Dès que Thomas Sankara a été assassiné, la microfinance occidentale a essayé de se jouer des femmes travailleuses du Burkina Faso
par Michel J. Cuny et Issa Diakaridia Koné
Nous continuons à regarder de près ce que nous dit Cerise (c’est-à-dire le Comité d’Échanges, de Réflexion et d’Information sur les Systèmes d’Épargne-crédit) à propos d’un projet de microfinance qui a fini par échouer, au Burkina Faso, après un départ que la Banque mondiale avait cru très prometteur…
Dans ce cas, un choix avait fini par s’imposer, celui de réserver ce PPPCR (Projet de Promotion du Petit Crédit Rural) aux femmes. Pour quelle raison ? Voici ce que nous en dit Cerise :
« La féminisation de la clientèle du PPPCR s’est opérée progressivement dans les deux premières années d’existence du projet, avec le constat que les femmes remboursaient mieux le crédit que les hommes. » (site prospera-microfinance.org, page 34 du document papier)
Nous avions vu que, lorsque ces initiatives de microfinance se centraient sur les femmes, elles visaient à obtenir leur responsabilisation (empowerment…). Ici, nous découvrons une causalité inverse : d’avance les femmes se seront montrées plus responsables que les hommes… Et voici donc pourquoi on se sera tourné vers elles… ce qui veut dire aussi qu’on se sera détourné des hommes pour permettre au PPPCR d’être plus solide… ce qui ne l’aura pas empêché, finalement, d’échouer… Mais, peut-être aura-t-il plus longtemps fait illusion…
Voyons la suite des explications que nous fournit Cerise :
« Pour répondre à un objectif de durabilité, le crédit a été d’emblée proposé à un coût tendant vers le coût réel du marché, notamment en intégrant le coût de la ressource non concessionnelle (la ligne de crédit de la CNCA était cédée à un taux de 11% au projet) sur laquelle le projet était fondé. » (Idem, page 34)
Pour bien comprendre ce petit paragraphe, il faut tout d’abord aller jeter un coup d’œil sur la page suivante de l’analyse faite par Cerise… En effet, nous voyons surgir les quatre lettres CNCA… Il s’agit tout simplement de la plus grande banque française de financement et d’investissement (Crédit Agricole SA)… Elle est issue, à long terme, de toute l’histoire de l’agriculture française… Bon an, mal an, elle se situe aujourd’hui comme le premier acteur financier en Europe et comme le neuvième au plan mondial…
Nous la voyons tendre ici une main secourable à l’ultra-pauvreté… au taux de 11% qui est tout à fait considérable, mais c’est là sans doute un prix minimal auquel il est possible de prêter un argent, même en miettes, aux plus pauvres… C’est ce que la phrase citée désigne par la formule : « un coût tendant vers le coût réel de marché »… Moins cher, on ne peut pas… Ce serait une aumône…
Mais, tout à coup, nous ne comprenons plus à quoi peut servir la Caisse française de développement (CFD) dont on nous avait dit qu’elle était venue là avec beaucoup d’argent… et qu’elle avait donné une certaine force à la partie française du projet : le CIRAD, par opposition à l’INERA burkinabé… En fait, la CFD ne fera que couvrir les coûts de fonctionnement du PPPCR, c’est-à-dire les frais généraux qu’il faudra engager pour faire tourner l’affaire, mais l’argent qui sera prêté – et il s’agira aussitôt de sommes bien plus importantes parce qu’elles concernent de grandes quantités d’emprunteurs – ne peut venir que d’une vraie banque… Ce sera donc le Crédit agricole… français.
