Destruction d’un gazoduc et d’un câble sous-marins
Dimanche 8 octobre 2023, tous les médias ont leur attention braquée sur Israël et la bande Gaza. A 01 h 20 (heure locale) l’agence norvégienne de surveillance sismique enregistre une « explosion probable » de magnitude de 1 sur l’échelle de Richter équivalente à 100 kg de TNT dans la zone économique exclusive finlandaise. L'« ébranlement » localisé à 40 km du port de Paldiski (Estonie) et près d'Inga (Finlande) a endommagé le gazoduc sous-marin Balticconnector et le câble de l’opérateur Elisa reliant ces deux États. « Les dommages portés aux infrastructures critiques, causés de façon probablement intentionnelle, sont une question très grave ». Mardi, le président finlandais Sauli Niinistö déclare : « les dommages causés au gazoduc et au câble de communication sont le résultat d’une activité extérieure ». Mercredi 11 le directeur d'enquête du Bureau national d’enquêtes de préciser : « Les dommages semblent avoir été causés par une force mécanique et non une explosion et qu'aucune hypothèse n’était exclue ».
Les autorités finlandaises invitent les entreprises en charge d’infrastructures sensibles à relever leur niveau de préparation et de surveillance. Le directeur de l’agence publique chargée de l’approvisionnement en biens essentiels (Gasgrid) adresse un communiqué de presse : « Sur la base d’expertises préliminaires, la préparation des travaux de réparation, la mobilisation des équipements sous-marins nécessaires et la réparation en elle-même ainsi que la remise en service « dureront au moins cinq mois ». Le Balticconnector, un gazoduc bidirectionnel, de la Finlande vers l'Estonie l'été et inversement l'hiver, avait été inauguré le 1 janvier 2020. D'une longueur de 77 km et 50 centimètres de diamètre pour une capacité de transport de 7,2 millions de m3 / jour immergé par - 70 mètres avait coûté 300 millions d'euros.
Les premières photographies confirment que les dégâts sont « d’origine humaine et mécanique ». L'intervention de plongeurs ou d'un drone sous-marin est exclu... Le commandant de la marine estonienne, Jüri Saska, commentant les images : « le gazoduc est recouvert de béton et on dirait que quelqu'un l'a traîné sur le côté (NdA : désalignement, d'où la chute de pression enregistré dans le gazoduc) et le béton s'est cassé ou s'est détaché au point de rupture ». Cela semble exclure a priori l'usage d'explosifs. Le Premier ministre finlandais, Petteri Orpo, d'affirmer : « Il est important que l’affaire fasse l’objet d’une enquête approfondie et que des conclusions exagérées ne soient pas tirées à ce stade ». Selon la station de radio nationale estonienne : « Sur la base des données sismiques, il n’y a aucune confirmation d’une détonation ou d’une explosion. Ou s’il y en avait eu une, elle aurait été si petite qu’elle aurait été inférieure au seuil de détection ».
Ce sabotage intervient un an après celui du gazoduc Nord Stream. La Finlande, membre de l'OTAN depuis le mois d'avril peut compter sur le soutien de l'Organisation. « L’Otan partage les informations et se tient prête à soutenir les Alliés concernés. (...) La chose importante maintenant est d’établir ce qui s’est passé et comment cela a pu se passer ». L'OTAN a déjà envisagé une « réponse déterminée si les dommages causés au gazoduc s’avéraient résulter d’une attaque délibérée ».
Dans la zone incriminée on a : le gazoduc qui alimentait également la Lettonie et la Lituanie - deux câbles de distribution d'énergie électrique (BalticSea) - neuf câbles de télécommunications ! Quasiment impossible de sélectionner un câble de télécommunications en particulier et les dégâts sont mineurs. Le trafic a été re-routé et le câble reste réparable en quelques jours, et la Finlande sera approvisionnée en GNL par le terminal d'Inkoo au sud. Si le gazoduc et le câble endommagés étaient parallèles, les régles de sécurité recommandent un espacement d'un mile nautique (minimum) entre eux. La méthode avancée ? un chalut, un grappin, une herse à grappins multiples ou une ancre aurait raclé le fond et arraché le gazoduc et le câble sous-marins dans la zone économique finlandaise. Un « paravane » avec une lame ou cisaille pyrotechnique utilisé pour sectionner le câble d'une mine à orin reste le plus adapté.
