Dès le 13 septembre 1941, Pierre Cot annonçait à De Gaulle… la naissance d’un étrange organisme…
Lorsque Pierre Cot évoque, dans le texte porté par René Pleven à Charles de Gaulle, la création d’un Conseil politique, ce qui serait, un peu plus d’un an après, l’intitulé premier attribué par Jean Moulin au futur C.N.R. (Conseil politique de la Résistance), le général explose :
« Quelle rigolade ! Qui donc a l’audience de la Résistance nationale ? Il faut réaliser l’union de toutes les forces nationales. » (Idem, page 242.)
Certes, s’il ne s’agit que de rester dans le brouillard politique, disposer de la BBC pour son usage personnel est un réel avantage !…
Mais ici encore, l’Histoire parle, puisque l’intitulé formé par Jean Moulin, Conseil politique de la Résistance, et ensuite transformé par lui en Conseil de la Résistance, n’est devenu Conseil national de la Résistance (adjectif typiquement gaulliste) qu’après la mort de Jean Moulin, c’est-à-dire lorsque la vague du gaullisme a pu enfin déferler, sans plus guère de contrainte, à travers tout un pays complètement berné sur les enjeux réels d’une pareille pantalonnade.
Or, comme, dans sa lettre, Pierre Cot remarque que l’Accord du 7 août 1940 signé entre Churchill et De Gaulle ne permet pas à ce dernier, reconnu seulement comme constituant une force militaire de volontaires, de se placer sur le plan politique, il se voit aussitôt corrigé par un… « Si, mais ma politique est le rassemblement national. » qu’il rend plus explicite lorsque, pour répondre à l’étonnement de Pierre Cot soulignant que la devise « Liberté, égalité, fraternité » avait disparu des papiers officiels de la France Libre, il affirme :
« La République a abdiqué. » (Idem, page 242.)
Précisément : c’est à cette dégradation souhaitée par De Gaulle que va remédier, pour une quinzaine d’années au moins (1943-1958), la dynamique portée par le Conseil de la Résistance de Jean Moulin (et de Pierre Cot), car, dans l’immédiat de 1941, voici le monarque qui se dessinait, pour la France de la Libération, à travers l’ordonnance du 24 septembre 1941 portant création du Comité National… un Comité national français de facture divinement dictatoriale.
Dès le début, voici le « nous » de majesté, appliqué à la personne qui a le front d’intervenir par ordonnance (spécificité gaullienne qui renvoie aux pratiques de Charles X) : Charles de Gaulle.
Lisons :
« Au nom du Peuple et de l’Empire français, Nous, Général de Gaulle, Chef des Français Libres […] Ordonnons… » (Charles de Gaulle, Mémoires, L’appel, etc., pages 616 et 617.)
Le général de Gaulle institue un Comité national qu’il préside (art. 2). Il dispose donc du pouvoir constituant.
Les commissaires nationaux sont nommés par décret du président (art. 2), et sont responsables devant lui (art. 5). De quelle nature est leur pouvoir ?
La matière législative prend la forme d’ordonnances signées et promulguées par le président (Charles de Gaulle) après délibération en Comité national de commissaires qui sont responsables… devant lui. Il reste une petite formalité : obtenir, selon les questions traitées, le contreseing d’un ou de plusieurs de ces mêmes commissaires.
La matière réglementaire prend la forme de décrets rendus par le président sur la proposition d’un ou de plusieurs des commissaires toujours responsables seulement devant lui.
Charles de Gaulle dispose donc, à lui tout seul, du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire.
Les relations diplomatiques sont, elles aussi, dans les seules mains du président (art. 6 et 7). De même, le Conseil de Défense de l’Empire français est présidé par Charles de Gaulle qui en fixe la composition par décret, tout simplement (art. 10). Le rôle de ce Conseil est de donner des « avis consultatifs » qui n’ont donc aucune force par eux-mêmes.
Charles de Gaulle fait ce qu’il veut sur la scène internationale.
Comme, par ailleurs, Charles de Gaulle est le chef des forces armées par lesquelles il applique le droit de vie ou de mort où il veut, nous avons là un monarque absolu, qui tend plus ou moins à s’assimiler au dieu de la nation… Gare !…
La Cinquième République est en route.
Michel J. Cuny
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