Derrière les portes du château... (*)
Un livre est sorti peu de temps avant les événements de Toulouse. Signé Didier Hassoux, Christophe Labbé, Olivia Recasens, des journalistes du Canard Enchaîné (pour le premier), et du Point (pour les deux autres) et il a comme sujet Bernard Squarcini. Pensez-donc que je me suis précipité chez mon libraire favori pour l'acheter et vous en extraire tout ce qui peut avoir trait au cas de la tragédie de ces derniers jours. Evidemment, je vous en recommande la lecture intégrale, car cela fourmille aussi d'anecdotes sur la vie politique française. C'est un excellent ouvrage, fruit d'une longue enquête d'une année. Au total, c'est effarant et très effrayant. Les extraits ont été regroupés par thèmes et ne se présentent pas nécessairement dans le même continuum que dans le livre. Ils démontrent essentiellement la mainmise complète des services secrets français au service d'un seul homme et non plus d'un pays, et décrit les errements qui peuvent expliquer pourquoi un jeune de banlieue ayant versé dans la folie meutrière a pu narguer autant un Etat. Visiblement, on n'a pas beaucoup fait pour l'en empêcher...
En premier, on peut noter que Mohamed Merah disopsait d'un téléphone portable, par exemple. Pour ceux qui en douteraient, une photo de lui prise à bord de sa voiture en atteste. Un téléphone portable qui avait été écouté de mars à novembre 2011, a tenu à confirmer François Fillon dont on ne sait plus trop bien à quoi il joue, à moins de voir toute son attitude actuelle comme une guerre à mort avec J-F Copé. Fillon a tenu ainsi à se protéger, car c'est bien lui qui en effet les autorise ou non, ces écoutes dites "administratives" - car non judiciaires (c'est-à-dire non décidées par un juge). Fillon, qui était apparu de son évidente retraite actuelle (jamais vu un premier ministre aussi peu investi dans une campagne !) pour dire que tout avait été strictement légal : "Aucun élément permettant de penser que Mohamed Merah était dangereux n'a été décelé dans ces écoutes et donc, naturellement, il a été mis fin à ces écoutes. Nous devons défendre les libertés individuelles", a ajouté le Premier ministre. "La lutte contre le terrorisme ne nous autorise pas à utiliser les mêmes armes que les terroristes, sinon nous ne serions plus une démocratie", a-t-il conclu." ; mais en oubliant au passage que la même année, le Pakistan avait envoyé à la France une alerte comme quoi l'individu était bien de la graine de jihadiste venu s'entraîner militairement, ce qui en faisait quelqu'un de dangereux ! Soit le quai d'Orsay ne sait plus communiquer, soit le premier ministre fait l'autruche. Soit Alain Juppé à du mal à parler avec Guéant, dont il réclamait il est vrai le départ pour qu'il puisse arriver... les relations entre les deux hommes sont, on le sait, exécrables !
L'Express a très bien raconté les faits, une fois Merah arrêté à Kandahar (en Afghanistan). "La DPSD, le service de sécurité de l'armée française, signale l'incident à la DCRI, chargée du contre-terrorisme. Si bien que lorsqu'il rentre en France, le 5 décembre 2010, Mohamed Merah est "mis en attention" L'armée afghane contrôle en effet le jeune Français à l'occasion d'une patrouille sur la route et le remet aux Américains. Ceux-ci n'ont rien à lui reprocher sinon sa présence dans ce fief taliban. Ils préfèrent cependant l'éloigner : Mohamed Merah est remis dans un avion, à destination de Kaboul. Par précaution, les Américains l'inscrivent sur un "no fly list", une liste de passagers dangereux : à partir de cet instant, Merah devient indésirable sur le sol américain". Interdit de vol, mais pas dangereux pour Fillon ???
