Parmi les buts de guerre qu'avait annoncés la Russie le 24 février, il y en a un qui ne figurait ni dans les quatre conditions de son ultimatum du 21 février, ni dans les quatre conditions du 7 mars pour un cessez-le-feu immédiat. Il s'agit de la "dénazification", une idée que soutient activement la presse israélienne (au sujet de l'Ukraine) mais qui a été reçue comme un mot vide de sens à l'ouest des Alpes.
De nos jours n'importe quel homme politique insulte son adversaire en l'appelant "nazi", et les journalistes ne se privent pas d'apostropher ainsi leurs cibles sans penser au contenu du mot, qu'on ne décortique pas et dont les jeunes igorent la signification. On a même inventé le mot "nazisme" pour cacher qu'il s'agissait de national-socialisme, et ce qui reste de pages consacrées aux pays d'Europe dans les livres d'histoire pour écoliers présentent la deuxième guerre mondiale comme une lutte contre ce nazisme, sans référence au nationalisme pangermanique et à la doctrine socialiste, et sans rappeler que la France n'a pas déclaré la guerre à l'Allemagne pour un motif idéologique mais par solidarité avec la Pologne. Evidemment l'objet de ces livres étant d'introduire l'amitié franco-allemande et l'unification européenne, ils blâment plutôt une idéologie qu'un pays.
Cependant en Ukraine il ne s'agit pas d'une insulte irréfléchie mais d'une réalité politique bien vivante. Le Parti National-Socialiste d'Ukraine a bien stylisé son logo trop explicite et s'est renommé Svoboda (Liberté) à l'occasion de la première "révolution orange" de 2004, mais il n'a pas amendé ses orientations. Aussi le 13 décembre 2012 (un an avant les événements de la place Maïdan) le parlement européen a qualifié ce parti de nazi, raciste, antisémite, xénophobe et contraire aux valeurs européennes, et a interdit à tout parti représenté au parlement européen d'avoir des relations avec ledit parti extrémiste. Et celui-ci, dès qu'il a pris le pouvoir par le coup d'Etat du 22 février 2014, s'est proclamé héritier des collaborateurs locaux du parti d'Adolphe Hitler, a érigé des statues à Stepan Bandera et ses acolytes, et a arboré des symboles nationaux-socialistes, ainsi que des insignes d'unités SS, sur ses nouvelles milices levées par le mouvement extrémiste Pravy Sektor.
Devant cette vague le 30 septembre 2014 l'Assemblée Permanente du Conseil de l'Europe, sur initiative russe, a condamné la renaissance du national-socialisme en Europe et appelé à le combattre. A son tour le 21 novembre 2014 l'Assemblée Générale des Nations Unies, sur intitiative russe, a adopté à une large majorité des deux-tiers une résolution L56 condamnant la glorification du national-socialisme. Bien que tous les pays européens sauf quatre se soient abstenus, seulement trois votèrent en faveur de cette résolution condamnant la glorification du national-socialisme à savoir la Russie, la Biélorussie et la Serbie. Au contraire seuls trois pays au monde s'opposèrent fermement à l'adoption de cette résolution (qui fut adoptée puisqu'à l'AG il n'y a pas de veto), en l'occurrence deux pays américains et un européen : les Etats-Unis d'Amérique, le Canada et l'Ukraine. Ainsi parler de national-socialisme au sujet de l'Ukraine n'est pas une insulte abstraite mais le rappel d'une idéologie explicitement revendiquée par le gouvernement actuel jusque dans les instances internationales.
En Ukraine aujourd'hui les références au nazisme relèvent de deux sentiments distincts. Le premier est, sinon la nostalgie, du moins la référence historique au seul moment (à part pendant la révolution bolchévique) où l'Ukraine, ou du moins sa moitié occidentale, s'est dite souveraine (bien que dépendante de l'Allemagne) par rapport à la Russie, pendant quelques années. Cette référence est donc une sorte de légitimation de souveraineté, certes aujourd'hui dépassée puisque depuis le démembrement de l'URSS l'Ukraine a déjà été indépendante dix fois plus longtemps que pendant son court protectorat allemand, d'ailleurs même la Croatie et les trois républiques baltes sont aujourd'hui un peu plus discrètes qu'il y a trente ans sur cette parenthèse historique qu'elles partagent avec l'Ukraine (ces quatre pays se sont abstenus lors du vote à l'ONU précité). Après plus d'une génération née dans l'Ukraine post-soviétique la revendication de cet héritage n'est plus nécessaire puisqu'un vrai sentiment national est né, et pas seulement en Galicie mais aussi en Malorussie et en Novorussie.
