Des étudiants en droit organisent des débats pour des prisonniers
On dit souvent que la parole libère. Polymnia, une société créée par des étudiants en droit, a voulu vérifier cet adage.
L'agora est un lieu de culture orale, alors permettez-moi de renouer avec cette tradition. Ouvrez grand vos oreilles, plutôt que vos yeux pour cet article car il vous sera conté plus qu'écrit. Vous l'aurez compris, j'ai plus l'habitude de parler que d'écrire. Mais aujourd'hui je prends la plume pour vous raconter l'expérience que nous avons vécu en prison.
Un été sous un sunlight atypique
Cet été fut pour nous une période inhabituelle. Tout a commencé en juillet. Tandis que d'autres partaient sous les tropiques, nous avons voulu voyager dans un milieu tout aussi exotique : les prisons. Découvrir et comprendre les prisons françaises, leur fonctionnement et leur quotidien de l'intérieur, pour mieux agir en partageant notre passion : le débat. Nous avons pensé que la prison était le cadre idéal pour donner la parole à ceux qui généralement ne l'ont pas. Notre ambition résonnait clairement dans nos esprits : faire vibrer les murs froids des maisons d’arrêt par la chaleur des voix et la lumière des paroles et des discours qui pourraient s’entrechoquer, retentir à l’ombre des barreaux. En y allant, nous voulions démocratiser le débat, donner tous les codes pour dire ce qu'on pense, tout en écoutant et respectant l'autre. J'ai cru comprendre qu'ici aussi, vous appréciez le débat. Vous le faites par écrit, sur Internet, dans votre esprit, à un dîner de famille ou à la terasse d'un café avec des amis. Nous le faisons en organisant des simulations de débats parlementaires ou des procès historiques. L'enjeu reste le même, débattre pour le plaisir de débattre.
Nous voilà donc en contact avec deux prisons pour hommes et une pour femme. Toutes situées au fin fond de l'Ile de France, accessibles en transports en commun si vous avez votre passeport et du courage. Finalement, nous arrivons à boucler de dates. Si nous avons eu cette chance, c'est parce que notre projet de donner la parole aux détenus via l'éloquence a plu à l'administration pénitentiaire.
« Le regard inquisiteur des « douaniers » semble deviner que votre cœur bat la chamade. Heureusement, les agents pénitentiaires sont là. Ils nous guident et nous rassurent presque inconsciemment. Pour eux en effet, rien de plus banal puisqu'il s'agit de leur quotidien. »
Nous arrivons dans une station de RER perdue, à quinze minutes de marche de la prison afin d'y effectuer notre première intervention. Après une petite randonnée, nous apercevons déjà au loin, derrière une rangée de grillages et de clôtures métalliques, un bâtiment étrangement coloré, plutôt propre, d'architecture récente, mais dont les miradors et leurs occupants, postés aux fenêtres ne laissent pas de doute : il s'agit bien là de la prison.
L'inconnu que représente ces murs nous excite et nous inquiète en même temps. Si la parole est un sport de combat, comme le pense Me Bertrand Périer, alors nous arrivions au stade. Concentrés mais anxieux.
Mais avant de jouer, il faut passer la sécurité, qui est bien sûr plus musclée qu'au Parc des Princes. Pièces d’identités, documents d’autorisation, listing des intervenants... tout est passé au crible. Une fois dans le premier sas, il faut déposer vos affaires dans un casier et ne prendre que le strict minimum : lunettes, bouteille d'eau, papier, crayon (cigarettes ?). Le portable est déposé, mis en mode avion : non pas pour le décollage mais pour que le téléphone ne se décharge pas en cherchant du réseau face à des brouilleurs implacables. Pour le remplacer : un petit badge de visiteur, seule distinction entre nous et les détenus. Puis vous passez le portique. Tout comme à l'aéroport, même si vous savez ne rien avoir d'interdit sur vous, le regard inquisiteur des « douaniers » semble deviner que votre cœur bat la chamade.
Heureusement, les agents pénitentiaires sont là. Ils nous guident et nous rassurent presque inconsciemment. Pour eux en effet, rien de plus banal puisqu'il s'agit de leur quotidien.
Deux portes blindées plus tard, nous pénétrons dans l’immense enceinte de ce géant de béton armé, quasiment flambant neuf comme la plaque d’inauguration officielle, encore lustrée, semble nous l’indiquer. Direction le bâtiment de l’administration, pour s'entretenir avec le personnel pénitentiaire qui a permis notre venue. L’entretien nous confirme ce qui semble devenir une évidence : nous partageons les mêmes ambitions pour les personnes enfermées : libérer la parole, libérer leur parole.
Le bleu du ciel comme argument : une idée de la Liberté
Deux grillages et trois portes blindées plus tard, nous arrivons enfin dans la salle où se déroule la séance, qui ressemble presque à une salle de classe. Des gens de tous les âges et de tous les milieux, arrivent au compte-goutte. Ils sont une petite dizaine. On a alors conscience de rentrer dans un véritable ring. Le premier combat est entre eux et nous. Il faut qu’ils nous prennent au sérieux. Nous sommes des inconnus pour eux et il va falloir faire nos preuves sur ce qu'on peut leur apporter. Nous engageons les hostilités avec une présentation de chaque orateur et formateur membre de Polymnia. Puis nous leur cédons la parole. Nous avons immédiatement ressenti une certaine pudeur dans leur discours, une sorte de gêne déguisée en fierté. Ils étaient assez brefs et disaient juste leur nom, se jaugeant les uns les autres -nous ne le savons pas à ce moment-là, mais ils sont très peu à se connaître-. Les yeux qui nous fixent sont vifs, attentifs, parfois tristes, parfois enthousiastes, mais tous recherchent sur nos visages, nos expressions ou nos gestes, ces éléments qui trahissent le monde libre, situé à l’extérieur, dont nous provenons, et qui nous imprègne, malgré nous, depuis notre arrivée. Une odeur de liberté plane lentement au-dessus de nous tous, et elle semble faire émerger une multitude de petites espérances
Pour arriver à créer un peu de motivation une seule solution : la compétition.
