Des bruits de Guerre Froide au fond de l’eau, en Suède...
La nouvelle de la semaine nous vient du nord, de la mer Baltique. Là-bas, des bateaux militaires suédois (dont les plus modernes) sont de sortie, depuis quelques jours, en alerte et sillonnent l'endroit à la recherche... d'un prétendu sous-marin russe qui se serait retrouvé en difficultés. Voilà qui n'est pas sans nous rappeler les visites des côtes suédoises dans les années soixante. Des visites toutes attribuées à des sous-marins soviétiques, dont un exemplaire s'échouera sur la côte... avant qu'on ne découvre, trahi par les traces qu'il avait laissées, l'existence d'un engin secret américain. Un sous-marin nucléaire de taille réduite muni de roues pour circuler sur les fonds marins... Aujourd'hui, ce sont d'autres symptomes qui laissent envisager à nouveau des visites russes. Et parmi ces symptomes, un drôle de comportement d'un navire d'apparence anodine...
A quoi s'amusent les russes en mer Baltique, voilà la question principale. Mais on va voir aussi que l'étude attentive de ce qui vient de se passer et plein d'enseignements sur des attitudes plus anciennes de la marine russe, jamais avare pour ce qui est de surprendre ces adversaires potentiels. Vladimir Poutine bombe le torse un peu partout en ce moment, et ces amiraux sont incités à faire de même, en multipliant les opérations de diversion ou de surveillance. La scène se passe la semaine dernière, nous apprend NBC, reprenant l'agence Reuters, avec le déploiement de navires ; ainsi que des hélicoptères suédois, tous capteurs acoustiques ouverts, prêts à détecter le moindre écho émanant des fonds marins.
L'alerte donnée étant d'autant plus "chaude" que la capitale Stockholm n'est qu'à une cinquantaine de km de l'incident. Un incident qui a consisté à de sérieuses interférences reçues à bord d'un navire suédois de recherche maritime (on peut supposer que la vitesse à laquelle s'est propagée l'alerte désigne ce même vaisseau comme étant lui-même un navire espion déguisé...). L'HMS Kullen, navire de lutte anti sous-marine a été aussitôt dépéché sur les lieux, ainsi que la corvette Visby ; elle aussi fort récente (coûteuse et très furtive - son canon avant est rétractable- car elle est entièrement en fibre de carbone !), démontrant que les suédois prennaient le sujet à cœur.
La raison d'un tel déploiement de forces officiellement, c'est la détection d'une "activité sous-marine étrangère" selon la Marine suédoise. Plus exactement, il s'agît de l'interception intempestive d'un message de détresse sous-marin, en direction de Kaliningrad, survenu le 14 octobre dernier. Un message tout d'abord évoquant des "problèmes techniques" à bord d'un vaisseau sous-marin dont la description est encore incertaine. Puis d'un message en clair, celui qui aurait été capté par le navire océanographique suédois. Pour les suédois, en effet, de l'aide avait été demandée, à laquelle un navire russe plutôt inattendu avait semble-t-il tenté de répondre. Quatorze heures après l'emission du second message, le vendredi 17 octobre, un témoin visuel installé sur la péninsule de Kanholmsfjärden, avait en effet aperçu un engin suspect émerger, un mini sous-marin davantage qu'un sous-marin ordinaire (mais le doute subsiste), semble-t-il, d'après sa description. Les détecteurs suédois avaient alors déjà localisé l'engin à la proximité de Kanholmsfjärden. On ignorait, à ce moment-là, que l'objet sorti des eaux avait été photographié.
En fait de navire russe, c'est un gros tanker battant pavillon... libérien qui semblait avoir joué les sauveteurs potentiels de l'incident annoncé. L'attitude et le comportement étrange de ce pétrolier a eu en effet de quoi inquiéter, juste après la réception de l'appel au secours russe. Le navire, le "NS Concord", construit en 2005, portant le numéro IMO 9299692 et MMSI 636012382 avait eu effectué un bien étrange circuit en mer, revenant à plusieurs reprises sur lui-même, et cherchant visiblement quelque chose au ras des flots
Intriguant, en effet qu'un navire de 57 248 tonnes faisant 244 m de long et 44 de large puisse ainsi se mettre à faire des ronds dans l'eau au même moment. Tout s'explique quand on regarde son affréteur, donné par la presse suédoise : "selon le Daily News ; le NS Concorde appartient à la compagnie russe Novo Ship, qui, il ya six ans, a été achetée par la société d'État Sovcomflot. Cela signifie que l'Etat russe est le propriétaire du navire." Mieux encore, puisque "selon les sites de suivi des navires sur l'Internet, le navire était à Saint-Pétersbourg les cinq derniers mois avant la dernière semaine pour effectuer son odyssée mystérieuse dans la mer Baltique".
Un énorme tanker ancré habituellement à Novorossiysk, haut lieu de la mafia militaire liée de près à Vladimir Poutine, et resté à quai ou en chantier pendant cinq mois, cela prête à toutes les interprétations sur les modifications discrètes qu'il aurait pu y subir pour devenir "l'assistant" privilégié d'un engin sous-marin, en effet...
