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Des rapaces occidentaux qui se dévorent entre eux en Afrique subsaharienne !

par Michel J. Cuny et Issa Diakaridia Koné

L’analyse que Cerise a réalisée pour comprendre l’échec final du PPPCR (microfinance) au Burkina Faso constitue un dossier de 61 pages. Lorsque nous arrivons à la page 51, nous découvrons ce titre :

« La croissance a renforcé les problèmes de gouvernance »

La centralisation (bancaire) qui était venue remplacer ce qui avait bien fonctionné dans le cadre d’une extension « socialisante » de la structure tribale coutumière, n’avait donc pas été la seule cause de l’échec du Projet de Promotion du Petit Crédit Rural.

C’était aussi la croissance de la quantité de prêts (offerts pour un taux d’intérêts de 26% !) qui avait déséquilibré l’ensemble du projet d’aide aux plus pauvres, et tout spécialement aux femmes burkinabé… Pourquoi donc cette croissance ? Réponse de Cerise :
« Le choix de la croissance s’est imposé progressivement au sein du PPPCR au début de la seconde phase du projet (1993), quand les préoccupations d’équilibre et de pérennisation financières ont été formalisées. » (Idem, page 51)

C’est-à-dire lorsqu’il est devenu souhaitable de passer d’un fonctionnement qui se trouvait mis au service des micro-entreprises et des femmes qui assumaient la responsabilité de les faire vivre et de les développer, à la nécessité, pour les capitaux investis par la France (Caisse Nationale de Crédit Agricole et Agence française de développement) de devenir rentables, et de le rester… de façon durable.

Multiplier les prêts, cela aura voulu dire : disposer d’employés de banque capables de faire un gros travail d’étude des dossiers, etc… et de prendre la place des bénévoles qui avaient exercé ces fonctions en y voyant une participation gratuite à une œuvre aussi bien charitable que politiquement orientée vers un socialisme de plus en plus conscient de lui-même…

Ce nouveau personnel, il aura fallu le payer proportionnellement à une tâche de plus en plus lourde, parce que, à terme, de plus en plus rentable pour les propriétaires des sommes investies que venaient accroître des taux d’intérêts carrément faramineux !

Le modèle initial a donc été modifié pour aboutir à ce que Cerise nous décrit maintenant :
« Le « modèle » adopté, un système de crédit direct à caution solidaire, à gestion centralisée, et reposant fortement sur le travail salarié, générait dans le contexte sahélien à faible densité de population, des coûts de transaction élevés. La recherche de l’équilibre financier a été fondée sur une combinaison d’options : réduire les charges, augmenter la productivité du travail par agent, augmenter la surface du système financier pour mieux en amortir les frais fixes. » (Idem, page 51)

Plus question de se soucier de la « pauvreté », et de laisser perdurer un système qui présentait le danger de réussir, tout en s’appuyant sur des pratiques plus ou moins… tribales. L’ensemble du système que constitue désormais le PPPCR doit basculer du côté de l’exploitation de l’être humain par l’être humain, et répondre à une comptabilité qui ne pourra plus se contenter de figurer comme un travail d’amateur… Il y faut donc de vrais professionnels qui vont partir à la chasse aux bonnes affaires à l’intérieur même de l’économie informelle. Ils pourront brandir les exemples de « réussite », dont ils négligeront bien sûr de dire qu’à l’origine, ils avaient été construits sur un système relationnel directement issu de la structure tribale et contrôlée par elle dans le cadre d’un dynamisme manifestement socialisant… de maintien d’un contrôle des travailleurs sur les conditions d’exercice de leur travail…

Ne perdons pas de vue que le PPPCR n’est qu’un modèle parmi d’autres de ce que peuvent réaliser les Systèmes financiers décentralisés (FSD), c’est-à-dire les organismes de microfinance qui se donnent une figure « charitable » pour pouvoir aller facilement à la pêche aux… pauvres qu’on va bientôt mettre au travail qui consiste à sagement verser de très gros intérêts à partir d’instruments de travail plus ou moins misérables qui ne coûtent pas trop cher à la finance internationale, mais que celle-ci regarde comme le véritable avenir d’une Afrique subsaharienne qu’elle ne fait, par ailleurs, que mépriser profondément…

