Départementales : juste un surcroît de pollution pour un coup d’épée dans l’eau
- Camille claudel.
- Cette jeune fille nue, c’est Camille Claudel. Implorante, humiliée, à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse, c’est ainsi qu’elle est représentée. Implorante, humiliée, à genoux, et nue ! Ce pourrait être la démocratie en 2015.
Combien d'argent, de temps, d'énergie, de commentaires pour un scrutin inutile ?
Je n'ai pas trouvé le chiffre pour les élections départementales, mais, pour se faire une idée, un rapport de l’Inspection générale de l’administration, dévoilé dans Le Parisien, chiffre à 600 millions d’euros le coût pour l’État et les collectivités des élections présidentielle et législative de 2012.
Les élections municipales de mars 2104 étaient estimées à 117,6 millions d’euros :
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51 millions d’euros pour les frais de campagne,
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26,5 millions pour le remboursement des « frais de propagande »
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et 10,8 millions pour les rémunérations du personnel mobilisé le jour du scrutin.
En ces temps de dette nationale à 2.000 milliards d'euros, pourquoi être mesquin et ne pas gaspiller quelques centaines de millions pour cette élection inutile ? Un peu plus, un peu moins …
Combien de temps ? Je vous ferai grâce du nombre d'émissions radio et TV, des heures perdues des candidats, des réunions locales avec deux pelés et un tondu, des brainstorming pour accoucher du slogan simpliste « Moi plutôt que l'autre ».
L'énergie, il s'en est dépensé. Même chez le chef du gouvernement. Au moins, pendant qu'il se déplaçait en campagne il ne concoctait pas en ville des mesures pour nous compliquer la vie.
Les commentaires se sont répandus terre à terre ou éthérés en s'appuyant sur des sondages tout en ignorant les marges d'erreur et les spécificités du scrutin, toujours doctement, même quand ils étaient assortis d'un « l'inconnu du scrutin est ... ». Cette formule permettait de faire passer son auteur pour un expert qualifié alors qu'en réfléchissant un peu l'auditeur comprenait qu'il écoutait quelqu'un qui n'en savait pas plus que lui mais qui était payé pour le dire.
Le jour dit, un inscrit sur deux s'est déplacé pour voter pour des enjeux inconnus, le rôle des futurs élus n'étant pas encore défini, et pour un avenir à la précarité annoncée entre initiés mais cachée au grand public : les départements devraient disparaître vers 2022. Votez ! Pour quoi ? On n'a pas encore décidé, mais de toutes façons, demain ça n'existera plus. Cela explique la vacuité des arguments et des programmes, mais ça ne l'excuse pas. Dans notre civilisation de consommation nous avons même trouvé le moyen d'inventer les élections kleenex. On utilise et on jette. Autant remplacer l'urne par une poubelle.
Au moins, les partis traditionnels étaient rassurés. Au pire ils perdaient la face mais pas le reste et ils étaient trop attachés à leurs privilèges pour faire grand cas d'un peu d'amour propre.
Il est intéressant de constater que seulement la moitié des Français étaient restés à la maison. Échaudés par le référendum sur la constitution européenne qui avait été suivi d'un méprisant bras d'honneur appelé « traité de Lisbonne », ils voient la mise du bulletin dans l'urne comme le cérémonial d'une religion, la démocratie, qu'ils continuent à pratiquer tout en n'étant plus croyants. Le rite survit au mythe.
Alors pourquoi un Français sur deux s'est-il déplacé ? Parfois il a voté pour des candidats inconnus qui ne connaissaient même pas le canton. Double inconnu : je ne t'ai jamais vu et je ne te connais pas et réciproquement toi non plus, mais je te demande de me représenter plutôt que les autres que je ne connais que trop et qui me sortent par les yeux.
Le dimanche soir, un responsable de parti a qualifié ces candidats de « zozos » et le porte-parole du parti de ces « zozos » s'est indigné en prenant le terme comme un insulte. Il a eu tort. Si les électeurs ont votés pour des inconnus en sachant que ces inconnus ne les connaissaient pas, ils ont profondément et sciemment outragé les partis traditionnels.
Cela rappelle la Pologne avec le « parti polonais des amis de la bière » (PPPP ; en polonais : Polska Partia Przyjaciół Piwa) qui était un parti politique satirique polonais, fondé en 1990 par l'humoriste Janusz Rewiński et qui a obtenu 16 sièges à la Sejm (la chambre basse du Parlement) en 1991.
Si un tel parti s'était présenté en France, il aurait eu, je crois, du succès.
Ou un parti du vin.
A propos, on a tort de s'extasier sur la vente one-shot de 24 avions Rafale à l'Egypte (avec ou sans pots de vin) alors que la filière viticole pèse 150 avions Rafale à l'export. De plus le vin est un symbole fort de notre art de vivre.
Un parti du vin aurait fière allure avec son slogan « Allez les rouges » ici et « Allez les verres ! » à l'étranger.
« Zozo », il a dit « zozo » !
Mais où sont les zozos ?
Regardez ce bon monsieur François Rebsamen, ministre du travail, déclarer le 11 mars au Sénat :
« Le contrat de travail n'impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié : il est signé par deux personnes libres qui s'engagent mutuellement. Dans les situations de plein emploi, c'est même l'employeur qui recherche les salariés... ».