Les câbles optiques comportent 6 à 24 fibres pour un diamètre de 12 à 50 mm, d'un poids d'environ 10 kg/m et les répéteurs sont alimentés par une tension de plusieurs milliers de volts. Certains supportent une charge de 65 tonnes avant de se rompre ! Les câbles électriques, diamètres 160 à 300 mm, transportent jusqu'à 500.000 volts pour un poids de 50 kg/m. Leur ensouillement (0,6 à 1,2 m) n'est pas toujours possible : sol trop dur ou irrégulier, pente trop inclinée, courant fort, et il n'est pas rare que le câble forme des boucles (il n'est pas sous traction) qui affleurent le plancher marin, ou qu'une partie des sédiments ait été emportée par le courant.
On compte près de 500 câbles sous-marins de télécommunications répartis à travers la planète. L’emplacement des gazoducs et câbles sous-marins figurant sur les cartes marines, leur sabotage reste à la portée de toute entité fermement décidée de passer à l'action. La route fond soigneusement établie après une reconnaissance bathymétrique, le timonier dispose d'une carte numérique sur laquelle figurent : les way points - la route fond et la route surface - un sondeur permet de visualiser le fond et la couche sédimentaire et un système de localisation (GPS, LORAN ou centrale inertielle pour les sous-marins) permet de connaître la position à chaque instant et le moment de la mise à l'eau ou du relevage de l'engin. Celui-ci reposant sur le fond, il ne se trouve pas à la verticale du navire, mais loin sur son arrière et à une distance qui dépend de la longueur de la remorque et de la profondeur. Le timonier sait qu'il a accroché le câble lorsqu'il éprouve la nécessité d'augmenter la puissance des machines.
La rupture d'un câble dépend de : son coefficient de résistance - de la force motrice du treuil - de l'engin employé - de l'angle (sinus) de la traction - de la direction de l'effort - de la vitesse de remorquage - des conditions météorologiques et hydrographiques. La puissance (arbre d'hélice) nécessaire augmente avec le cube de la vitesse de remorquage de l'engin (environ 4 nœuds). L'examen des torons, des fibres et des couches isolantes et protectrices peut révéler s'il a été arraché (force brute), cisaillé (coupe nette), détruit à l'aide d'explosif, scié ou soulevé et plié. Pour endommager un câble de fibres optiques, inutile de le rompre, il suffit qu'il ait été plié suffisamment...
Sempiternelle question Qui boni ? Poser la question c'est déjà, pour certains, y apporter une réponse. Mais c'est bien sûr ! En 2014 la Russie a sectionné les câbles de télécommunication sous-marins reliant la Crimée au continent de façon à entraver la riposte du gouvernement ukrainien. Tous les bâtiments battant pavillon russe sont considérés « navires de réserve » et utilisés comme navires de soutien. Le pétrolier russe SVG Flot (IMO 8033089) est resté à proximité du gazoduc tout le week-end pour, aux dires de son commandant, attendre que le mauvais temps se dissipe (Le vent soufflait à 25 m/sec et les vagues atteignaient trois mètres de hauteur). Le financier de la société Baltic Fuel Company est la banque de Saint-Pétersbourg et la Russie qui dispose de son propre réseau est moins dépendante des backbones.
Le traité « d'amitié de coopération et d'assistance mutuelle » signé le 6 avril 1948 entre la Finlande et l'URSS est caduc depuis des lunes. La Finlande et la Suède, pays longtemps non alignés, ont décidé de se rapprocher de l'Alliance Atlantique. Le 22 septembre 2018, le Keskusrikospoliisi (CE finlandais), la police locale, les gardes-frontières, l'agence nationale des douanes et les forces de défense finlandaises, soit 400 fonctionnaires ont participé à un raid sur l'île privée de Sakkiluoto sur laquelle la société immobilière Airiston Helmi y disposait de dix-sept propriétés ! L'homme d'affaires russe de 64 ans, Pavel Melnikov, originaire de Saint-Pétersbourg, installé en Finlande depuis 2007 a plus le profil d'un « homme de paille » ou du crime organisé que d'un espion. C'est lui qui s'est porté acquéreur d'une dizaine d’îles dans l’archipel de Turku entre l’île de Björkö et la petite ville de Pargas pour y faire construire de nombreux bâtiments. « Depuis que Melnikov a acheté l'île, les travailleurs ont construit un total de neuf quais, un héliport, des logements semblables à des casernes, des caméras de sécurité et des détecteurs de mouvement, le tout sans but précis apparent ». Le KRP aurait découvert en sous-sols un « centre de communication », saisi des ordinateurs (100 téraoctets de données) et 3,5 millions de dollars.