Surveillé quand même ; donc, pendant neuf mois. Et ce d'autant plus que des moyens sophistiqués ont pu être mis en œuvre pour le faire, ce que raconte le livre d'Hassoux et ses confrères : "aujourd’hui, Bernard Squarcini dispose de moyens dignes des gadgets de Mister Q dans James Bond. En plus des traditionnelles valises d’interception qui captent les conversations sur portables dans un rayon de quelques centaines de mètres, la DCRI est dotée de « catcher ». Des appareils qui, dissimulés dans un sac à dos, peuvent récupérer à distance les identifiants d’un portable 2 ou 3G, y compris en mode veille, ceux du boîtier, l’EMI, et de la carte SIM, l’IMSI. Ainsi, même en changeant la puce, le boîtier reste un mouchard. Ces intercepteurs actifs créent une nouvelle borne dans le réseau sur laquelle les téléphones ciblés viennent s’accrocher, ce qui permet de prendre leur contrôle. Seul souci : les brûlures auxquelles s’exposent l’utilisateur. La DCRI profite aussi d’une unité mobile spécialisée sur tout ce qui peut être capté depuis la rue, comme les conversations téléphoniques ou les frappes en direct sur le clavier de l’ordinateur. Pour gagner en discrétion, les antennes d’écoutes relais sont parfois dissimulées dans des coffres de scooter. Le dernier gadget qui plaît beaucoup au patron : un système embarqué dans une camionnette capable d’entendre à travers les murs d’une maison". Tout le monde aura remarqué le coup du coffre du sccoter : à signaler que le livre a été rédigé avant les évènements de Toulouse ! A noter aussi que Mohamed Merah s'était senti suivi... par trois véhicules !!! Comme tout le monde aura remarqué le gadget permettant de détecter où se situe un individu dans une maison.. tout en continuant à ne pas le savoir enfermé dans une salle de bain...
Aujourd'hui que l'on est, paraît-il, en train d'imaginer des scénarios comme celui comme j'ai pu entendre sur TF1 un soir comme quoi Mohamed Merah aurait pu aller poster sa clé USB en passant par les caves de l'immeuble (scénario ridicule, mais on fera tout décidément pour en faire un "loup solitaire" !), l'explication des gadgets de la bande à Squarcini mettent un sérieux doute sur la théorie de la découverte tardive du tuerur.... et de son réseau. Car Merah continue à être surveillé après novembre 2001, contrairement à ce qu'affirme le premier ministre : "Par précaution, en décembre 2011, la DCRI décide d'inscrire le nom de Mohamed Merah au Fichier des personnes recherchées (FPR). Il ne s'agit pas d'une demande d'arrestation mais d'un moyen de vérifier discrètement ses déplacements, sans pour autant mettre en place une surveillance lourde. Chaque passage de frontière doit être signalé." On est là à peine trois mois avant les tueries...
Un fichier FPR qui mérite attention nous dit la CNIL :
Que contient ce fichier ?
Les informations enregistrées sont :
-l’identité de la personne recherchée,
-son signalement et éventuellement sa photographie,
-le motif de la recherche
-la conduite à tenir en cas de découverte des personnes recherchées .
Le FPR est divisé en vingt et un sous-fichiers regroupant les personnes concernées en fonction du fondement juridique de la recherche.
Exemple de catégories :
« E » (police générale des étrangers),
« IT » (interdiction du territoire),
« R » (opposition à résidence en France) ,
« TE » (opposition à l'entrée en France),
« AL » (aliénés),
« M » (mineurs fugueurs),
« V » (évadés),
« S » (Sûreté de l'État),
« PJ » (recherches de police judiciaire) ,
« T » (débiteurs envers le Trésor)… à espérer qu'il n'avait pas un code "S" !!! La thèse de Fillon sur sa non dangerosité potentielle s'effondre. Il est alors une des 406 849 fiches enregistrées au 1er novembre 2010... et contenues dans les ordinateurs de la DCRI.