Le deuxième sentiment qui se réclame du nazisme est par contre un véritable engouement idéologique, qui s'auto-nourrit de diverses revendications mais aussi de son propre succès, la vue de milices viriles disciplinées attirant des jeunes désorientés dans un pays économiquement sinistré et politiquement corrompu où l'insécurité rappelle la Russie des années Eltsine. Cet engouement se traduit dans l'existence de milices, déjà de mauvaise réputation idéologique avant le Maïdan mais désormais aussi de très mauvaise réputation morale depuis qu'elles ont été officialisées (incorporées à une Garde Nationale) et envoyées dans le sud-est pour en éradiquer les doryphores par la déportation ou l'extermination. Les plus fameuses de ces milices sont le bataillon Azov, qui a revendiqué avoir atteint l'effectif d'une brigade, et le bataillon Aïdar. L'un a été rendu célèbre pour ses crucifixions de chrétiens et les confessions de Gaston Besson sur l'exécution des prisonniers, l'autre pour les charniers de centaines de jeunes paysannes après la perte du terrain de son camp du viol à Krasnoarmeïsk en septembre 2014. Sauf erreur c'est le bataillon Azov (bien plus gros et bien moins organisé qu'un bataillon militaire) qui tient en otage la population de Marioupol, mitraillant les civils qui tentent d'en sortir, interdisant par le feu l'ouverture des corridors humanitaires déjà déclarés par la Russie et l'Ukraine (avec cessez-le-feu) trois jours de suite en vain, et lui aussi sur lequel l'armée régulière ukrainienne a tiré la semaine dernière un missile balistique SS-21.
C'est cette deuxième manifestation du nazisme que la Russie a soi-disant chargé son armée d'éliminer. Au niveau politique l'arrestation et le jugement des commanditaires desdits bataillons ainsi que des dirigeants des mouvements comme Pravy Sektor et Svoboda aurait revêtu une forte charge symbolique, mais la Russie ne pourrait pas le faire sans, d'abord, prendre Kiev, et surtout, l'occuper. De plus cela ressemblerait à une opération de "changement de régime" à l'étatsunienne, ou en tout cas d'ingérence dans la politique interne. Enfin dans tout le quart ou le tiers occidental du pays, à l'ouest de la ligne Jitomir-Vinnitsa, cette orientation politique est relativement répandue au sein même de la population, donc il ne serait pas possible de l'extirper sans des années de rééducation civique. Au niveau militaire il serait théoriquement plus facile et moralement plus acceptable de détruire les milices embrigadées, qui sont actuellement encerclées dans la ville côtière de Marioupol et dans la nasse tactique où se trouve plus de la moitié de l'armée ukrainienne, au nord de Donetsk. La nasse de Donetsk se situe en zone rurale avec quelques villages, mais l'opération tactique en cours se déroule de façon conventionnelle et se terminera soit par la reddition des unités une par une, soit par leur destruction, un terme militaire qui ne signifie pas un massacre à l'étatsunienne comme celui de la Garde Présidentielle perdue dans le désert irakien en 1991 et pas encore ressortie, mais un niveau de dommages impliquant l'impossibilité définitive pour l'unité détruite de conduire une manœuvre (feu et mouvement) de son niveau (il peut rester des sous-unités). Par contre les éléments dits ou autoproclamés nazis dans Marioupol sont étroitement imbriqués dans la population qu'ils utilisent non seulement comme couverture générale mais également comme boucliers au sens propre pour progresser dans les rues, et ils n'hésiteront pas à se déguiser en civils pour se fondre dans la population. Il y a là plusieurs milliers de miliciens dans une ville de 400000 habitants, et certains pays n'hésiteraient pas à y appliquer la méthode Bassorah. L'armée russe a montré, notamment à Grozny quelques années après un premier échec, qu'elle pouvait conquérir une grande ville rue par rue, et a même développé un véhicule d'appui-feu à l'infanterie spécifique pour le milieu urbain (le BMPT), mais le coût humain serait important.
Il n'est donc pas impossible que la Russie, après la démilitarisation de l'Ukraine sauf la Galicie, Kiev et Marioupol, laisse le nettoyage ou la normalisation de cette dernière à la république de Donetsk afin de ne pas s'engager dans une occupation du pays.
La "dénazification" relevait du discours mais n'est pas indispensable à la démilitarisation, et n'est pas incluse dans les conditions pour le cessez-le-feu et le retrait russe.