Suivons les Systèmes financiers décentralisés (FSD) à travers ce que Cerise nous en dit :
« Avec le développement de la microfinance au Burkina, la concurrence entre SFD s’est intensifiée et a stimulé des stratégies d’occupation du territoire ; celles-ci ont été renforcées par le fait que la concurrence entre SFD intégrant diversement les préoccupations de pérennisation, était souvent déloyale et occuper un territoire avant les autres devenait aussi dans ces cas-là une mesure jugée salutaire pour limiter les problèmes à venir (les « mauvais crédits » chassant les bons, les problèmes de cavalerie entre SFD, etc.) » (Idem, page 51)

Nous sentons bien que nous venons de débarquer dans un monde d’une extrême violence… Il faut passer devant les autres, leur marcher sur les pieds, être toujours plus déloyal que son voisin… qui travaille pour un autre SFD… Il vaut mieux proposer de « mauvais crédits »… puisqu’ils réussissent à éloigner les « bons »… et malheur aux pauvres qui ne sauront pas reconnaître les « bons » qui sont, d’ailleurs, ceux qui les exploiteront de la meilleure des façons !

Dans ce monde de tigres, les plus gros ont toujours raison… En accroissant la quantité des prêts qu’il parvenait à placer parmi les pauvres, le PPPCR pouvait espérer tenir tête à d’autres tigres qui tendaient eux-mêmes à grossir plus que lui… Or, le PPPCR bénéficiait d’un appui énorme… la Caisse Nationale de Crédit Agricole… à condition de lui montrer qu’il avait effectivement de très grosses dents et très efficaces dans la dévoration (à 26%) des femmes pauvres du Burkina Faso. Lisons Cerise :
« Une taille plus importante pouvait conforter la capacité de négociation institutionnelle et financière du PPPCR (ses ressources étant issues du marché financier, c’était là un argument de poids qui pouvait influer sur les taux d’intérêt par exemple ; de même, dans l’épineuse négociation sur la reconnaissance juridique dans le cadre de la loi PARMEC [adoptée en 1993 par l’Union monétaire de l’Afrique de l’Ouest], plus le SFD [Système financier décentralisé, microfinance] était important en taille, plus il devenait difficile de l’écarter). » (Idem, page 51)

Nous le voyons : tout cela – ce monde terrible de la finance internationale – ne peut exister que si toute trace de socialisme – et donc de gestion des intérêts des travailleurs et des travailleuses par les travailleurs et les travailleuses – a totalement disparu… Le mensonge doit pouvoir produire tous les effets destructeurs dont il est capable…

Mais, lorsque le mensonge ne peut pas vraiment tromper les travailleuses et les travailleurs, tout a tendance à s’autodétruire. C’est ce que Cerise a pu constater dans le cas de cette initiative du PPPCR dont nous avons vu, pourtant, qu’elle avait pu fonctionner tant qu’elle s’était appuyée sur le fond des traditions tribales, corrigées dans le bon sens par l’expérience « sankariste ».
« A la base, la forte pression exercée par la croissance sur les agents de crédit, les incitations à l’augmentation de la productivité du travail à travers des évaluations de rendement quantitatif, la peur de voir surgir des impayés et de ne pas pouvoir les maîtriser, ont induit un sentiment d’insécurité, de malaise, au niveau des agents, limitant de fait la construction de confiance nécessaire à une bonne gouvernance. » (Idem, page 51)

Nous allons maintenant voir que Cerise elle-même apporte la confirmation des vertus que peut avoir ce socialisme africain qui est en gestation dans la société tribale africaine d’aujourd’hui, et qui le sera toujours davantage dès qu’elle saura échapper aux ignobles appétits des Occidentaux…

NB. La suite immédiate est accessible ici :
https://remembermodibokeita.wordpress.com/2020/07/01/les-occidentaux-et-lafrique-subsaharienne-ramasser-la-mise-et-filer-ailleurs/


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