Un réseau visible directement sur les écrans de la DCRI via la surveillance du net : "Lorsqu’une épidémie de vols d’ordinateurs s’est déclenchée, à l’automne 2010, dans les rédactions travaillant sur l’affaire Bettencourt, Squarcini a tout de suite prévenu : « La DCRI n’a rien à voir avec ces carabistouilles. » Avec cette précision énigmatique : « Si nous nous intéressons à un ordinateur, nous n’avons pas besoin de le voler pour savoir ce qu’il contient »8. David nous donne quelques explications : « Maintenant on n’a plus besoin de partir avec l’ordinateur, on siphonne le contenu à distance. Il y a des gens chez nous à la section “R” qui font ça très bien. Si la cible ne se connecte jamais sur Internet, ni sur Wifi, il faut aller sur place pour faire un double du disque dur, mais c’est rapide et indolore. » Après une pause, il reprend : « En revanche, si vous voulez donner un signal, lancer un avertissement, voler l’ordinateur est une façon d’intimider les sources, en leur signifiant que leur contact est ciblé. C’est un travail qui peut être sous-traité. Les services ont tous dans leur carnet d’adresses une boîte privée prête à bosser pour eux. » La plupart du temps, il s’agit d’anciens collègues." Allez fouiner dans les ordis ou en deux minutes établir de beaux schémas relationnels rien qu'à partir des adresses IP : le matériel vendu en douce à Kadhafi et retrouvé en Libye (et vendu ailleurs) par les journalistes US du Wall Street Journal fait ça à merveille. En moins de deux minutes, pareil engin alimenté en plus par le fichier Cristina vous trouve la famille Merah, ses liens avec l'équipe salafiste arrêtée en 2007 et remonte via un trait un peu plus long jusque Nice, direction les montages vidéos des revendications, voire vers l'Allemagne ou la banlieue parisienne comme Torcy où se cachait l'autre partie du réseau.
Une telle emprise sur le net laisse entrevoir des possibilités multiples de manipulation. L'anecdote que livre à ce propos le journaliste du Canard est savoureuse : "à Nanterre, rue des Trois-Fontanots, les services de la Police judiciaire sont sur les dents. En ce mois de novembre 2005 l’urgence a été décrété pour la première fois depuis la guerre d’Algérie : les banlieues françaises se sont embrasées. Place Beauvau, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, enchaîne les nuits blanches pour tenter d’éteindre l’incendie. L’office spécialisé dans la cybercriminalité enquête sur les blogs qui appellent à participer aux émeutes et à s’en prendre aux policiers. Ils cherchent notamment à savoir qui se cache derrière « Sarkodead », l’un des plus vindicatifs. L’un des policiers nous raconte le malaise qui s’est emparé du service lorsqu’ils ont découvert que le propriétaire du blog était domicilié au 11, rue des Saussaies à Paris. L’adresse du ministère de l’Intérieur. Les webmasters de Sarkodead n’auraient été autres que les Renseignements généraux !" On pouvait s'y attendre, de la même façon qu'on pouvait se douter qu'au sein du site de Forsane Alizza trainaient des grandes oreilles, ou postaient en forum des indicateurs, comme j'ai déjà pu l'écrire ici-même. La fermeture du site n'étant pas dû en ce cas au seul contenu mais à une stratégie véritable.
Car le recoupement dès le premier meurtre à Toulouse était faisable, et même quasi automatiquement, poursuivent Hassoux, Labbé, et Recasens, en évoquant l'autre pan de l'équipement de la DCRI, celui d'une division informatique très spécialisée : "en récupérant la sous-division R, Stéphane Tijardovic a également mis la main sur la boîte à secrets de la DCRI : Cristina, pour « Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux ». C’est dans cette immense base de données, évidemment classée « secret défense », que les 3 000 policiers de l’ombre viennent déposer le renseignement qu’ils ont butiné. On y trouve les fiches de dizaines de milliers de Français, des présumés terroristes, des individus potentiellement dangereux pour les intérêts de la nation, leurs amis et les amis de leurs amis. Mais Cristina est aussi le Big Brother de la maison. Pour y entrer, il faut montrer patte blanche, taper un code d’accès personnel. La moindre consultation est donc tracée. Le bruit de la rue nous a rattrapés à l’intérieur du café comme si l’on avait soudain monté le son d’une radio. C’est la sortie des bureaux. Juliette, notre jolie espionne, du café de la Place d’Italie, force un peu la voix. « On sait qui a consulté quoi. Dès que quelqu’un s’intéresse à un sujet considéré sensible, c’est comme s’il tirait une clochette ! » Le Squale a importé ce système d’alarme de la DST pour mieux verrouiller l’information en interne. Le fameux « droit d’en connaître ».
