Des jeux paralympiques aux jeux de société, tous les produits dérivés d’une civilisation
Dans la pensée de Pierre de Coubertin, l’Olympisme, mot dont il fut l’inventeur, ne recouvrait pas le culte actuel de la performance pour la performance. L’homme de paix qu’il était, situait premièrement les jeux Olympiques dans une perspective de progrès pour l’Humain s’agissant de la relation à soi même autant qu’à l’Autre, dans le partage d’expérience et de Savoir bien plus que dans la confrontation impitoyable. Par la tenue de ces Jeux, il entendait abolir les frontières, dépasser les différences souvent secondaires qui séparent les uns des autres. Selon lui, il s’agissait « d’apprendre à l’Homme à user de sa liberté, d’en comprendre l’importance, le cas échéant par l’effort, mais dans l’union de tous ». En ce sens, les jeux paralympiques interrogent plus encore, sur divers plans.
Les xive Jeux paralympiques d'été se dérouleront donc à Londres du 29 août au 9 septembre 2012, la capitale anglaise ayant remporté conjointement le droit d'organiser les Jeux paralympiques, et les Jeux Olympiques présentés de façon prioritaire, sans exclure la possibilité fâcheuse d’apparaître comme les Jeux « normaux » prévalant sur un prolongement voué aux sportifs handicapés ? Aux oubliettes « l’union de tous » chère à Pierre de Coubertin ? Les peuples ne gagneraient-ils pas à user de leur liberté pour réaffirmer l’importance de rassembler plutôt que d’effectuer une première sélection au gré des différences que l’on prétend vouloir dépasser ? Le « non dit » vaudrait-il pour une marque d’élégance ? Une fois de plus, ce que d’aucuns pourraient légitimement considérer comme une discrimination officielle, visible et assumée, ne heurte pas grand monde.
Les nobles valeurs universalistes et « Humanistes » (le qualificatif actuel le plus tendance) avancées comme celles qui prévalurent à la création des JO se trouveraient ainsi bafouées à grand renfort publicitaire et médiatique, lequel renfort ne serait pas sans se réduire s’agissant des épreuves du « second ordre » établi. Si les JO « normaux » s’affichèrent en tête des titres de l’actualité, la présentation des Jeux paralympiques s’inscrit souvent dans le registre du commentaire compassionnel. Il reste à espérer qu’à contrario des heures funestes passées séparant les gens de couleurs et les blancs (une couleur aussi) dans des transports publics disjoints, les JO ne trouvent pas dans leur scission un étrange parallèle. Pourquoi ce déroulement en deux temps ? Les infrastructures ne « gagneraient-elles » pas en économie à accueillir tous les sportifs sans distinction de « formats » physiques ?
Le second volet des JO s’apparenterait ainsi à des « sous JO » en écho des propos intolérables de ceux qui osèrent parler de « sous hommes » sur d’autres plans, ou de « sous chiens » selon le terme employé dans une forme de racisme étonnamment ignorée, le racisme anti-blancs. La vulgate est pourtant visible sur le Net. Quoi qu'il en soit, ces JO interrompus laissent entre temps un étrange malaise. La civilisation de la modernité ne tiendrait que sur le fil du double langage. Le fait s'impose, qu’il s’agisse de sport ou plus largement des fameux « droits de l’Homme », à l’exception d’une masse sans cesse croissante, celle qui n'aurait que le "droit" de mourir au seuil de pauvreté dans les pays les plus riches. Dans bien des domaines, un discours contredit par la réalité. Les éléments de langage sauront faire illusion.
Ce « déclassement » de participants inscrits en seconde zone des JO induit une dimension facultative, optionnelle. Il y aurait en un premier temps les choses « sérieuses », et puis, pour peu que la saturation médiatique n’ait pas durablement écarté l’essentiel des spectateurs, les passionnés les plus infatigables pourraient ensuite bénéficier d’un produit dérivé de divertissement, ou de curiosité. Certains commentaires s’offrieront comme pleins de bonnes intentions ne tardant pas à nous plonger dans la foire du Trône, dans ces temps anciens « exposant » des créatures, toujours définies comme des humains, mais de moindre façon. Puisque le ghetto a toujours été inscrit au programme, il semble que ce soit impossible de reconsidérer la question, ou la réponse. Bien sûr, il ne s’agit pas de prêter aux organisateurs des JO de tels sentiments condamnables d’ostracisme ou de non respect des droits de l’Homme.