Nous avons donc constitué deux équipes de quatre détenus. Cependant, il était prévu dès le début que seulement l’un d'entre eux servirait de porte-parole et s'exprimerait devant tout le monde. L'idée étant qu'ils devaient toutefois préparer le texte ensemble. Le sujet du discours : deux tableaux, l'un figuratif, l'autre abstrait, chaque équipe devant convaincre l'auditoire que son tableau est le meilleur. Après un petit temps de préparation, les porte-parole passent devant les autres. D'un côté, on défend la beauté de l'art figuratif car il n'y a rien de plus beau que la Nature alors pourquoi ne pas juste la retranscrire ? De l'autre, la couleur bleue dominant le tableau abstrait évoque le monde extérieur, la liberté, l'évasion de sa cellule. Ce que nous en retenons surtout c'est que nos deux orateurs ne veulent rien lâcher, car ils ne parlent pas seulement pour eux mais aussi pour les autres détenus. L'exercice durera finalement plus de quarante minutes, au lieu des dix que nous avions prévues.
L'ambiance était lancée, et la glace n'était pas totalement brisée mais tout de même bien fragilisée. Mais il ne nous restait qu'une heure et demi pour faire tous les autres exercices que nous avions préparés. C'était trop peu, et plutôt que de faire des exercices à la va-vite, nous décidons d'en choisir un qui nous tenait particulièrement à cœur : « Si j'étais Président ... ». L'idée est toute simple : quel est votre programme de Président de la République ? Toujours deux équipes, mais cette fois tout le monde prendra la parole, puisqu'en plus d'un Président il nous faut des ministres qui développeront le programme annoncé par le Président. L'exercice se déroule en 3 phases :
Tout d'abord l'écriture où les grandes idées sont discutées en équipe pour rester cohérentes. Puis chacun écrit son texte. Nous étions bien sûr là pour leur donner des conseils, mais seulement de forme. En effet, nous avons décidé de leur laisser une liberté d'expression importante, et sommes là uniquement pour reformuler, aider à développer, illustrer par un exemple, nous étions là pour les aider à dire avec la tête les mots du cœur ...
« Nous avions prévu de soumettre uniquement les Présidents de chaque équipe aux questions adverses. Mais les détenus en ont décidé autrement et ont appelé d'eux-mêmes à la barre tous les Ministres adverses »
Puis vient le passage à l'oral. Nous avons trouvé la qualité du débat tout à fait intéressante, et ce même si nous ne partagions pas toutes les idées exprimées : qu’il s’agisse du rejet assumé ou non de l’égalité homme-femme, des velléités de retour de la peine de mort pour les violeurs et les pédophiles, de la magistrature jugée inefficace, inhumaine, trop lente et parfois partiale, des avocats considérés comme tous incompétents et escrocs, ou des idées qui poussent certains détenus à avoir une sorte de fascination pour les régimes autoritaires dont les forces de l’ordre sont respectées parce que craintes et les chefs d’Etat estimés parce que militaires… Toutes ces idées étaient exposées de façon claire et plutôt bien argumentés sur le fond.
Mais c'est la troisième et dernière phase qui fut la plus intéressante : celle des questions. En effet, nos apprentis orateurs se sont totalement pris au jeu. Nous avions prévu de soumettre uniquement les Présidents de chaque équipe aux questions adverses. Mais les détenus en ont décidé autrement et ont appelé d'eux-mêmes à la barre tous les Ministres adverses ! Les questions étaient les plus déstabilisantes possibles. Ils se sont assez vite approprié le cadre du débat et se sont affrontés sans broncher, le verbe fort et faisant mouche, mais sans jamais tomber dans l'insulte ou dans l'agressivité gratuite.
Nous ne résistons pas à l’envie de vous partager l’une des répliques les plus acerbes de la soirée : l’un des détenus exposait son discours de ministre et déclara : « laisser moi terminer par... » il se vit coupé dans son élan par une remarque aussi violente qu’inattendue : « pas besoin de terminer, nos questions t'ont déjà terminé ».
La suite de notre intervention dans un prochain épisode…
Pour être sûr de ne rien manquer, nous vous invitons à aimer la page Facebook de Polymnia ou à consulter notre site internet : polymnia-france.com.
Retrouvez Polymnia au théâtre La Boîte à Rire le 13 septembre pour voir un spectacle d'éloquence que nous proposons : le procès de Mickael Jackson. Si on dit souvent de Michael Jackson qu’il est le roi de la pop, peut-il le rester avec toutes les affaires qui l’entoure ? Le principe est simple : deux équipes d’orateurs, décorés pour leur talent dans les facultés de droit, accusent ou défendent Michael Jackson et tentent de vous convaincre. Après avoir écouté les plaidoiries des six avocats, le public devient le jury de la soirée et vote le droit pour Michael Jackson de garder son titre. Et vous, pensez-vous tout savoir sur lui ? Pensez-vous qu’il peut rester roi de la pop avec toutes ses casseroles ? Jurez-vous de voter en votre âme et conscience ? Infos et réservations sur billet-réduc : https://www.billetreduc.com/218476/evt.htm |
Image d'illustration. Photo © MOUSSE-POOL/SIPA
Article par Arthur Duffaut, associé de Polymnia
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