Comme on le précise ici : "la DCRI dispose d’une équipe de serruriers… du net. Des informaticiens capables de voyager dans le temps en retrouvant tout ce qui a été tapé sur un clavier jusqu’à un million de caractère en arrière ou d’aller aspirer, à travers la Toile, le contenu du disque dur d’un ordinateur sans laisser de traces. Pratique lorsqu’on veut, par exemple, mettre la main sur les épreuves d’un livre embarrassant pour le « Château »(*). Pour casser un disque dur trop récalcitrant, le DCRI peut toujours faire appel aux experts de son centre d’assistance, l’armée de réserve logée à Boullay-les-Troux (91). Un savoir-faire hérité de la DST qui, dans les années 90, avait retourné des hackers." La géolocalisation étant un jeu d'enfant : "Deux journalistes d’investigation de Mediapart assurent avoir été géolocalisés. En clair : on aurait épié leurs moindres déplacements grâce au bornage de leur téléphone. La « géoloc » – comme on dit dans la police – est aussi efficace que les fadettes. Elle permet non seulement de reconstituer le parcours d’une cible mais aussi de connaître tous les téléphones portables, même en veille, qu’elle a croisés sur sa route. En prime, grâce à un petit logiciel qui fait fureur à la DCRI, on peut, en entrant les coordonnées téléphoniques du suspect, obtenir la liste de toutes les caméras privées et publiques qu’il a croisées. C’est ensuite un jeu d’enfant, pour un service de renseignements, que de jeter un œil aux images et ainsi d’identifier les contacts de la cible". Et malgré le fait d'avoir le numéro de téléphone de Merah, pas moyen d'obtenir les images de où il était passé en scooter ?
Une fameuse fée clochette, que cette Juliette, qui explique candidement que notre jihadiste qui aimait tant "Audrey" avait été ferré dès le premier appui sur le clavier de son ordinateur pour aller raconter son interrogatoire chez Forsane Alizza ! Toute l'équipe de 2007, dont Albdelkader faisait partie (mais en était sorti rescapé) y figurait, obligatoirement dans le fichier Cristina, comme y figurait son adresse actuelle et l'antérieure. Et comme son portable avait été géocalisé depuis belle lurette, ainsi que celui de son frère, on savait pertinement leur taux de rencontres, comme on savait ce qu'ils s'étaient dit. Si bien qu'un déjeuner de trois heures avant un massacre n'a pas du rester sans trace audible, comme les trajets des différents véhicules, scooter compris. Et comme aujourd'hui on veut toujours qu'il n'y ait pas eu d'organisation ni de soutien derrière, on en est à répandre l'idée comme quoi la puce de localisation du scooter noir (devenu blanc) aurait été "désamorcée". Alors que n'importe quel garagiste vous expliquerait que cela ne peut pas se faire sans un équipement spécial que fort peu d'entre eux possèdent.
Pour répandre l'idée, rien de tel que des journalistes... travaillant pour la DCRI : "c’est sans doute la sous-division « H » qui profite le plus du travail des « invisibles ». Une survivance de la DST et l’un des secrets les mieux gardés de la DCRI. Une poignée de policiers que l’on ne voit jamais dans les couloirs de Levallois. Des hommes et des femmes auxquels on a fabriqué une « légende », une double vie. Pourtant, officiellement, la DGSE est la seule à compter dans ses rangs des agents sous couverture insérés dans la vie civile, parmi lesquels des journalistes employés dans des grands médias. À la DCRI, c’est le service du personnel, « M », qui gère secrètement la carrière parallèle des « invisibles ». L’essentiel de leur récolte est destinée au contre-espionnage mais ils nourrissent aussi toutes les autres divisions de Levallois. Une fois la cible désignée, ils ont pour charge de l’approcher directement ou de manipuler une personne qui va servir d’intermédiaire inconscient. Ce peut être le petit ami, le collègue, l’associé, n’importe qui dans l’environnement de la personne visée qui, elle, ne saura jamais qu’à l’autre bout, la DCRI tire les ficelles." On songe à l'entourage proche de Mohamed Merah : son frère, qui parce qu'il a échappé à une rafle présente le profil parfait de l'indic ; mais aussi d'autres, parmi les adultes que pouvait fréquenter le jeune fort peu disert.
