Déradicalisation, le retour du Manège enchanté
Lors de la conférence de presse du 9 mai 2016 en marge d'une réunion du Comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation, Manuel Valls a déclaré : « La lutte contre le djihadisme est sans doute le grand défi de notre génération. » Le plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes de 2014 n'ayant apporté aucune amélioration, ce nouveau plan veut accroître la détection des signes de radicalisation, signaux que l'on sait repérer mais dont on ne peut parler... Autre volet abordé, celui de la déradicalisation avec un Conseil scientifique permanent adossé à un réseau de chercheurs universitaires et les fonctionnaires.
Nos politiques semblent ignorer les nombreux travaux des chercheurs Russes et Américains sur cet aspect du problème. Présenter la déradicalisation comme s'il s'agissait d'une « guérison mentale » est une absurdité, et pourquoi pas la dé-islamisation tant que l'on y est. Peut-on supprimer une partie de la personnalité pour la remplacer par une autre ? Peut-on prendre et maintenir le contrôle des pensées d'individus afin de s'assurer de leur loyauté ? Nous sommes en pleine science fiction. En 1921, John Buchan dans Les trois Otages, écrivait : « Le seul véritable pouvoir reste celui de l'esprit sur l'esprit ». Autre livre culte : Le candidat mandchou de R. Condom.
La Seconde Guerre mondiale terminée, les alliés s'attelaient à la dénazification pour extirper le nazisme des institutions et de la vie publique allemandes. Il s'agissait de permettre l'instauration d'une démocratie en s'appuyant sur la rééducation morale, idéologique et la désintoxication engendrée par la propagande nazie. Le temps des apprentis sorciers modernes va surgir dans les années cinquante avec les procès du cardinal Mindszenty puis celui de l'homme d'affaires Robert Vogeler. Les deux hommes confessèrent des faits dont ils ne pouvaient pas s'être rendus coupables, la situation de se répéter avec des soldats américains faits prisonniers lors de la guerre de Corée. Pour la CIA « le style, le contexte et la façon dont les "aveux" étaient présentés étaient inexplicables à moins d'une réorganisation et d'une réorientation mentales des personnes interrogées. » Les psychologues américains furent consultés pour expliquer ces phénomènes de conversion et d'auto-dénonciation d'individus innocents ou coupables, après avoir été enfermés dans les geôles staliniennes.
En 1950, la CIA lança le programme Bluebird : « explorer la possibilité de contrôler un individu au moyen de techniques spéciales d'interrogatoire ». Cela déboucha sur une série d'expérimentations incluant : hypnose - électrochocs - substances psycho-chimiques - & lobotomies. Cette première phase d'expérimentations n'apporta aucun résultat probant. Un psychologue de la CIA de confirmer lors de son audition devant le Sénat américain : « l'idée générale à laquelle nous étions parvenus était que le lavage de cerveau recouvrait pour l'essentiel un processus d'isolement des êtres humains consistant à les priver de tout contact, à les soumettre à de longues périodes de stress en rapport avec l'interrogatoire [...] sans qu'il soit besoin de recourir à aucun moyen ésotérique ». Cet état de stress reçut un nom, : le syndrome « DDD » pour Debility, Dependency and Dread, que l'on peut traduire par débilité (au sens littéral, de faiblesse physique et psychique), dépendance et détresse. Les sujets affectés de ce syndrome voient leur « viabilité se réduire, sont désespérément dépendants de leurs ravisseurs pour la satisfaction de la grande majorité de leurs besoins de base et éprouvent des réactions émotionnelles et motivationnelles de peur et d'anxiété intenses. » Pour dire les choses plus simplement, si l'on veut briser quelqu'un, il faut le rendre débile, dépendant et apeuré, Pavlov avait déjà démontré ce postulat en 1920 en soumettant des chiens à des épreuves visant à modifier le comportement de l'animal par le réflexe conditionné.
