Des positions à prendre
Dans le marasme politique actuel (dont Hollande n'a pas l'air de vouloir s'extirper), il est évident que les deux voix qui détonnent sont celles de Marine Le Pen et de Jean-Luc Melenchon. Malgré ses tentatives louables d'aggiornamento et certains éléments de bon sens politique, Marine traîne derrière elle le boulet régressif de la droite classique : élitiste, conservatrice et réactionnaire. Ce qui pousserait à se tourner vers Jean-Luc qui, en tandem avec Pierre Laurent, tente de renouveler la tradition d'une gauche plus combative que la social-démocratie.
Malheureusement, Mélenchon a de bonnes idées en matière de revendications sociales (dont certaines sont partagées d'ailleurs par Marine Le Pen), mais il ne comprend pas grand'chose à la politique internationale.
Personne, en fait, ne prend clairement position dans trois domaines essentiels.
1) La solution de la crise économique. On aimerait que quelqu'un le dise avec force : la crise est due au pouvoir des banques. Mais la chasse aux "banksters" ressemble à l’attaque d’un char avec un pistolet à eau. Aux USA, on exonère de toute poursuite un des pires criminels de l’histoire, fossoyeur de la Grèce : Goldman Sachs. En France, on ne dit pratiquement rien du Libor, le plus grand scandale du siècle, qui fait la une des journaux anglo-saxons.
Conformément à la tradition des profits privatisés et des pertes nationalisées, les gouvernements paniqués ne pensent qu’à “calmer les marchés” en croyant assurer la croissance par l'asphyxie de la rigueur. Autrement dit, on veut ranimer un agonisant en l'étranglant. Le dogme capitaliste n’est jamais remis en question. Einstein avait pourtant lucidement observé : “On ne résout pas un problème avec les systèmes de pensée qui l’ont engendré.” Ajoutons qu’on ne nettoie pas des mâchoires de requins avec des cure-dents.
Tant que des décisions draconiennes ne seront pas prises pour abattre le pouvoir des banques, on continuera à creuser des trous pour en boucher d'autres. La spirale infernale de rustines sur le pneu crevé du capitalisme continuera à favoriser la haute finance et à consolider son insolente richesse en saignant les peuples. Parmi les décisions à prendre figure celle qui rétablirait l'autorité des Etats : refuser carrément de payer les intérêts des dettes souveraines et renégocier à la baisse le montant des dettes elles-mêmes. Si des banques font faillite à la suite de cette décision, c'est à l'Etat de rembourser ce qu'auront perdu les déposants particuliers. Cela coûtera beaucoup moins cher que le paiement de la dette et de ses intérêts. Figure aussi la nationalisation des banques frauduleuses. A défaut de ces solutions majeures, il faudrait au moins ressusciter la loi Glass-Steagall qui séparait par une cloison étanche les banques de spéculation des banques de dépôt, et rétablir la possibilité pour la banque nationale de prêter à l'Etat sans intérêt.
2) La défense de la souveraineté nationale. L'Europe, telle qu'elle existe aujourd'hui, est une baudruche gonflée par une fourmilière de parasites. Un gouvernement courageux devrait prendre l'initiative de s'affranchir de cette usine à gaz, de regagner son indépendance et de décider à lui seul de ses traités et de ses alliances. Des accords entre pays souverains, à l'image de ce qui se passe en Asie (groupe de Shangaï) ou en Amérique Latine (Mercosur), sont beaucoup plus solides que les complicités au sommet des transnationales et les connivences secrètes des grands patrons.