Sans songer à James Bond et son pétrolier avaleur de sous-marins, justement, (le célèbre "Liparus" !), avouez qu'il y a de quoi laisser songeur en effet. Une image tout aussi surprenante laissait planer le doute ; construit en 2005, le NS CONCORD avait été photographié (ci-dessous) en dock flottant à Bijela, au Montenegro, chez Technava, le 30 avril 2008, visiblement pour y subir des modifications. Technava a aussi comme spécialité le contrôle du déplacement d'eau arrière des tankers via des procédés anti-cavitation, comme le Wake Equalizing Duct (WED) inventé par Schneekluth Hydrodynamik GmbH. Surprise encore avec une deuxième entrée en dock sec en avril 2010 (deux ans après le chantier monténégrin) chez Tuzla Shipyard cette fois (en Turquie), pour une bonne mise en peinture, en dock flottant, à nouveau, mais aussi un "big amount of new installations" à bord comme le spécifie la page internet dédiée. Novorossiysk, en Mer Noire, choisi par Poutine pour devenir le port d'attache des sous-marins russes pouvant emporter des missiles de croisière portant jusqu'à 1 500 kilomètres. Le tanker, bateau de service d'un de ses engins, lui servirait-il de transporteur d'armes, en plus de le ravitailler en carburant ? Ou bien sert-il encore à autre chose ? Sa mise en chantier à Kaliningrad ayant été en ce cas la troisième en moins de 6 ans. Le radoub est certes nécessaire, sur les tankers, mais la dernière opération semble avoir été la plus longue... le plus gros pétrolier du monde, le Ti Europe, s'était arrêté... 15 jours seulement à Brest pour ce faire, en mai 2013.
En tout cas, le comportement surprenant du pétrolier NS Concord évoque bel et bien un lien évident entre engin de guerre, celui activement recherché, et un bateau arborant lui des couleurs civiles pour passer totalement inaperçu. Ce qui en ce qui concerne la russie de Poutine ne serait donc pas une première : on songe aussitôt à un autre navire civil... un cargo bien connu, l'Artic Sea, ayant bénéficié de la sollicitude attendrie d'un destroyer russe (le Ladnii) venu à son aide au large du Cap Vert.... un cargo qui avait été intercepté par de faux policiers suédois, lors de ses premiers jours de navigation, très certainement des agents du Mossad venus photographier ce que ses cales dissimulaient sous sa cargaison de bois... destinée paraît-il à l'Algérie. Le cargo provenait... de Kaliningrad.
Reste encore une hypothèse, mais ne cadrant pas avec les appels au secours sous-marins. Celle d'un transport d'élément placé sous la coque du pétrolier et perdu par lui en mer (d'où ses ronds dans l'eau pour tenter de le localiser !), façon "Marco la Torpille", histoire tout aussi abracadabrantesque dont je vous avais parlé ici aussi. En revanche, l'emport d'un mini sous-marin discrètement accolé à la coque du Concord, ça se tient davantage en effet. Serait-ce cela qu'il aurait perdu durant son trajet ? En tout cas, ces mésaventures nordiques ne sont pas sans rappeler la mésaventure soviétique du 27 octobre 1981, dans laquelle un sous-marin de type "Whiskey" s'était échoué sur les rochers de la côte suédoise, faisant le ravissement des titreurs de journaux avec les "whiskey on the rocks" venus... naturellement à l'esprit.
Reste enfin les recherches suédoises toujours en cours, localisées à Kanholmsfjärden, donc. 200 hommes, des hélicoptères et des vedettes rapides appelés en renfort résoudront-ils le mystère de l'engin russe tombé en panne ? Qu'est-il advenu de ce dernier et de son équipage ? A ce jour, un autre navire le sait : le fameux pétrolier d'assistance militaire déguisée, qui semble avoir réappris à signaler sa position, évoluant ce 19 octobre vers le 225° (vers le Sud-Ouest donc), à 10,7 km/h de moyenne, ayant (enfin) quitté la zone dans lequel il avait fait ses ronds dans l'eau. Aux dernières nouvelles, la presse suédoise montrait dans la soirée de dimanche une photo d'amateur, révélant effectivement la silouette d'un sous-marin du type de recherches, au kiosque noir ou de couleur foncée surmontant un corps central de couleur blanche aperçu à Kanholmsfjärden.
D'après la dimension suggérée par la photographie, on pense assez vite au petit submersible Priz, de Lazurit, de 13,7 mètres de long, ce petit sous-marin imaginé comme appareil de secours utilisé trop tardivement lors de la catastrophe du Koursk où seront envoyés l’AS-32 (projet 18392) et le Priz (ou projet 1855). Un engin similaire (un AS-28) avait eu un accident le 4 août 2005 dans le Pacifique, près du Kamchatka, lors d'un exercice, et avait été secouru in extremis le 07 août suivant, aidé par un robot sous-marin anglais téléguidé (le Scorpio) pour s'en sortir. Pour certains, seule la forme noire émergrant étant à retenir, le blanc l'entourant étant en ce cas simplement de l'écume (et l'engin devant donc être plus conséquent).
Sous-marin de recherche, engin militaire, ou de secours ? Les débats restent ouverts. Comme reste ouvert le rôle exact et étonnnant du pétrolier accompagnateur de l'engin défaillant... On a parlé récemment à propos de l'Ukraine du retour de la Guerre Froide, avec sa kyrielle d'opérations d'espionnage. L'une d'entre elles vient de refaire surface, c'est le mot, à un endroit que l'on n'attendait plus...
dcoument : l'enquête russe à dormir debout sur le (second) piratage présumé de l'Artic Sea lors de son arrivée à Malte...
http://en.sledcom.ru/actual/47063/?print
on peut relire :
http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-146556
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