Non, cela relèverait plutôt d’un étrange rituel consacré et accepté par tous au mépris de la philosophie même du père fondateur de ces Jeux. Emettre la moindre critique constituerait une sorte de lèse majesté impardonnable. Au fil du temps, l’Organisation des JO aura su acquérir une autorité précisément fondée sur l’expérience des années, quitte à édulcorer le récit généralement fait de ce qui ne recouvre malgré tout que, des Jeux, terme ouvrant à la maxime fameuse « du pain et des jeux ». La genèse des jeux paralympiques n’en demeure pas moins digne de respect, et même, d’admiration.
L'aventure paralympique commence dans les années 40, voyant un médecin anglais, le Docteur Ludwig Guttmann affirmer toute l'importance des activités sportives pour les personnes handicapées. En activité à l'hôpital de Stoke Mandeville, à Londres, le Docteur Guttmann est en contact avec des patients amputés ou privés de l'usage de leurs membres. Il réalise alors que le sport pourrait être un excellent moyen de « revaloriser » ses patients, pour l’essentiel des vétérans de la seconde guerre mondiale. En 1948, année des Jeux Olympiques de Londres, il met en place les premiers jeux pour personnes handicapées.
Au fil des années les Jeux de Stoke-Mandeville accueillèrent de nombreux pays et furent bientôt rebaptisés « Jeux Internationaux de Stoke-Mandeville ». Lancer une compétition mondiale tous les quatre ans devient le principal objectif. Le docteur Guttmann entend organiser des Jeux Olvmpiques « pour sportifs plus ou moins valides, et sans pénaliser qui que ce soit ». Une dernière précision qui fait écho, de nos jours.
L’aboutissement de ce grand projet mondial demandera douze ans. En 1960 les premiers Jeux Paralympiques voient le jour, à Rome. Ouverts notamment aux athlètes en chaise roulante, les Paralympiques réunissent 400 sportifs issus de 23 pays. Aujourd'hui, ces Jeux définissent quatre grandes classifications d'athlètes : aveugles et mal voyants, paraplégiques et quadriplégiques, paralysés cérébraux, ampu tés et personnes atteintes de la polio. À celles-là, il faut ajouter les sportifs souffrant de handicaps moins répandus. En 1996, pour les Jeux Paralympiques d'Atlanta, plus de 4000 athlètes issus de 100 pays se présentent dans 19 disciplines différentes. Quelle belle et grande aventure ! Elle ne saurait être enfermée dans un ghetto, même doré.
Le Docteur Guttmann meurt en 1980, ayant réalisé son rêve le plus cher. Au-delà de cette évolution magnifique, le CIO n’aura pas été sans précisément courir les risques du succès, jusqu’à perdre une part de son âme initiale ?
Le CIO passerait pour une organisation assez refermée sur elle même, presque un territoire réservé, une micro société impénétrable, plusieurs de ses membres étant élus à vie... Les directions de Avery Brundage et Juan Antonio Samaranch furent fortement controversées. Brundage resta président du CIO pendant plus de, 20 ans... S’il fut accusé de racisme pour sa gestion assez particulière du problème de l’apartheid s’agissant de la délégation Sud-Africaine et soupçonné en outre d’antisémitisme,, il aura néanmoins toujours su protéger les Jeux olympiques de toutes « intrusions » judiciaires ou politiques. On lui reconnaissait des soutiens influents.
Samaranch fut pareillement accusé de népotisme et de corruption, ses liens anciens avec le régime de Franco ne passèrent pas inaperçus. Il reste que ces dirigeants successifs n’auront pas véritablement eu à se justifier devant des tribunaux. S’il est de bon ton aujourd’hui de maudire la finance internationale corruptrice, les JO ne seraient pas les seuls à interroger pour le moins au niveau de la morale dans les « affaires publiques ».
En 1998, plusieurs membres du CIO furent soupçonnés d’avoir reçu des pots de vin de la part du comité d’organisation de Salt Lake City afin d’orienter leurs votes en faveur de certains pays. La démission de quatre membres du CIO et l’exclusion de six autres, tout cela vint clore cette sordide chronique des coulisses et des égouts du Marché sportif. Afin d’éviter ce genre de mésaventure à l’avenir, on mit en place une réforme portant sur la sélection des villes organisatrices. La promotion de nouveaux usages était sensée éviter tout rapport illégal d’influence induisant le cas échéant le versement de rétro commissions. La conscience du CIO marquerait-elle par un « handicap » indépassable de forme et de fond ?