Ça peut aller plus loin encore pour distiller la bonne parole élyséenne : "la première fois que l’on a demandé à Jean-Marc dans quelle division il était affecté, il nous a regardés comme si nous étions inconscients. Ce midi, l’officier de la DCRI est exaspéré. « Ils nous mettent la pression sur le secret défense et l’on voit Squarcini enchaîner les interviews, quand on ne devine pas son nom derrière certains articles de presse » La fausse barbe est plus ou moins fournie. À longueur de colonnes, on retrouve Bernard derrière divers vocables : « source policière », « source proche du dossier », « source très haut placée dans les services de renseignement », ou mieux encore en « haut dignitaire du système de sécurité nationale ». Un déguisement qu’il revêt à nouveau lorsqu’il annonce fort opportunément, quelques jours avant sa convocation chez le juge dans l’affaire des fadettes du Monde, que quarante personnes ont été interpellées depuis le début de l’année pour des activités liées au terrorisme islamiste. En matière de balistique, cela s’appelle un "tir dévié"... personne ne pouvant aller vérifier le chiffre balancé. Son maître, Nicolas Sarkozy est devenu le grand spécialiste du faux chiffre livré à la cantonade, comme l'a démontré à plusieurs reprises le Petit Journal !
Outre ce système, il y a la débrouille, car le système Squarcini, par sa paranoïa fondamentale a coupé ses membres des contacts classiques qu'avaient les policiers, à savoir le relationnel. « La maison est recroquevillée sur elle-même. Vous avez l’interdiction de communiquer avec les autres administrations. Même si vous voulez téléphoner à un policier en PJ ou dans un commissariat, vous devez faire une note à votre chef de section qui fait valider la demande. La question puis la réponse transite par toute une chaîne hiérarchique. Vous ne serez jamais en contact direct avec celui qui détient l’information. Et tout ça, bien sûr, va prendre plusieurs jours. » Pour se connecter à Internet il faut une habilitation spéciale, distribuée au compte-gouttes par « R », la sous-division chargée des moyens technologiques. L’autre solution est d’accéder à un terminal Orion accessible par mot de passe des seuls chefs de groupe. Sauf qu’Orion n’accepte que les sites sans spam, autrement dit pas grand-chose sur l’Internet. Du coup, beaucoup préfèrent travailler chez eux depuis leur ordinateur personnel ! « On vous coupe de tout, y compris de vos sources. Si vous venez de la PJ ou de la Sécurité publique, vous devez les confier à quelqu’un d’habilité à gérer des sources, qui va les faire enregistrer par R5 » – comprenez la division logée au dernier étage de Levallois qui tient l’annuaire des sources de toute la DCRI. « C’est un peu comme prêter votre brosse à dents à quelqu’un que vous ne connaissez pas », s’agace notre commissaire en avalant d’un trait son café à la fin du déjeuner qu’il a accepté de partager avec nous. Et de poursuivre avec une anecdote : « La boîte a fait venir des policiers qui avaient roulé leur bosse dans des services spécialisés. Elle les a mis dans des bureaux, tenus au secret le plus strict, coupés de tout contact extérieur, et elle leur a dit : faites marcher votre instinct... Évidemment cela n’a rien donné. Les types ont fini par craquer, ils ont désobéi et commencé à passer des coups de fil, en sauvage, et là, ça a marché. »
Et cela sans compter le désastre des finances restreintes accordées par un gouvernement qui chipote, et ne parle que de résultats avant de parler d'investissements : "En province, c’est désormais la guerre des tranchées. « Quand il y avait quatre voitures, c’était une pour la SDIG, trois pour la DCRI. Ils ont aussi fait une razzia sur le personnel administratif. » Les SDIG en sont réduits à composer avec des bouts de ficelle. Ainsi, dans le Cantal, cinq fonctionnaires se partagent une voiture pour couvrir tout le département. Et, avec un tiers seulement des effectifs, les SDIG doivent abattre plus de 80 % des missions autrefois du ressort des Renseignements généraux. Les renforts venus de la police en tenue ne font pas toujours l’affaire. « On a récupéré en Sécurité publique des recrues pas forcément motivées et qui ne connaissaient rien au renseignement, s’agace Philippe. Gérer une source, ça s’apprend. Tu es comme le jongleur qui fait tourner les assiettes. Si tu en mets une de trop, tu fais tout tomber. Pas assez, le tour est raté. Un contact, tu dois savoir le gérer pendant six mois ou un an avant qu’il t’apporte un renseignement exploitable. » A ce rythme d'escargot, et des poursuites en mobylette, ou presque, on comprend qu'un Merah ait pu échapper à sa capture...
