? On ne leur promet qu’un numéro de funambule sur le fil tendu entre un système financier qui rechigne à les aider et un Etat avide de les pomper jusqu’au dernier euro. Jeunes couples voulant accéder à la propriété ? Les banques ne leur laissent guère que le choix entre la location d’un deux pièces minable et trois heures de trajet quotidien pour aller bosser. Est-ce donc cela le modèle social à la française dont nous sommes si fiers ?
Aujourd’hui, les plus volontaires ou les mieux armés d’entre nos jeunes quittent la France et s’installent au Royaume-Uni, aux USA... De plus en plus en Asie. Certains forment des rêves étranges et merveilleux où ils deviennent hauts fonctionnaires. Les étudiants descendent en masse dans la rue pour manifester contre le CPE. Comme d’autres mettent le feu à leurs banlieues... Formes diverses du même cauchemar, refus de l’assistanat et de la précarité, rejet du même système... Ironie du sort, leur lutte les oppose aux nantis du baby boom et autres soixante-huitards gâtés par la vie, parangons d’égoïsme promettant à leurs enfants la pauvreté de leurs parents. Tristes post-révolutionnaires, droits dans leurs bottes dorées, tartuffes d’une charité trop bien ordonnée dont la devise et la contribution à l’Histoire pourraient se résumer à une formule : prenons nos désirs pour la réalité et après nous le déluge !
En ces temps électoraux, il y a un effort intense de l’ensemble des milieux politiques (et de certains médias) pour contenir le débat d’idées dans des limites superficielles et stupidement étroites, pour masquer la forêt des véritables enjeux derrière quelques arbres au fort pouvoir subjectif. La fracture sociale ? Bâtardise tout aussi ringarde que la marxiste lutte des classes. Le poids de la dette publique ? Faux débat lancé par quelques intégristes de la rigueur budgétaire et repris en chœur par quelques politiciens indigents, incapables de mener de vraies réformes. L’ordre sécuritaire et le respect des libertés individuelles ? Simples casseroles bringuebalantes au flanc d’un malaise économique qu’on ne prend pas à bras le corps. La mondialisation ? Chiffon rouge agité par quelques Don Quichottes alter-moulins-à-ventistes qui invitent notre jeunesse à refuser l’inéluctable plutôt que de l’y préparer !
Un état des lieux
Quelques constats sur la France actuelle.
La dette publique
Avec 1 200 milliards d’euros, soit 66% du PIB, notre dette publique génère un poids annuel de remboursement des intérêts d’environ 45 milliards d’euros. Le deuxième budget de l’Etat (derrière celui de l’Education nationale). Pantagruélique tonitruent certaines voix, à commencer par les chorales technocratiques de Bercy. L’équivalent de ce que rapporte l’impôt sur le revenu. C’est vrai, mais méfions-nous des icônes.
Tout d’abord, l’impôt sur le revenu ne constitue que 6% des prélèvements obligatoires français (43 milliards d’euros sur un total de 785 en 2006). Ensuite, une telle dette demeure raisonnable, dans la moyenne basse des pays de l’OCDE. Si nous avons amplifié la dette entre 2002 et 2007, c’est essentiellement parce que la croissance moyenne n’a été que de 1,7% pour un déficit annuel moyen autour de 2,5% du PIB. Pour faire le chemin inverse, il faudrait une croissance durablement établie au dessus de 2,25% avec un déficit structurel se réduisant de 2,5% en trois ans pour revenir à l’équilibre des finances publiques en 2010, avec une dette publique à 58% du PIB (source Loi de finances LOLF 2007). Si les taux d’intérêt ne repartent violemment pas à la hausse, on stopperait immédiatement l’effet « boule de neige » des intérêts de la dette que nous reportons vers les générations futures.
Qu’il faille une gestion rigoureuse des finances publiques, incluant certains redéploiements de dépenses, c’est certain. Tout le monde est d’accord pour réduire globalement la dépense publique. Mais quand on regarde secteur par secteur, c’est plus difficile. Surtout quand on constate le manque de personnel dans l’éducation, la police, la santé, la justice. Judicieusement affectée, la dépense publique constitue un outil au service de la croissance et du bien-être social. Certes le nouveau-né français hérite de la dette mais il hérite aussi des actifs publics (routes, écoles, crèches, maternités, etc.), de systèmes éducatif et de santé performants. Les intégristes de l’équilibre budgétaire à tout prix et de la réduction immédiate de la dette, ne font que verrouiller la mise en œuvre d’un programme de réformes aussi vitales qu’urgentes pour l’avenir de notre jeunesse. Et qui, bien sûr, ont un prix.
Non, la réduction de la dette publique ne saurait être une fin en soi. D’autant que notre dette est relativement « saine » : la part extérieure (les créances sur l’étranger) reste contrainte. Nous n’avons pas, comme les USA, les moyens de faire financer notre consommation par le reste du monde. Et nous disposons d’une certaine marge de manoeuvre pour substituer une part de dette privée (par exemple du crédit immobilier pour les jeunes, comme indiqué plus loin) à la dette publique.
Les transferts publics
Notre modèle social à la française repose sur la sacro-sainte répartition (régimes de retraite et de santé). En gros, les actifs payent pour les inactifs, ou si vous préférez, les jeunes payent pour les vieux, logiquement plus consommateurs de prestations de santé et naturellement de retraite. Et comme la population vieillit de plus en plus, les jeunes payent de plus en plus. C’est irréversible.