On voit que comme Brice de Nice, Monsieur connaît le travail de nom, pas de définition, puisque c’est justement le lien de subordination qui fait la différence entre un travailleur salarié et un indépendant.
La jurisprudence de la Cour de Cassation est constante : « Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ». C.Cass., chambre sociale, 13/11/1996
Un ministre du travail qui ne connaît pas le principe du contrat de travail laisse rêveur.
Autre anecdote. Par hasard j'ai assisté à une réunion syndicale dans laquelle le représentant rapportait la rencontre avec le ministre « Il ne connaissait pas le dossier. Il se retournait vers ses assistants pour qu'ils confirment ce que nous disions ».
Zozo. J'ai consulté le dictionnaire "zozo : garçon gauche et niais". Garçon ? je ne vous révélerai par le sexe du ministre, j'ai employé à dessein le neutre "le ministre". Gauche ? Justement, on leur reproche d'être trop gauche et pas assez de gauche.
Dans ce théâtre d'ombres où les acteurs jouent une pièce sans en connaître le texte, il faut noter qu'ils ne se repèrent plus à la réalité mais à des phantasmes, comme par exemple le sondage qui est une image plus ou moins faussée de la réalité. Ils en viennent à comparer les premiers résultats, annoncés avec un biais, avec les prévisions annoncées par les sondages et non pas avec l'historique des résultats vérifiés.
Ainsi, quand il a vu les résultats, Manuel Valls s’est allumé un cigare. Pourtant, le Premier ministre ne fume quasiment jamais, mais là, quand il a découvert que le Front national n’était pas en 1ère position, il s’est relâché.
En 2002, quand quelqu'un avait avancé dans une réunion de la campagne de Monsieur Jospin que M Le Pen pouvait le devancer, l'équipe s'était écrié devant une telle incongruité. Aujourd'hui, on se réjouit de la deuxième place de son adversaire préféré parce que les sondages lui accordait la première alors que son parti est arrivé à la traine.
Tandis que les commentateurs continuent d'utiliser des concepts usés de « gauche » et de « droite » qui tentent de se différencier par la couleur pâlie des étiquettes, les électeurs se repèrent à d'autres critères.
Malmenés par le chômage, la pauvreté et l'impôt croissant, ils attribuent leur malvivre à l'impossibilité de contrôler le domaine économique et législatif qu'ils jugent avoir été bradé malgré eux aux lobbys libéraux de Bruxelles et aux sociétés internationales. Le « Non » avait rassemblé 54% des voix en 2005, malgré la campagne abrutissante des partis traditionnels. Voilà un espace pour un parti démocratique. Qui s'y engouffre ? Le Parti de Gauche et le Front National.
Le Parti de Gauche veut imiter la conquête du Parti Socialiste des années 70 en agglomérant d'autres partis. Il s'allie dans un Front de Gauche au Parti Communiste et critique sévèrement le gouvernement PS.
Mais à la première élection municipale venue, le PC se rallie à la majorité PS pour un plat de lentilles et quelques mairies. La crédibilité du FG est coulée.
Le PG reste en rade et cherche à s'allier au parti écologique, mais dès le scrutin annoncé, celui-ci gambade dans la campagne tantôt seul, tantôt avec le FG, tantôt avec le PS ou tantôt avec d'autres. La crédibilité des écologiques s'effondre et leurs scores fondent. Le PG s'est encore appuyé sur une béquille qui a glissé dans tous les sens. Qui peut encore lui accorder confiance ?
Il reste le FN pour récupérer ces 54 %, et comme son expert est un commercial de haut niveau, il adopte une stratégie professionnelle en visant :
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les souverainistes colbertiste à la De Gaulle et anti-européens
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les anti-mondialistes des Chevènement, des Mélenchon et des Montebourg
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les anti-establishment qui ne se reconnaissent pas dans les partis actuels, qui s'abstiennent sauf aux présidentielles, et qui méprisent le personnel politique
Ah si ses adversaires avaient une approche aussi professionnelle et moins crypto-dogmatiques !
Et les commentateurs de parler de tripartisme. Là encore ils se trompent. Le mode de scrutin à deux tours nous impose le bipartisme. Nous sommes dans une phase intermédiaire qui va transformer la rivalité gauche-droite en duel pro et anti-souverainiste.
Les porteurs de l'étiquette « gauche » n'en portent plus les valeurs. Ils ont abandonné les classe populaire et moyenne. Ils se sont tournés vers le communautarisme avec des segments « femme » « immigré » « minorité .. ». La mosaïque composée n'est pas assez stable et le ciment ne prend pas.
Côté souverainiste à gauche, le leader a beau errer dans le désert il ne trouve pas sa terre promise.
Côté souverainiste à droite, le parti est en train de rafler la mise.
Et les élections départementales, dans tout ça, mon cher Jacques ?
Elles ont servi de sondage grandeur nature. Comme au Poker, "pour voir".
Et deuxième avantage : les élus locaux seront dans l'opposition nationale et, avec moins de dotation et plus de charges, ils devront augmenter les impôts. Les contribuables feront porter le chapeau à l'élu de droite et voteront pour le candidat présidentiel de gauche. Comme au billard !
A moins que ...
Références :
http://www.la-croix.com/Actualite/France/Peut-on-reduire-le-cout-des-elections-2014-11-20-1240212
http://www.observatoiredesgaspillages.com/2013/11/le-vrai-cout-des-elections-de-2014/
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