La DCRI dispose pourtant de moyens sophistiqués. Des procédés dignes de la CIA, qui, on le sait, a planqué pas mal de capteurs sous les voitures d'étudiants iraniens ou simplement musulmans, aux Etats-Unis. Des fonctonnaires plus très orientés sur l'espionnage traditionnel des russes : La CIA n’a jamais cessé de travailler chez nous, mais on fait comme si la menace n’existait pas, on a fermé boutique », déplore notre officier". Car personne n'a très bien compris pourquoi ce n'était pas la DGSE qui s'était chargé des tribulations de Merah au Pakistan. Là encore le livre des trois journalistes nous donne la solution : le dada de Squarcini, en dehors des motos qu'il collectionne, ce sont les voyages à l'étranger. "Inutile de dire que le chef espion globe-trotter chouchoute sa sous-division « E », celle des Affaires internationales. Un tentacule vers l’étranger qui n’existait pas à la DST, et que les « cousins » de la DGSE, les services secrets extérieurs, ont tout fait pour empêcher. Les préférés de Bernard, c’est « E2 », les GO de la DCRI. Trente-cinq policiers qui jouent les nounous vingt-quatre heures sur vingt-quatre des délégations étrangères. Le soir « Paris by night » et, en journée, cours et repas à « L’Appartement », comme on appelle l’ancien local de la DST, qui faisait face au siège de la rue Nélaton. Malgré tous les efforts de son directeur, la DCRI n’est pas à l’abri d’un incident diplomatique. Comme ce jour où le chef par intérim de la DCRI s’est absenté pour aller fêter au pays basque la capture d’un Etarra, en plantant là un ponte du renseignement américain venu spécialement en France pour une rencontre au sommet.." Un voyageur qui commence à en exacerber quelques uns dans la maison : "Ce que « l’intendant du château » préfère, c’est encore jouer le commis voyageur. Squarcini aime les voyages. En témoigne son bureau encombré de statuettes, vaisselle d’ornement, médailles et autres colifichets ramenés de ses escapades à l’étranger. Dans les couloirs de Levallois, les troupes râlent. Le patron n’est jamais là. Il est toujours en déplacement. « Le seul moment où il apparaît, c’est en vidéo à la façon Ben Laden, pour diffuser un message de bonne année sur l’Intranet ! » s’amuse Thierry." En déplacement constant, c'est vrai : lors des événements de Toulouse, il était bien sur place. Venu soutenir, très certainement celle qui était derrière la porte de Mohamed Mera pour "négocier" avec lui. La fameuse "Audrey" !
Car le paradoxe est là chez le bocal à Squale : "Depuis qu’il s’est doté de cette sous-division internationale, le renseignement intérieur travaille de plus en plus... à l’extérieur. La DGSE qui traitait seule les prises d’otages de Français à l’étranger, en est maintenant parfois réduite à jouer le chaperon de la DCRI. Ainsi, c’est le Squale, accompagné d’un représentant de la DGSE, qui est parti négocier à Alger le troc du Français Pierre Camatte, enlevé au Mali, contre la remise en liberté de deux islamistes algériens soupçonnés d’attentats dans leur pays. Pour marquer à la culotte les espions de la DGSE, Squarcini a multiplié les officiers de liaison dans les ambassades françaises. La DCRI a des oreilles à Moscou, Alger, Singapour, Bagdad... jusqu’au Gabon, et bien sûr au Qatar. Rien ne doit venir troubler la lune de miel entre Nicolas Sarkozy et l’émir Bin Khalifa Al-Thani, premier chef d’État arabe à avoir été reçu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy vingt jours après sa prise de fonction." La DGSE, fagocitée par l'espion de Sarkozy n'a rien suivi des tribulations pakistanaises du jeune toulousain. On dira ici sans ambiguité que cela avait été fait exprès. Quant à la récupération de Canatte, ça précise bien qu'il avait des liens étroits avec la maison, envoyé très spécial parti surveiller une livraison de 10 tonnes de coke en plein désert, avouez que c'est tentant !