Un documentaire de la BBC intitulé Panorama:Buying the Games rend compte avec objectivité de l’enquête qui eut lieu s’agissant de pots de vin durant la sélection de la ville organisatrice pour ces Jeux olympiques 2012. Le documentaire affirme qu’il fut encore possible de corrompre les membres du CIO afin qu’ils choisissent opportunément de voter pour une ville en particulier. Après la défaite de Paris pour les Jeux de 2012, gardons que Bertrand Delanoë n’hésita pas à soupçonner Tony Blair, alors Premier Ministre Anglais, et le comité Londonien de contourner les règles des votes. La sélection de Turin pour les Jeux olympiques d'hiver de 2006 éveilla pareillement bien des interrogations. Marc Hodler, membre prédominant du CIO, favorable au choix de la ville concurrente de Sion en Suisse, prétendait que certains membres fameux du CIO avaient été soudoyés par le Comité d’organisation de Turin. L’enquête lancée ne fut pas sans affaiblir la candidature de Sion au profit de celle de Turin.
Une autre critique assez répandue prétend que le CIO ne prend quasiment rien en charge mais contrôle tout, tirant bénéfice des symboles et divers partenariats olympiques. Les Jeux restent pourtant financés par la ville organisatrice et le pays. Le CIO n’hésite pas à prélever un pourcentage auprès de tous les sponsors et des émissions télévisées. Au train ou vont les choses, les villes organisatrices ne sont même plus assurées de prétendre à un retour sur investissement. Un discours officiel persiste à nourrir bien des légendes à ce sujet. Les peuples y croient. Et si la mariée était vraiment trop belle pour être vraie, là comme ailleurs ?
Toute critique un peu insistante se heurte au soupçon de céder à la théorie du complot. Les poules auraient des dents. Circulez, il n’y a rien à dire ni à penser. Dans l’Absolu, les plus « handicapés » ne seraient vraiment pas ceux que l’on croit.
Gardons que pour la première fois depuis les Jeux paralympiques d'été de 2000, les athlètes atteints de handicaps mentaux prendront part aux épreuves, suite à une décision du Comité international paralympique datant de 2008 enfin appliquée. Ainsi, vingt catégories sportives participeront des Jeux de 2012 : le tir à l'arc, l'athlétisme, la boccia, le cyclisme, les sports équestres, le football à cinq, le football à sept, le goal-ball, le judo, la force athlétique, l'aviron, la voile, la natation, le tennis de table, le volleyball, le basketball, l'escrime, le rugby et le tennis.
Pas loin de 4 200 athlètes rejoindront les Jeux, environ 250 de plus qu'aux Jeux de 2008. Ces athlètes représenteront 165 pays, 19 de plus qu'à Pékin. Quinze nations seront invitées aux Jeux pour la toute première fois : Antigua-et-Barbuda, le Brunei, le Cameroun, la République démocratique du Congo, les Comores, la Corée du Nord, Djibouti, la Gambie, laGuinée-Bissau, les Îles vierges américaines, le Libéria, le Malawi, le Mozambique, Saint-Marin, et les Îles Salomon. Au prix de quelques tergiversations, Trinité-et-Tobago participera à nouveau aux Jeux paralympiques, une décision attendue depuis 1988.
Assurément, les JO de 2012 reflètent bien leur époque. Si la quantité dans le nombre de pays est bien au rendez vous, dans la logique rebattue sans cesse de la mondialisation nécessaire en tout, la qualité dans le détail marque par une appréciation plus difficile. Si la démocratie dans la configuration occidentale n’aura jamais été autant présentée comme le seul idéal, à imposer par la force le cas échéant au monde entier, le CIO interroge comme bien d’autres structures internationales pour tout ce qui relève précisément des us et coutumes de la dite démocratie élective et représentative.
La durée et le mélange des genres dans l’attribution des mandats ? Le règne de l’argent roi derrière la vitrine idyllique des principes « Humanistes » les plus nobles ? Une relégation permanente des plus fragiles et des « atypiques » (handicapés, « assistés »…) dans une sous catégorie citoyenne ne devant pas apparaître pour maintenir un modèle de « réussite » et de performance adéquat au système économique et social le moins généreux possible ? Oui, la phrase est longue, comme la liste des doutes et des révoltes citoyens.
Au-delà du sport, bien d’autres « jeux de société » seraient donc instaurés à l’occasion de tous les grands événements susceptibles de marquer la conscience des peuples.
Guillaume Boucard
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