Nul ne remet en cause le principe de solidarité entre générations. Mais que la part (en pourcentage) des prélèvements augmente régulièrement d’une génération à l’autre... C’est inéquitable ! Que le fardeau devienne de plus en plus lourd... Ce n’est plus de la solidarité, c’est du racket ! Pour prendre un seul exemple, le financement des retraites (c’est le principal poste des transferts sociaux devant celui de la santé) est passé de 6% du PIB en 1960 à 15% en 2006 et 29% sont estimés pour 2030 si on ne fait rien. Les 15% de PIB actuels représentent près de 275 milliards. Ca c’est énorme ! Les générations futures finiront par mettre un genou à terre. Et pour couronner le tout, on leur annonce que la pérennité des systèmes de retraite et de santé ne leur est même pas assurée. Malaise de la jeunesse vous dites ?
L’éducation supérieure
Selon le célèbre rapport de Shanghai, la meilleure université française pointe péniblement au 70e rang mondial. Le budget consacré à l’éducation supérieure est de 1,2% du PIB en France contre près de 3% aux USA. Certes, l’Etat augmente régulièrement le budget de l’éducation supérieure. Mais l’argent à lui seul ne peut suffire. On n’« achète » pas l’éducation ou l’innovation efficaces. D’autres facteurs bloquants tels l’éparpillement trop important de nos universités, leur manque d’autonomie de gestion ou encore l’insuffisance de passerelles entre institutions publiques de recherche et entreprises privées ne peuvent faire l’économie d’une grande réforme de l’éducation supérieure.
Le financement des PME
C’est un lieu commun de présenter depuis des années nos petites et moyennes entreprises comme le gisement d’emplois le plus prometteur. Autant qu’il est de bon ton d’exhorter notre jeunesse à entreprendre, à ne pas avoir peur du risque. Mais comment ignorer les obstacles que les TPE et PME rencontrent pour financer leur développement, la difficulté d’accès au marché des capitaux, aux fonds privés et au capital risque (on compte par exemple moins de 600 « business angels » en France contre 60 000 en Grande-Bretagne). Et comment passer sous silence la responsabilité, prise dans la dynamique du crédit aux PME et TPE, par un système bancaire français caractérisé par l’absence de concurrence (les trois plus grandes banques commerciales détiennent 73 % du marché, contre seulement 31 % aux États-Unis).
L’accès au crédit pour les particuliers
Les Français sont sous-endettés par rapport à leurs homologues des pays développés (66 % de leur revenu, contre 108 % en Allemagne, 132 % en Espagne, 138 % aux Etats-Unis, 160 % au Royaume-Uni). L’essentiel de l’endettement des ménages vient du crédit immobilier, le reste du crédit à la consommation. Une augmentation de l’endettement des ménages permettrait à plus de Français de devenir propriétaires de leur logement. Elle servirait aussi de contrepoids à la réduction de la dette publique, en limitant les risques de diminution de la demande intérieure et d’augmentation du chômage liées à la contraction des dépenses publiques. Le seul hic, c’est que l’augmentation du taux d’endettement des ménages passe aujourd’hui par l’ouverture du crédit immobilier aux classes les moins favorisées et notamment aux jeunes. Il faut faire évoluer les pratiques bancaires, les rendre plus innovantes, mieux adaptées à relever les défis de demain. Mais on en revient... au faible degré de la concurrence dans ce secteur.
Certes, les programmes électoraux de droite comme de gauche affichent tous leur volonté de faciliter le financement des PME, d’ouvrir plus largement le crédit immobilier aux particuliers. En revanche, aucun ne pose clairement la question de l’opportunité d’une réforme du système bancaire français.
Un souhait
Messieurs les gouvernants, vous souhaitez tous orienter la politique économique de la France en faveur d’une croissance durable et structurelle, aussi indépendante que possible de celle des USA ou du cours du pétrole. Parfait ! Vous êtes unanimement soucieux d’améliorer la qualité des finances de l’Etat, leur aptitude à répondre au besoin d’accroître le potentiel de croissance et de bien-être social, au moindre coût, sans augmenter la charge fiscale de vos concitoyens ou le poids de notre dette publique. Faites ! Augmentez les dépenses publiques productives, celles qui contribuent à la croissance (éducation, recherche, innovation, investissements dans les nouvelles technologies) et au bien-être social. Incitez-nous, particuliers, à réaliser nous-mêmes (sans passer par les cases impôts ou autres droits de succession) ces investissements productifs et à placer directement une partie de notre épargne là où elle est le plus utile à la communauté.
Et de grâce, n’oubliez pas d’engager au plus vite les réformes structurelles sans lesquelles vos louables efforts financiers seraient vains. Celles des systèmes de retraites et de santé, de façon à garantir leur pérennité tout en allégeant le poids des transferts sociaux pour les générations futures. Celles de l’éducation supérieure, des universités et de la recherche, indispensables pour mieux préparer nos enfants à une compétition mondiale de plus en plus féroce. Celles de notre système bancaire pour relancer l’investissement de nos PME et d’améliorer les conditions d’accès au crédit hypothécaire pour les plus défavorisés et notamment les jeunes.
Les moyens financiers (la dépense publique représente environ 55% du PIB) et législatifs mis à votre disposition sont considérables. Ils sont à la hauteur de votre implication dans les affaires de notre pays et par conséquent de votre responsabilité dans l’avenir de notre jeunesse.
Sources INSEE, LOLF 2007.
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