Un Squale qui s'attendait, pourtant à une attaque, nous dit Hassoux et ses deux confrères. Ce qui est pire encore, tant ça laisse filtrer d'autres doutes encore. "Bernard Squarcini, l’actuel patron du renseignement intérieur, n’a pas besoin, lui, d’un faux site pour gonfler la menace. Il lui suffit d’afficher dans la presse ses prévisions sur le risque terroriste. Son baromètre, c’est T4. Une division de quinze personnes chargée à Levallois de la prospective sur les mouvements terroristes. Et c’est toujours « avis de tempête ». Ainsi le lendemain de l’arrestation du chef d’Al-Qaeda, Squarcini avertit : « La mort de Ben Laden est assurément un beau coup pour les Américains mais cela va rehausser la menace d’un cran. Ce n’est pas bon en terme de sécurité. » Bingo, le comportement idiot de soldats américains qui s'en était suivi et les frappes continues des drones US ayant fait le reste, sans doute. On pouvait donc s'y attendre : on a surtout vu que ça a surpris tout le monde, du moins en apparence.
Avec toujours la possibilité d'utiliser la peur en la manipulant : "Le 11 septembre 2010, Bernard Squarcini confie au Journal du Dimanche sa « crainte d’un attentat kamikaze en France », en précisant « La menace n’a jamais été aussi grande. Tous les clignotants sont au rouge ». Coïncidence ? Au même moment, le site internet du Nouvel Observateur laisse entendre que la DCRI a été sollicitée pour démasquer les sources du journaliste du Monde dans l’affaire Bettencourt. Neuf jours plus tard, la menace d’un attentat terroriste ressurgit sous la forme d’une « femme kamikaze ». Une « confidence » des chefs espions de Levallois sur laquelle les médias embrayent. Pendant dix jours, les journalistes fouinent et furètent, jusqu’à ce que Frédéric Péchenard y mette le holà. Le directeur général de la police confesse qu’il s’agit d’un tuyau percé. Coïncidence encore ? La kamikaze a surgi le jour même où Le Monde portait plainte pour violation des sources." On sait créer des faux kamikazes, mais on ne saurait donc pas arrêter les bons à temps ? On lâcherait de fausses infos sur des faux kamikazes pour détourner l'attention ?
Idem pour les "barbus" : "Jean-Marc a été le témoin de ce genre bien particulier de communication. « Squarcini a évoqué dans la presse une vingtaine de Français dans les camps d’entraînement d’Al Qaeda en Afghanistan. Certaines familles que l’on traitait, avec lesquelles on avait patiemment tissé un lien pour faire remonter des infos, ont coupé le contact considérant que la confiance avait été trahie, nous raconte encore, désabusé, le policier de la DCRI. Le fait qu’il survende la menace terroriste nuit à la crédibilité de la maison. Menace écarlate et autres c’est du pipeau. La boîte est instrumentalisée et on perd notre crédit aux yeux de l’opinion publique. » Ce qu’il y a de bien avec la menace terroriste, c’est qu’elle est invérifiable. Lorsque Bernard Squarcini assure : « Nous déjouons deux attentats par an », on est prié de le croire sur parole." Vingt jihadistes seulement, à noter, à surveiller, dont... Mohamed Merah ! Avec l'armada d'ordinateurs et une salle blanche dédiée avouez que ça doit être du gâteau ! A noter aussi que les hommes du Squale invoquent sa bêtise pour expliquer qu'ils suivaient bel et bien les gugusses, mais que leur chef, en parlant trop, leur aurait fait perdre le bénéfice de mois, sinon d'années, d'approches patientes. Faites auprès de personnes ayant séjournées en Afghanistan et rentrées... indics. Selon LaLibre.be, qui cite la DCRI, ils ne seraient que 14 à surveiller : "Ils sont suivis par les services de renseignement français dès leur arrivée dans l'un des quatre aéroports internationaux que comptent le Pakistan. Selon le Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), on dénombre quatorze jihadistes français parmi la quarantaine d'européens s'entrainant dans la zone Pakistano-afghane. Selon le sociologue Farhad Khosrokhava, contacté par l'Express, il très difficile de déterminer leur nombre exact car certains opèrent seuls et n'appartiennent pas à des réseaux organisés. Parmi les autres européens recensés, on trouve des Belges et des Italiens."