Plusieurs hommes politiques finlandais de souligner que des propriétés se trouvaient à quelques dizaines de mètres, seulement, des zones militaires de l’île de Högö et de Gyltö. Ces lieux à proximité des îles d’Åland et à l’entrée du golfe de Botnie pourraient être utilisés par un État étranger en cas de guerre hybride... Les raffineries et installations portuaires de l'archipel de Turku sont vitales à l'économie et à la défense militaire en cas de crise avec la Russie. Les manœuvres militaires « Zapad » au mois de septembre 2021 ont sonné le glas au sein des populations des États baltes poussant la Suède et Finlande à demander leur adhésion à l'OTAN. Des terrains appartenant à la société Airiston Helmi étaient situés à proximité de deux câbles sous-marins, le câble BCS North propriété de l’opérateur suédo-finlandais Telia, et le câble SFS-4 qui relie Norrtälje (Suède) à Turku !
Le Suojelupoliisi (service de renseignement et de sécurité finlandais), cinq-cents agents pour un budget de fonctionnement de 60 millions d'euros, surveillait les activités de la société Airiston Helmi et Melnikov depuis déjà belle lurette. Airiston Helmi et Melnikov étaient titulaires des nationalités russe - lettone - maltaise (Malte vend la citoyenneté) et étaient en possession de passeports vierges de trois États caribéens... La société était enregistrée via un montage de sociétés fictives basées dans les îles Vierges britanniques.
Un fait parmi d'autres titille les enquêteurs. La société n'a jamais fait de bénéfices depuis sa fondation en 2007 et cumulait un passif de 10 millions d’euros ! Comment expliquer les millions d'euros investis et des dépenses en biens et équipements à Sakkiluoto ? L'entreprise a acquis un ancien navire militaire disposant d'une rampe à chargement frontal (péniche de débarquement) et le M/S Hessu, un ancien bateau de la marine finlandaise. Il n'est pas à exclure que Melnikov et ses associés aient utilisé Airiston Helmi pour abriter des activités de blanchiment d'argent et d’évasion fiscale.
La Finlande indépendante depuis 1991 partage 1 340 kilomètres de frontière terrestre commune avec la Russie. Le nombre d'agents de renseignement russes présent y est identique à ce qu'il était durant la Guerre froide. Près de trente pour-cent de russophones vivant en Estonie sont titulaires d'un document d'identité leur permettant d'aller et venir en Russie et au sein de l’Union européenne sans visa. Les douanes et les services de renseignement surveillent étroitement les zones frontalières, et les autorités finlandaises ont réouvert l'enquête sur le naufrage de l'Estonia reliant Tallinn à Stockholm qui a fait 852 victimes le 28 septembre 1994. (Agoravox : L’Estonia, un bien mystérieux naufrage).
Le directeur de l’École supérieure de la défense nationale suédoise, Henrick Häggström : « Nous observons une tendance croissante et très rapide des activités d’espionnage et de contre-espionnage dans tous les pays nordiques en ce moment. Quelqu'un a visiblement appelé ces espions pour leur dire de se mettre au travail. En même temps, l'État suédois a investi davantage de moyens financiers dans le contre-espionnage. Résultat : on voit de plus en plus d’arrestations ».
Si on pense à des pistes politiques, militaires, économiques, on passe sous silence la criminalité organisée ou disparate : racket, association différentielle (Sutherland), récidivisme, mimétisme, etc. La destruction du gazoduc et du câble sous-marins est-elle : une action délibérée - un incident (sous-marin qui aurait talonné) - une diversion - une opération psychologique visant à entretenir la « flamme », la peur ou brandir la menace ? Comme dit le dicton « Jamais deux sans trois » ; un parc éolien en mer ? Une correction, une précision, une idée ?
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