Reprenons l’ensemble de l’organisation, selon Cerise :
« Dans l’optique d’une pérennisation, le projet a été d’emblée adossé à la CNCA, qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage. Le montage financier reposait sur une ligne de crédit administrée par la CNCA, cédée au projet à un taux de 11% – puis, ultérieurement de 9% -. Le fonctionnement du projet est financé par la CFD à travers une subvention d’équilibre annuelle. » (Idem, page 35)
Entrons maintenant dans le système de crédit en quoi consiste le PPPCR, ou tout au moins en quoi il consistait au départ…
« Le projet est fondé sur l’octroi de petit crédit à des groupes de femmes, engagées par la caution solidaire. » (Idem, page 34)
Cela signifie que ce que l’une de ces femmes ne pourrait pas rembourser au moment voulu, ses consœurs devraient en répartir la charge entre elles, et payer ce que la première n’avait pas pu payer… Certainement, cela donnait une image trompeuse à ce qu’il s’agissait d’obtenir pour finir : l’engagement paraissait d’abord prendre un caractère collectif…
Dans un pays comme le Burkina Faso qui avait notamment connu le régime de Thomas Sankara (4 août 1983 – 15 octobre 1987) qui se voulait tout à la fois anti-impérialiste, révolutionnaire, socialiste, panafricaniste et tiers-mondiste, sans doute fallait-il leurrer la population sur la réalité même d’un projet qui ne visait qu’à déployer la liberté d’entreprise… des uns au détriment des autres. Or, l’initiative de mettre en œuvre le PPPCR au Burkina Faso était intervenue en 1988, c’est-à-dire un an seulement après la mort, par assassinat et à l’âge de trente-sept ans, du grand dirigeant africain…
Cerise nous montre également le soin apporté à une apparence de démocratie directe à l’intérieur de chaque groupe d’emprunteuses :
« Les groupes de base (5 personnes) sont réunis en comités de crédit, gérés par une responsable élue par ses pairs. » (Idem, page 34)
La question d’argent semble, elle-même, faire l’objet d’une sorte de tabou qui paraît devoir la faire plus ou moins disparaître des enjeux d’un PPPCR qui ne veut justement que la faire triompher en donnant une occasion aux plus fortes des emprunteuses de se dégager dès que possible de ce qui aura pu les unir – pendant un temps aussi court que possible – aux autres… finalement moins… chanceuses. Lisons Cerise :
« Une part des transactions est prise en charge bénévolement au niveau des groupes et de la responsable du Comité de crédit : sélection des bénéficiaires, octroi de crédit, collecte des remboursements. » (Idem, page 34)
Cela signifie qu’une partie du travail qui doit normalement être effectué par les banques et par des spécialistes du crédit bancaire, peut l’être par certaines emprunteuses : celles qui s’y montreront les plus habiles… Ce sera toujours autant de dépenses qui ne viendront pas manger une partie des 11% d’intérêts que la Caisse Nationale de Crédit Agricole s’empressera de récupérer sur une pauvreté qui va réagir solidairement, en attendant qu’un tri se soit fait… ne laissant bientôt plus sur le marché de la microfinance que des femmes aux dents longues qui deviendront alors de vraies clientes pour une activité bancaire décidément solide et rentable… À condition, toutefois, que tout cela ne s’effondre pas trop vite !…
Mais, justement, les garanties prises paraissaient être d’une solidité à toute épreuve, nous dit Cerise :
« Le système de crédit a été fondé sur du crédit à remboursement hebdomadaire, de court terme (56 semaines) et petit montant (5 à 10 000 FCFA en 1990), puis a été progressivement diversifié pour s’adapter aux différentes activités économiques des femmes (crédit embouche, crédit stockage de céréales). » (Idem, page 34)
De semaine en semaine, il est assez facile de voir quelles femmes respectent le rythme qui leur est imposé… Les plus fragiles ne tardent guère à disparaître du circuit, tandis que les autres sont constamment sollicitées d’aller de l’avant, pour ne pas glisser à leur tour du côté d’un échec qui peut finir par prendre un caractère véritablement injurieux pour chacune d’elle et pour ses proches…
Empowerment des femmes !… Chacune pour soi, et que périssent les autres, s’il le faut…
NB. La suite immédiate est accessible ici :
https://remembermodibokeita.wordpress.com/2020/06/02/ces-imperialistes-occidentaux-qui-samusent-avec-les-populations-pauvres-dafrique-subsaharienne/
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