Au début des années 1950, le docteur Donald Hebb de l'université McGill, avait conduit des recherches sur les effets de l'« isolement radical ». Une de ses expériences l'avait particulièrement surpris : « après quelques heures passées à porter un casque isolant sur les oreilles, confiné dans une sorte de caisson fermé, les yeux obstrués, le corps recouvert de mousse, les sujets éprouvaient des difficultés de concentration, des troubles des facultés cognitives, des hallucinations visuelles, l'impression d'être détachés de leur corps : l'identité même du sujet avait commencé à se désintégrer. » Ces expériences furent poursuivies et approfondies par le docteur Ewen Cameron, le directeur de l'« Allan Memorial Institute of Psychiatry » de Montréal. Ce dernier s'était vanté en 1953, être parvenu à reproduire expérimentalement les « extraordinaires conversions politiques ». En 1957, il obtint une subvention pour l'étude des « effets de la répétition de signaux verbaux sur le comportement humain » et son programme de recherche fut intégré au projet MK-Ultra, un des plus secrets. La CIA avait créée entre-temps, la Society for the Investigation of Human Ecology et investit des millions de dollars sous la forme de bourses attribuées à des chercheurs qui ignoraient bien souvent l'identité de leur véritable employeur. Ces études concernaient des travaux divers sans lien apparent, chacun constituant les pièces d'un puzzle dont seul le commanditaire connaissait la finalité.
Cameron se livra pendant des années à des expérimentations sur des patients non-consentants, espérant parvenir à les « déprogrammer » jusqu'à gommer leur personnalité. Les individus étaient : plongés dans des comas artificiels - soumis à des séances d'électrochocs - enfermés pendant des jours dans des « boîtes de privation sensorielle » - exposés à des messages audio diffusés en boucle. Selon une étude menée en 1967, 60 % des personnes ayant atteint la troisième phase du programme souffraient d'amnésies persistantes. Hebb, son ancien collègue déclara sur le tard : « Cameron était irresponsable, criminellement stupide. Il n'y avait absolument aucune chance pour que ses expériences puissent aboutir au moindre résultat. Quiconque ayant la moindre idée de la complexité de l'esprit humain aurait pu savoir à l'avance qu'il était impossible d'effacer un esprit adulte. »
Chez tous les individus, il existe deux êtres différents l'un de l'autre. L'être conscient que nous pensons connaître et l'être inconscient qui nous est totalement inconnu qui serait à la base de toutes nos actions et comportements. Les émotions dépendent du système limbique et la partie rationnelle du cortex (les animaux en sont dépourvus). La communication via les fibres nerveuses se fait dans le sens émotion vers la raison et non l'inverse. Cela signifie que si les émotions sont capables de diriger nos actions rationnelles, la raison reste peu encline à modifier nos émotions. Cela reste toutefois envisageable lorsque des certitudes intellectuelles sont génératrices d'affects émotionnels.
La question qui se pose est comment s'y prendre pour faire pénétrer un nouvel affect dans le cerveau limbique insensible au raisonnement ? Faut-il jouer sur les sentiments pour enclencher à sa suite un mouvement émotionnel qui court-circuite le cortex, siège de la raison et de la volonté ? Nous atteignons alors le domaine de la persuasion. Pour maintenir cet état de façon durable, il faut que l'avantage ou l'inconvénient prenne le pas l'un sur l'autre, les deux choix appartenant au domaine des émotions. Il peut s'agir d'un choc émotionnel intense ou d'une répétition (méthode Coué). Autre voie, agir sur le sentiment de culpabilité afin d'inciter la personne à renier ses idéaux et/ou ses croyances afin qu'elle renonce à ce quoi elle a cru et qui formait jusqu'alors ses repères, pour ensuite accueillir et remplacer les anciennes convictions par de nouvelles. Cela n'est pas sans risque aucun, car le processus contribue à une désorientation génératrice d'anxiété voire d'une décompensation ! Pour que la conduite persiste, l'individu doit être isolé de toute influence extérieure, c'est là le principe de fonctionnement des sectes.
