Des voitures en fumée...
Autopsie des carcasses de voiture après flambage nocturne...

À l’évidence, des chapelets et des chapelets d’anonymes et d’innocents qui, de Pointe-à-Pitre à Strasbourg, s’égrainent dans la vile vacuité de nos villes verrouillées, et parmi eux nombre de jeunes, nombre de vieux (de « moins jeunes », comme on dit vulgairement), nombre de jeunes-vieux et nombre de vieux-jeunes qui végètent, qui ne voient plus rien, qui ne vont pas bien, qui ne voyagent plus très loin - sauf à rallier quelque château en Espagne à défaut d’atteindre le sommet d’un improbable mât de cocagne (le Système, en sa perfide et perverse malice, a savonné le mât lisse, et désormais le saucisson du terroir, à l’instar d’un parachute doré, cherra mécaniquement dans la gueule grande ouverte du spéculateur infatué, salopard en train de se branler l’hypophyse et de préparer sa prochaine villégiature hivernale à Davos, ses mains dans les poches attendant cyniquement des dividendes dévoyés)...
Du coup, ces pauvres enchaînés - en l’espèce cet épithète n’est en aucun cas galvaudé ni usurpé -, livrés à eux-mêmes pour ne pas s’être délivrés d’eux-mêmes, de leurs angoisses et de leurs travers, de leurs poisses et de leurs misères, agressent, blessent, brûlent et détruisent à l’envie, ignorant qu’avant tout ils s’agressent, se blessent, se brûlent et se détruisent... Hélas ! on n’en connait que trop les conséquences, les sombres traces, les stigmates, les tristes inventaires, et le livre noir de ces interminables nuits blanches recèle de multiples chapitres aux paragraphes mal écrits qui électrocutent les neurones et qui font froid dans le dos : aboulie, anorexie, boulimie, dépression, insomnie, assuétudes diverses, psychiatrie lourde, suicide...
Jusqu’au langage qui est (re)visité par ce mal-être endémique, puisqu’en effet ne disent-ils pas, et c’est après tout un novlangue qui en vaut mille autres :
« on s’éclate » au lieu d’on s’amuse ; « on a cassé » au lieu d’on a rompu ; « je m’arrache » au lieu de je m’en vais ; « j’hallucine » au lieu de c’est incroyable ; « j’y crois pas » au lieu de c’est extraordinaire ; « c’est d’enfer » au lieu de c’est inouï... ?
Et ne disent-ils pas que « c’est clair » quand plus rien ne l’est ?
Vocabulaire du débris, de la déflagration, de l’explosion, de la fragmentation ; vocabulaire apocalyptique, d’après-guerre ; vocabulaire spectral ; vocabulaire de l’ascenseur (social) en panne et des boîtes à lettres défoncées que celui de ces « automates autistes » littéralement ahuris, sonnés, abrutis, jointés, les yeux injectés et les tympans crevés, K.O. debout sur le ring de leur propre existence, déshydratés sur place, séchés, devenus aveugles aux promesses les plus heureuses et sourds aux programmes les plus enjôleurs, ne se complaisant plus que dans le bruit et la fureur comme pour mieux contredire et contrefaire les bruits et les fureurs de la mégamachine du Fric dégoulinant, du Spectacle intégré et de la Technique toute-puissante...
Absence de repères, commentent certains experts gavés de petits fours et parmi eux des sociologues avertis et lucides mais gorgés d’eau-de-vie ; d’heureux pères eût été plus juste, ces pères que la crise a fracassé sur les carrelages froids et les parquets vitrifiés d’une société à deux vitesses, que dis-je d’une société à deux chemins, ces pères, aussi, que les républiques gaullienne, pompidolienne et giscardienne sont allés arracher ou cueillir, les déracinant, avant de leur fourguer un marteau-piqueur sous un cagnard sans pitié puis de les faire croupir dans des barres bétonnées et grises quand ce n’était pas dans des baraques de bois... En tout cas, difficultés sans fin et douleurs sans fond pour prendre leurs marques comme pour encaisser les remarques ; de là, probablement (et inconsciemment), leurs incessantes séances de slalom et de surf entre oblitération de marques sur leur propre corps (piercing, tatouage, scarification, automutilation) et chasse aux marques dans les grandes surfaces et autres marchés souterrains...
Tout le monde, un jour ou l’autre, a eu mal au coeur. Dorénavant, il faudra graver au fer rouge sur nos murs sans oreille cette nouvelle expression : avoir mal au corps. C’est dire si nous pataugeons en pleine Culture de la Mort (Jean-Paul II) ; Dieu merci, sans jeu de mots, la Civilisation de l’Amour (Paul VI) demeure toujours à construire, elle est peut-être là, à portée de main, tapie dans l’ombre, qui ne demande qu’à éclore...
(- Vous êtes catholique ?
- Oui, mais pas très orthodoxe.
- Juif alors ?
- Evidemment.
- Rassurez-moi, pas musulman ?
- Bien sûr que si. Mais version Averroès.
- Bouddhiste ?
- Jamais de bouderie en mon boudoir.
- Agnostique ?
- C’est ma roue de secours.
- Athée ?
- C’est mon moteur.
- Vous êtes débile.
- Plaignez-vous...)
Revenons à nos moutons (de Panurge)... On prétend qu’ils vivent dans des quartiers défavorisés mais l’on se garde bien de dire de leurs quartiers qu’ils sont défavorables... On prétend aussi qu’ils sont communautarisés à mort, parfois jusqu’à la mort, mais, comme par hasard, on tait le fait que ce sont surtout leur système de pensée et leurs modes opératoires qui le sont... Résultat : ils pensent tous la même chose en même temps et au même endroit, et font tous les mêmes combinaisons (et les mêmes combines) pour tous vivre (ou ne pas vivre) les mêmes trips et les mêmes trucs en une unique compression spatio-temporelle... Voilà bien le triste tableau, le nouveau tropisme, le pénible fardeau, calamiteux concours de noyade dans l’étang moderne !
Cependant, un progrès considérable : la nuit venue, il arrive qu’ils incendient des bagnoles, sans doute à la recherche d’un feu de camp chaleureux et convivial... Il y a plus de soixante ans, dans cette vieille Europe chrétienne et civilisée, dans ce vieux continent bien-pensant, c’étaient des femmes et des hommes et des enfants et des vieillards qui cramaient à la chaîne...
L’histoire a sa muse. Peut-être. Mais la mémoire a son musée. Certitude.
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