Une équipe spéciale, à la DCRI, est donc dédiée au "tracking" des barbus. Un service confié à une... femme, nous disent Didier Hassoux, Christophe Labbé, et Olivia Recasens, qui pour un peu encore nous parlerait "d'Audrey", je le sens bien là... "À Levallois, c’est la sous-division « T » qui traque les terroristes. Elle est, avec 150 policiers, la mieux fournie en hommes et la plus dotée en matériel. En interne, on les appelle aussi « les Punis », parce qu’« ils travaillent beaucoup ». Pour que le service fonctionne à plein régime, Squarcini a confié les clefs de « T » à une spécialiste du contre-terrorisme, son ex-adjointe lorsqu’il était numéro deux des RG. Le Squale n’a pas d’atomes crochus avec cette féministe de gauche, même si, naguère, ils ont uni leur force contre Yves Bertrand, leur patron d’alors aux Renseignements généraux. « Ils se détestent et ça fait rire tout le monde quand ils se font la bise », commente, Jean-Marc, sarcastique. N’empêche, Squarcini compte sur son efficacité pour abattre le boulot, tout en la surveillant de près grâce à un fidèle placé à la tête de « L », la sous-division spécialisée dans les filatures en tous genres. Le chef de « L » est idéalement placé pour savoir quel service de Levallois surveille qui." Un service qui est dirigé par une personne qui ne s'entend pas vraiment avec son chef, on comprend là tous les ratés du système... aboutissant à un informateur devenu terroriste faute de suivi, faute de directives, faute de choix aussi, de décisions, qui n'ont plus rien à voir avec la seule traque aux islamistes violents et dangereux.
Et comme rien ne résiste à l'appétit de pouvoir du Squale, ça induit la disparition de certains services, littéralement enterrés vivants : "Dans le même temps, la concurrence a été passée au napalm. L’Uclat, le service censé coordonner l’anti-terrorisme en France, est aujourd’hui une coquille vide. « Les renseignements qu’on y échange, déplore un de ses membres, sont la plupart du temps déjà dans les journaux. » Quant à la SDAT, la sous-direction anti- terroriste de la Police judicaire, elle est aujourd’hui quasiment sous tutelle de la DCRI qui l’héberge à Levallois, au septième étage. Son équivalent à la Préfecture de police de Paris, la Section anti-terroriste, en est réduit au rôle de figurant".
Le bilan, plus que négatif, est là : l'obsession sarkozienne sur le terrorisme des seuls barbus a déteint sur son responsable sécurité : "Avec près d’une centaine de suspects embastillés chaque année, la DCRI est à l’origine de plus de la moitié des interpellations d’islamistes radicaux dans toute l’Europe. Pour eux, on a construit des geôles dans les entrailles de Levallois, au niveau des parkings qui plongent jusqu’au cinquième sous-sol. Avec combien de faux terroristes dans le sac à poussière de l’aspirateur ? La plupart des suspects sont piochés dans Cristina, le fichier de la DCRI, qui recense tous ceux qui peuvent de près ou de loin porter atteinte à la sécurité du territoire. Concernant la communauté musulmane, Cristina est doté d’un véritable estomac d’autruche, avalant un peu tout et n’importe qui. Chaque année, les départs à La Mecque, suivis avec attention par les antennes DCRI des aéroports parisiens, sont l’occasion d’y faire entrer de nouveaux noms. Parmi ces pèlerins, beaucoup n’ont aucun lien avec un quelconque islamisme radical. La « répression préventive » c’est le leitmotiv du Squale en matière de terrorisme. Comme il le dit lui-même : « Nous faisons tout pour arriver trop tôt : au moment où il y a commencement d’exécution, c’est-à-dire juste avant l’attentat »... on suit tous les départs à la Mecque... mais on est incapable de retrouver le frère d'un islamiste salafiste mouillé dans un groupe dangereux arrété il y a cinq ans ? Mais à quoi sert donc la "salle blanche" du "Château" ????
Ce sera notre formule de fin, pour cette fois ce "juste avant l'attentat" : Squarcini s'est vanté depuis 2008 d'être le roi de la « répression préventive » en enfermant à tour de bras des gens qui ne présentaient pas vraiment de danger. Et laissé filé un autre cas, dont le (lourd) bilan s'est chiffré à 7 morts. Un fiasco, sur toute la ligne, tel est son bilan. Exactement à l"image de celui qui la mis en place. Deux assoiffés de pouvoir se sont rencontrés un jour et on signé un pacte mutuel de non agression et d'entraide. "La main que tu ne peux mordre, embrasse-la" dit un proverbe Kabyle...
(*) le surnom de l'immeuble de la DCRI
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