« Le lavage de cerveau vise à modifier radicalement l'esprit, de façon que son propriétaire se mue en une sorte de marionnette vivante, un être humain-robot, sans qu'aucun signe extérieur ne permette de déceler cette atrocité. » Ce terme apparu au début des années 1950 sous la plume d'un journaliste du Miami Daily News résume bien la situation. Les sectes attirent des personnes qui se posent des problèmes existentiels ou autres. Ensuite, un accueil emprunt d'égards, une communication chaleureuse et une invitation à réfléchir sur un thème social ou humain permettent d'aborder la phase suivante. La personne est placée sous la direction d'un guide (directeur de conscience) ou invitée à rejoindre une communauté de fidèles. Dès lors, elle n'est plus isolée, même quand elle est seule elle n'est jamais livrée à elle même, elle « planche » et approfondit sa réflexion... La machine est en marche, son cerveau est actif, il est devenu de l'argile prête à être façonnée. Le prêcheur va s'efforcer de retourner ses coreligionnaires en les culpabilisant, si eux ou leurs frères souffrent, c'est d'abord de leur faute ou de celle de leurs parents. Que font-ils pour leur venir en aide alors qu'ils en ont la possibilité ? Si l'individu présente un ego blessé, ne voilà-t-il pas l'occasion inespérée de prendre sa revanche ? La suite : réduction du temps de sommeil, sous-alimentation, état de tension, fatigue, l'individu devient incapable de penser par soi-même. Il suit les directives. L'individu parvenu à ce stade est mis en présence d'horreurs de façon à en imprégner son cerveau limbique, selon l'intensité de cette étape et la durée du processus, les effets dureront plus ou moins longtemps. Lorsque l'individu parvient à s'extraire et à rejoindre son mode d'existence habituelle, tout cela s'estompe graduellement et la véritable personnalité réapparaît.
Voici l'aventure d'un jeune homme âgé de 19 ans qui a quitté le circuit scolaire en 5° et a connu un parcours de délinquant jusqu'au jour où il fut séduit par le discours tenu sur un site Internet par un Niçois d'origine sénégalaise. Le jeune homme arrive en Syrie via la Turquie en compagnie de trois autres copains issus de la cité, leur billet leur ayant été offert. Son avocat a raconté le discours d'accueil ; « Tu vas être un seigneur de la guerre, les filles seront à tes pieds, t'auras une « kalach », ton territoire. » La promesse va se traduire par un semestre d'horreurs. Il apprend, en compagnie d'une vingtaine de copains issus du même quartier que lui : « le maniement des armes, le dressage des bergers allemands à l'attaque. (...) Sa journée, c'est l'entraînement, prière, prière et prière. » Un de ses compagnons traînait sa « kalach » par terre, pas motivé pour l'entraînement. Pour le punir et lui expliquer qu'un fusil ça ne se tient pas comme cela, il a pris une balle dans le pied. » Son copain craque, il veut rentrer. « Allah n'a qu'à aller se faire foutre ! » La sentence tombe une dizaine de jours plus tard. « Un groupe d'anciens s'est réuni autour de lui, a prononcé une sentence en arabe. Il a été mis à genoux et décapité. » Le jeune homme, dégoûté, se voit confier un territoire : « On leur a expliqué qu'ils devaient racketter les villageois. Là-bas, c'est une guerre de territoire qui se joue. (...) Quand un village refusait de payer la taxe, ils saisissaient un habitant, le ramenaient au camp et le décapitaient. » Un jour, le jeune homme et un de ses camarades immobilisent un homme pendant qu'un autre le décapite. Écœuré, il finit par s'échapper et à se présenter spontanément à la DGSI.
Les raisons des départs sont variées et il nous faut différencier ceux qui ont vécu au sein d'une famille musulmane des convertis, ensuite intervient la motivation : combattre pour en découdre - combattre par haine de l'Occident - mener sa propre « guerre » - participer à une action altruiste ou humanitaire - désir latent de se suicider - volonté à devenir un martyr - suicide par personne interposée, etc. A propos de Chérif Kouachi, par exemple, Soumya son épouse, a déclaré lors de son audition : « Il a pensé qu'à sa gueule Chérif ».
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