3) Le rejet de l'impérialisme américain. L'amitié pour une grande nation dont nous partageons beaucoup de valeurs n'implique pas qu'on doive en être le serviteur. Ses intérêts ne sont pas les nôtres. Surtout lorsqu'ils s'incarnent dans une stratégie inacceptable. Cette stratégie se fonde économiquement sur la liberté de marché, politiquement sur le contrôle des sources d'énergie, militairement sur la destruction des Etats résistant à son hégémonie. C'est le nouvel ordre mondial dominé par les Etats-Unis. Or le système économique néolibéral a explosé dans une crise sans précédent ; la politique de mainmise sur les gisements de gaz et de pétrole s'est traduite par des ingérences colonialistes et des agressions meurtrières ; la force des armes abouti à des guerres perdues et des catastrophes inutiles. Quant à la tactique qui consiste à éliminer les pays "laïques" de l'islam en s'alliant aux intégrismes baptisés "modérés" et jugés plus faciles à tenir en laisse, elle a pour résultat un développement sans précédent du pouvoir musulman. Les répliques d’Al Qaeda s’implantent en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, au Yemen, en Somalie, en Libye, au Mali : les militants confessionnels infiltrent peu à peu le pouvoir en Egypte et en Tunisie.
Pendant ce temps, nos médias moutonnent derrière Fabius qui croit dorer l’image de la France en crachant sur Damas. Au nom d’une mascarade humanitaire consistant à faire la guerre, à bombarder des populations innocentes, à tuer plus de gens que les soi-disant dictateurs à éliminer et à détruire des pays souverains et souvent prospères. Après avoir jadis sonné la charge contre la Yougoslavie, il prend le suite des matamores Sarko et BHL qui ont ravagé la Libye, pour imposer aux Syriens le sauvetage “démocratique” de la colonisation occidentale.
La seule différence, c’est qu’il est encore plus méprisable que Juppé.
Le plus élémentaire bon sens commanderait de rejeter toute participation aux aventures impériales, où nous ne faisons que perdre notre indépendance, notre prestige, nos forces et notre argent.
Qui se fixe avec clarté ces objectifs ? Se débarrasser de la dette. Nationaliser les banques frauduleuses. Prendre l'argent aux riches. S'affranchir de la tutelle de Washington. Imposer sa souveraineté à l'Europe.
Hollande ? Non, bien sûr. Marine Le Pen ou Mélenchon ? En partie. Mais les programmes ne sont pas précis. Qui définit une échelle d'imposition effective des grandes fortunes ? Qui réclame de taxer les choquantes transactions d'œuvres d'art dans les ventes aux enchères ? Qui se bat pour l'application d'une taxe Tobin sérieuse ? Qui condamne sans équivoque le démembrement de la Yougoslavie, l'agression de l'Irak, l'invasion de l'Afghanistan, le coup d'Etat en Côte d'Ivoire, les tentatives de renversement de Chavez, le saccage de la Libye, la campagne de conquête de la Syrie, les menaces de guerre dans le Proche-Orient ? Qui réclame de sortir de l'OTAN et de refuser de faire la guerre pour Washington ? Qui dénonce l'illusion européenne et la paranoïa anti-nationaliste des fans de Bruxelles ?
On a vu quelques velléités incidentes, qu'il faut saluer au passage. Mitterrand a traîné les pieds avec la Yougoslavie (sans succès) ; Chirac a reculé devant l'attaque de l'Irak ; le groupe communiste à l'assemblée a voté contre l'offensive anti-Kadhafi. Marine Le Pen et Mélenchon ont des accès de fièvre anti-bancaire sans aller jusqu'au bout de la rupture. Quelques isolés, comme Jacques Cheminade ou François Asselineau, disent des choses justes, mais personne ne les écoute. Un des groupes trotskystes, le Parti des travailleurs, analyse bien les événements internationaux, sans grande portée. A part cela, le paysage politique français est d'une désolante aridité. Des voix discordantes se font entendre ici ou là, sur certains points, mais aucune n'embrasse la totalité des revendications nécessaires, l'ensemble des défis indispensables et des décisions brutales à prendre.
La situation actuelle de l'Occident et de notre pays ne peut se satisfaire de solutions partielles. C'est un tout qu'il faut changer. Une politique entière qu'il faut réorienter. En brisant le système économique, en modifiant nos alliances, en offrant au monde, avec courage, un exemple d'indépendance à suivre.
Ce n'est pas Hollande qui va le faire. Et ni Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ne vont jusqu'au bout du bouleversement nécessaire.
Louis DALMAS.
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